REVUE INTERNATIONALE

DE

L’ENSEIGNEMENT

M. FUSTEL DE COULANGES

A peine nous félicitions-nous, le 5 août 1889, de la restauration matérielle et morale de l’Université de Paris que la maladie, une maladie lente dont le terme fatal était prévu, lui enlevait un de ses maîtres les plus illustres : M. Fustel de Coulanges, un des hommes qui ont le plus contribué à la renaissance de notre haut enseignement.

Tous ceux qui ont eu le privilège d’entendre ses leçons, à Stras¬ bourg, où il enseigna de 1861 à 1870, à l’École normale entre 1870 et 1877, à la Sorbonne où il eut, devant un auditoire plus nombreux qu’à l’École, le même succès qu’à Strasbourg, ne peuvent les oublier. M. Fustel était un professeur incomparable : son aspect froid, son maintien un peu raide, sa figure sévère, ses gestes rares, son langage sobre n’étaient pas faits en apparence pour séduire et entraîner un auditoire. Il avait une autre influence plus durable : il savait convaincre, sans paraître y tâcher. Il re¬ doutait pour lui-même et pour ses élèves le prestige des «concep¬ tions supérieures » et des grands mots. Chacune de ces leçons prenait la forme géométrique d’un problème. Il le posait simple¬ ment, puis il lisait les textes, écoutait avec une religieuse atten¬ tion les témoignages des contemporains, pesait les termes, en dégageait le sens précis et d’un mot indiquait la solution. Il y a des solutions géométriques qui ont leur élégance. La méthode de M. Fustel, si rigoureuse, avait un charme de ce genre : elle flat¬ tait la raison en la pressant. La simplicité du maître augmentait encore l’effet de la leçon : il ne parlait pas pour laisser parler les textes. Il s’effaçait, et la vérité éclatait dans la pleine lumière de l’évidence. Je ne crois pas que l’art le plus consommé ait jamais

REVUE DE L’ENSEIGNEMENT. — XIX. 9