Phtisie

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La phtisie[1] ou phthisie[2] est un terme médical historique désignant, au sens large, tout état ou processus évoluant vers l'émaciation (grande maigreur) et la consomption (affaiblissement et maigreur extrêmes). Dans un sens étroit, le terme signifie phtisie pulmonaire, qui sera interprétée au cours du XIXe siècle comme étant la tuberculose pulmonaire.

Le mot tuberculose apparait dans son sens moderne en 1834, et la phtisie est définitivement écartée du vocabulaire médical en 1891. La phtisie est un exemple de maladie représentant une construction sociale, tout autant qu'une réalité épidémiologique. Elle a marqué le début de l'ère industrielle, les sensibilités littéraires et artistiques.

Si les termes phtisie et phtisique (relatif à la phtisie, malade atteint de phtisie) ne sont plus usités, la phtisiologie reste la spécialité médicale consacrée à la tuberculose.

Pour l'histoire biomédicale de la maladie tuberculeuse (infection à Mycobacterium tuberculosis) :

Étymologie et origines

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Le terme vient du grec phthisis, φθίσις, dépérissement, consomption, usure[2], dont la racine indo-européenne signifie diminuer, se consumer, arriver à son terme. Dans son sens primitif, la phthisis représente les états de réduction vers l'extinction ou la disparition. Aristote parle de « phthisis de la lune » pour sa décroissance, de même pour le coucher du soleil[3].

Dans son sens médical, le terme est utilisé la première fois par Hérodote (Histoires, VII, 88) à propos d'un général mède qui, après une chute de cheval, présenta des vomissements sanglants, et dont la maladie se transforma en dépérissement[3].

La phtisie entre dans le vocabulaire technique des médecins grecs pour désigner une atrophie ou une réduction : phtisie dorsale, d'un rein, d'un œil ou d'un membre.

Dans les textes hippocratiques, le concept de phtisie se restreint et se précise. Plusieurs sortes de phtisies sont distinguées : celle avec fièvre, toux et crachats ; celle avec fatigue et essoufflement ; celle avec fatigue et noircissement de la peau... La forme principale de la phtisie concerne les maladies de poitrine et les poumons[4].

Dans un texte attribué à Galien, la phtisie est définie comme une ulcération du poumon, de la poitrine, ou de la gorge, qui amène toux et fièvre avec la consomption du corps[4].

Toujours dans l'Antiquité, Celse et Arétée de Cappadoce développent la notion d'habitus phthisicus, ou apparence générale des malades atteints de phtisie : teint blafard, taches de rougeur, chair molle, thorax aplati, omoplates en forme d'ailerons[5]...

La coïncidence, voire le lien causal, entre la phtisie pulmonaire et la gibbosité acquise sont établis dès cette époque, bien que les médecins antiques n'aient aucune idée de l'unité commune des différentes formes de la tuberculose (formes extra-pulmonaires, ici vertébrale qui sera appelée plus tard mal de Pott)[6].

Âge classique

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Richard Morton (1637-1698), auteur de Phthisiologia..., on y trouve aussi la première description d'une phtisis nervosa ou anorexie mentale.

Les deux sens de phtisie (large – dépérissement – et étroit – maladie de poitrine lentement mortelle – ) coexistent jusqu'à l'âge classique. Pour l'écrivain Alain-René Lesage (1668-1747), « la vieillesse est une phtisie naturelle qui nous dessèche et nous consume » (Histoire de Gil Blas, II, 3)[7]. Quant au concept médical de phtisie, il se renouvelle alors par les études anatomiques.

En 1679, le hollandais Franciscus de le Boe est le premier à affirmer la présence de «tubercules» dans le poumon des phtisiques. Il attribue la phtisie à une suppuration de ces tubercules. La même année, le suisse Théophile Bonet le confirme en réunissant 150 autopsies de phtisie pulmonaire[8].

En 1689, l'anglais Richard Morton publie son ouvrage majeur Phthisiologia, seu exercitationes de phthisi, c'est le premier ouvrage entièrement consacré à la phtisie. Il décrit les tubercules, le caséum, et l'atteinte des ganglions hilaires.

Jean-Jacques Manget observe la phtisie du bœuf en 1716 en la reliant à la présence de cavernes (cavités pulmonaires) laissées par la dégénérescence de ces tubercules.

Un bilan des nouvelles connaissances au XVIIIe siècle est réalisé par Jean Baptiste Théodore Baumes (1756-1828) dans son Traité de la phtisie pulmonaire (1783). Les bases anatomo-pathologiques de la phtisie pulmonaire (tuberculose) sont reconnues, sa contagiosité est sérieusement envisagée, mais l'unicité autonome de la maladie reste ignorée. La phtisie garde toujours son sens large de consomption à causes multiples[8].

Formes de phtisie

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Toute maladie chronique fébrile et suppurante, ou avec fonte corporelle, et lentement mortelle, peut être une forme de phtisie. Richard Morton en 1689 avait distingué quatorze sortes et Boissier de Sauvage, en 1759, en répertorie plus de vingt espèces[9].

La phtisie pulmonaire est la plus commune. Elle peut représenter la tuberculose pulmonaire (au sens strict moderne), mais le terme pouvait recouvrir toutes les suppurations pulmonaires chroniques, notamment celles par ulcérations pulmonaires (découvertes à l'autopsie). Différentes espèces de phtisie pulmonaire sont décrites, ainsi Gaspard Laurent Bayle distingue en 1810, la tuberculeuse, la granuleuse, avec mélanose, l'ulcéreuse, la calculeuse, et la cancéreuse.

De même, la phtisie trachéale ou laryngée peut désigner la laryngite tuberculeuse (sens moderne) ou toute ulcération-suppuration de l'organe.

La phtisie dorsale (en latin phthisis vel tabes dorsalis) peut représenter la tuberculose vertébrale ou mal de Pott, mais aussi les complications ostéo-articulaires et neurologiques des maladies vénériennes dont la neurosyphilis.

La phtisie hépatique indiquait tout dépérissement par une maladie attribuée au foie ; la phtisie pancréatique l'état terminal d'une maladie du pancréas, et ainsi de suite

La phtisie oculaire, utilisée pour désigner une atrophie du globe oculaire, est aussi l'ancien nom de la contraction de la pupille ou myosis.

La phtisie méditerranéenne a pu désigner la brucellose ; la phtisie des tailleurs de pierre la silicose[10], etc. Historiquement, il peut être difficile de déterminer si les phtisies signalées chez les ouvriers et artisans étaient des pneumoconioses ou la tuberculose, ces différentes maladies pulmonaires pouvant s'associer.

Enfin, la phtisie nerveuse ou phtisis nervosa, décrite par Richard Morton au XVIIe siècle, désignait un amaigrissement de tout le corps, avec pâleur du teint, et perte d'appétit, sans fièvre, ni toux ou autre manifestation notable. Elle est aussi appelée phtisie hypocondriaque, mélancolique ou hystérique, ou encore consomption. Dans un sens moderne, elle représenterait l'anorexie mentale.

En revanche, les écrouelles (adénites cervicales tuberculeuses) signalées depuis le haut Moyen Âge, ne seront reliées à la phtisie qu'à partir du XIXe siècle.

Causes de phtisie

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Thèse contagionniste

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Elle est proposée dès 1546 par Fracastor dans De Contagione et Contagiosis Morbis, où il place la phtisie au même rang que la grande vérole (syphilis). Ces deux maladies se propagent par des particules invisibles ou seminaria.

Jean-Baptiste Morgagni (1682-1771), bien qu'il soit un fondateur de l'anatomo-pathologie, refusait de procéder à l'autopsie des phtisiques, car il était partisan de cette théorie contagionniste.

Au XVIIIe siècle, à partir des idées de Nicolas Andry, Benjamin Marten (en) imagine que la phtisie se transmet par des animalcules dans l'air qui viennent faire leur nid dans les poumons[11].

Thèse constitutionnelle

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La jeune poitrinaire (illustration du Journal illustré, n°34, ) ou la fièvre des passions tristes à prédisposition familiale. D'après le tableau photographique Fading Away (1858) de Henry Peach Robinson.

La phtisie est une altération du corps d'origine innée ou d'origine physique et climatique. La phtisie touche les sujets nés avec une faiblesse ou une déformation de la poitrine. La phtisie est héréditaire, par transmission d'une prédisposition, réalisant un «vice héréditaire»[11].

Le froid est une cause de phtisie en faisant stagner les humeurs au niveau de la poitrine, au même titre que l'air trop salin, une mauvaise alimentation, la fumées des villes, la mélancolie...

Toutes les maladies peuvent aboutir à une phtisie en affaiblissant l'organisme. Pour les partisans du mécanisme, la phtisie relève d'un phénomène d'obstruction dans la circulation du sang au niveau des poumons.

Thèse morale

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Le phtisique est victime de son comportement. La phtisie est en rapport avec un mode de vie malsain. Il s'agit d'abord d'une éducation indolente qui rend mou, d'une alimentation trop riche en viandes rôties, de l'abus d'alcool, de tabac, de café, de sexe, de romans... L'excès de rêveries et d'ambitions amène son lot de déceptions qui engendre la mélancolie[11]. Bref c'est le mode de vie urbain qui est en cause, car trop éloigné de la simplicité naturelle des campagnes, celle qui procure la paix de l'âme.

La phtisie est alors une « fièvre de l'âme », celle des passions tristes[12]. Pour le phtisique de cette époque, l'âge où l'on aime est aussi celui où l'on meurt[13]. Pauline de Beaumont, l'amie de Chateaubriand meurt à 35 ans ; Julie Charles, amante de Lamartine meurt vers l'âge de 30 ans, comme Clotilde de Vaux, l'amie d'Auguste Comte ; Marie Duplessis, qui servit de modèle à La Dame aux camélias, meurt à 23 ans[14].

Traitements

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Pot à pharmacie Sal.Caneroru (sel d'écrevisse). Il contenait des pilules contre la phtisie, faites à partir du résidu obtenu après distillation d'écrevisses écrasées. Faïence du 18e siècle (Musée des Hospices civils de Lyon).

La phtisie est réputée incurable, et les médecins développent leurs traitements, non pas pour guérir, mais pour éviter de désespérer les phtisiques. Ils disposent d'une tradition complexe remontant à l'Antiquité : elle est faite de retours alternés et contradictoires des mêmes traitements. Ainsi le gavage ou la diète, le mouvement ou la tranquillité, le calfeutrage ou la vie au grand air, la montagne ou la mer... sont proposés tour à tour[15].

Dans l'Antiquité Hippocrate conseillait le lait cru de vache et le vin en quantité raisonnable. Celse interdit le vin et les autres plaisirs Abstinere a vino, balneo, venere (les vins, les bains, et les rapports sexuels). Arétée de Cappadoce recommande les séjours à la campagne, les voyages en mer et l'exposition au soleil Sol est remedium maximum. Galien dénonce les dangers de l'air confiné.

La médecine arabe recommande aussi le changement d'air, notamment le séjour en Crète au meilleur climat pour les phtisiques. Le régime alimentaire doit être enrichi d'huile d'olive et de sucre rosat (sucre blanc cuit dans de l'eau de rose), recette qui sera en vogue en Occident médiéval, pour reparaître dans les sanatoriums allemands à la fin du XIXe siècle[15].

La médecine médiévale s'inspire de la théorie des signatures pour prescrire des médications anti-phtisiques basées sur leur ressemblance (forme, couleur) avec les poumons. Par exemple, le sirop de myrtille, la poudre de corail, la cendre d'écrevisse, et toutes les plantes dont les feuilles ont au moins une similitude avec les poumons (plantes dites pulmonaires).

Les médecins de la Renaissance redécouvrent les conseils des grands auteurs de l'Antiquité : la chambre du phtisique doit être bien aérée, exposée au sud, sa vie doit être distrayante mais reposante et sans passions excessives.

En 1664, Jan Johnston prescrit un traitement par le lait : bain de lait tiède, et viande de poulet engraissé au lait, pour réactiver les forces vitales par un retour à l'enfance. Thomas Sydenham s'oppose aux partisans du repos, pour défendre la gymnastique respiratoire, l'équitation, ou la marche à pied derrière la charrue pour l'odeur de la terre fraîchement retournée.

Au XVIIIe siècle, Joseph Raulin conseille les vapeurs de sucre, car il a remarqué que les noirs des Antilles atteints de phtisie guérissent en travaillant dans les usines à sucre. Dans le même esprit, d'autres recommandent les odeurs corporelles de jeune fille saine ou celles du sein de nourrice[15].

Au XIXe siècle, deux dictons ironiques circulent dans les milieux médicaux : « Il vaut mieux avoir la phtisie, pour laquelle on a tous les traitements, plutôt qu'un rhume où on en a aucun » et « Hâtons-nous d'adopter un nouveau remède avant qu'il ne perde son efficacité »[16].

Aspects socio-psychologiques

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L'exemple de la phtisie montre combien la maladie est tout autant une construction sociale qu'une réalité épidémiologique[17].

Maladie sociale

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En Europe, la phtisie pulmonaire prend de plus en plus d'importance à partir du XVIIe siècle. En 1665, l'anglais Thomas Sydenham estime qu'elle enlève les deux tiers de ceux qui meurent de maladie chronique[8]. À Londres, elle est la cause de un décès sur dix en 1700 à un sur quatre en 1800[11]. Les autres pays suivent avec quelques décennies de retard. Au milieu du XVIIIe siècle, en France, à l'hôpital de Nîmes, 2% des hommes et 3% des femmes admis sont phtisiques, et 18% d'entre eux y meurent[8].

Les pays qui en souffrent le plus sont ceux qui sont en processus d'urbanisation et de révolution industrielle. Les autopsies montrent que près de 100% des citadins des grandes villes industrielles ont eu, à un moment ou un autre de leur vie, une phtisie même s'ils sont morts d'autres causes. Au début du XIXe siècle, la population ayant les plus forts taux de mortalité par phtisie est constituée le plus souvent de femmes travaillant dans les premières usines de l'industrie textile[18].

Les premières mesures sanitaires sont prises avec la diffusion de la thèse contagionniste. Celle-ci connaît plus de succès sur le pourtour méditerranéen qu'en Europe du nord. Il s'agit par exemple, en Italie de l'édit de Lucques (1699), du décret de Naples (1782), ou en Espagne de l'ordonnance de Ferdinand VI (1751). Ce sont des mesures restrictives (portant sur le droit de circuler, de faire du commerce...) ou répressives telles que la déclaration obligatoire de la maladie, la destruction par le feu du linge, des vêtements et des meubles du phtisique... Des peines sont prévues contre les médecins ou l'entourage, en cas de non application de la loi. En pratique, ces mesures sont le plus souvent allégées ou contournées[19].

D'autres estiment au contraire que la règlementation espagnole très stricte pourrait expliquer la faible importation de la maladie chez les amérindiens sous domination espagnole[20]. Frédéric Chopin, phtisique, doit quitter l'île de Majorque, rejeté par la population locale. À Rome, Chateaubriand ne peut louer un logement, à cause de son amie phtisique[14].

Dans les pays du nord, ces mesures ne paraissent pas compatibles avec les idées de liberté individuelle pour lesquelles on se battait, ni avec les libertés économiques d'une révolution industrielle en train de se faire. Aussi l'esprit dominant de l'époque est de réduire la phtisie à un domaine privé, strictement médical, en mettant l'accent sur la prédisposition héréditaire et la responsabilité morale plutôt que sur une police sanitaire collective[11].

Maladie intime

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Affiche de Alfons Mucha, 1896.

Les correspondances du XVIIIe siècle révèlent une nouvelle sensibilité au corps et aux maladies. Les nouvelles connaissances médicales se diffusent dans les milieux aisés, et on prête plus d'attention aux messages du corps, alors même que s'affirme l'individualisme. Par son évolution lente, la phtisie pulmonaire se prête à l'introspection[17].

Un mythe littéraire nait ainsi en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, proche de la nostalgie et du « spleen » :

« La phtisie est une variété du mal de vivre. Les jeunes romantiques, exilés dans le siècle, y trouvent une façon de paraître et une manière de disparaître. Les uns meurent de la poitrine, d'autres se suicident sous la lune sur une lande déserte »[21].

En France, dans la période qui suit le Premier Empire, le vécu de la phtisie devient un genre littéraire. La phtisie pulmonaire acquiert une représentation sociale. Elle n'est plus une métaphore de la vieillesse, mais la figure même du destin d'une vie entière. C'est l'image romantique du jeune homme ou de la jeune fille, nés dans le meilleur monde social, mais fragilisés par une maladie lente et incurable, et qui leur fait mener une vie intense jusqu'à leur fin tragique[17].

Les écrivains disputent aux médecins le portrait du phtisique, et souvent les médecins s'inspirent plus des textes littéraires que de leur expérience clinique[22]. Dans la première moitié du XIXe siècle, la phtisie est une maladie qui semble frapper d'abord les âmes sensibles et les artistes. Dans sa correspondance, Gustave Flaubert critique les clichés du romantisme et accuse Lamartine d'« embêtement bleuâtres du lyrisme poitrinaire »[21]. Le sommet du genre paraît être atteint avec La Dame aux camélias (1848) d'Alexandre Dumas fils.

Maladie secrète

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La phtisie, maladie sans espoir, est d'abord une maladie innommable. Les médecins la reconnaissent, mais de façon indéfinissable tant elle est multiforme. En 1848, une autorité en médecine légale comme Tardieu la décrit encore comme « un état cachectique particulier, caractéristique et distinct de tout autre...»[23].

Le mot phtisie n'est pas prononcé, on est fatigué de la poitrine ou malade des bronches. Face au malade, le médecin élude le diagnostic, mais il propose de changer d'air, d'aller à Biarritz ou à Nice. Face aux médecins, les malades font semblant, comme La Dame aux camélias : « J'ai l'air de les croire, c'est tout ce que je puis faire pour eux »[24].

Par des « mots pour le taire », les médecins protègent le secret de famille, car si la phtisie est une prédisposition héréditaire, sa non-révélation est importante sur le marché des mariages[24]. Dans Le Nœud de vipères de François Mauriac, dont l'intrigue se passe dans un milieu bourgeois au tournant du XXe siècle, le personnage principal, après son mariage, apprend avec effarement que sa femme a choisi de l'épouser non pas parce qu'elle était attirée par lui, mais parce que ses chances de trouver un bon parti étaient pratiquement réduites à néant du fait que ses deux frères étaient morts de phtisie. Lorsque leur petite fille meurt du typhus, la mère insiste auprès du docteur pour qu'il fasse savoir à tout le monde que ce n'était pas une phtisie, et lorsque son mari tombe malade à son tour, elle lui prodigue des soins inattendus dont le personnage principal finit par comprendre qu'ils ont purement les mêmes motifs : la mère veut protéger la réputation de la famille, qui risque d'être soupçonnée d'atavisme, pour assurer l'avenir marital des deux enfants qu'il leur reste.

De la chambre à la montagne

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Au début du XIXe siècle, la maladie se camoufle et le malade se cache. L'espace de la phtisie est alors celui de la chambre, cocon protecteur de l'intimité familiale. Plusieurs romans décrivent cette atmosphère calfeutrée d'extinction progressive, comme La Peau de chagrin (1831) de Balzac, ou Une page d'amour (1879) de Zola[25].

 
Le premier sanatorium, fondé en 1854, à Görberdorf, photographié en 1904.

Peu à peu, des idées hygiénistes s'imposent, en faveur de l'ouverture des fenêtres, des courants d'air, de la lumière et du soleil[25]. Après la pandémie de choléra qui touche Paris en 1832, la vie urbaine est vécue comme menaçante et pathogène. Pour ceux qui en ont les moyens, les voyages et l'éloignement redeviennent des moyens de santé. C'est le développement du thermalisme en France, surtout avec l'arrivée du chemin de fer[26].

Aux séculaires stations thermales, s'ajoutent les stations balnéaires : l'été les riches malades vont à Dieppe ou Trouville, l'hiver à Biarritz ou à Nice[26]. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle un nouveau type de cure apparait, spécifique pour les phtisiques, les « cures d'altitude ». Le premier sanatorium est fondé par l'Allemand Hermann Brehmer (de)(1826-1899) en 1854 à Görberdorf en Silésie. La Suisse suit rapidement l'exemple de l'Allemagne, avec son sanatorium le plus célèbre, celui de Davos en 1860[27].

À partir de 1863, le suisse Henri-Clermond Lombard (1803-1895) procède à des enquêtes statistiques sur le lien entre altitude et phtisie. Il soutient l'hypothèse de l'existence d'une zone d'immunité phtisique déterminée par l'altitude, la température et variant selon la latitude. Pour le cas de la Suisse, il situe cette limite vers 1500 m environ, au-dessus de laquelle la phtisie serait quasi absente, renforçant l'idée d'une « cure d'altitude »[28].

En 1879, Peter Dettweiler (de) codifie la cure en sanatorium, elle repose sur la cure de repos, la cure de silence et le gavage. Les phtisiques restent en permanence sur chaise longue en galerie ouverte, exposés à l'air ; le repos est total, musculaire, intellectuel et vocal ; enfin, les malades sont suralimentés de façon intensive en lait, œufs et viandes[29].

Par la suite, le « pouvoir immunisant des montagnes » n'a jamais été prouvé scientifiquement, mais le mythe romantique de la montagne régénératrice en sort grandi[28]. La vie en sanatorium est le sujet des « romans de sana » dont le plus célèbre est La Montagne magique (1924) de Thomas Mann.

La fin de la phtisie

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Laennec à l'hôpital Necker ausculte un phtisique devant ses élèves (1816) (1889), par Théobald Chartran (1849-1907).

Au début du XIXe siècle, la phtisie est l'objet de deux débats principaux : la phtisie est-elle une maladie unique ou un ensemble de troubles divers ? Est-elle une maladie par contagion ou par prédisposition[30] ? Au cours des discussions, le terme « tuberculose » est inventé par Johann Lucas Schönlein en 1832, il supplantera peu à peu le terme phtisie officiellement abandonné en 1891[22].

Tubercule ou ulcère

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L'unification des formes de phtisies, des écrouelles, des «tumeurs blanches» des os, et autres pathologies est postulé par Laennec, et confirmé par Pierre Louis dans ses Recherches anatomo-cliniques sur la phtisie (1825). Il existe une lésion caractéristique : les « tubercules » retrouvés au niveau des poumons et d'autres organes (digestifs, cerveau, reins, surrénales...). Les autres lésions, comme l'ulcère, ne sont que des différents stades évolutifs du tubercule. C'est la théorie uniciste de la phtisie, bientôt renommée tuberculose[30],[31],[32].

Cependant, cela reste discuté, car d'autres auteurs estiment que la réelle lésion pathologique n'est pas le tubercule, mais l'ulcère. De plus, Laennec qui s'affirme monarchiste et catholique, a du mal à convaincre dans un Paris libéral et anti-clérical[33]. En 1847, la théorie dualiste de l'allemand Rudolf Virchow (il existe deux tuberculoses différentes, dites lymphatique et inflammatoire) s'impose jusqu'aux années 1880[32].

Contagion ou hérédité

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Dans la première moitié du XIXe siècle, de grands cliniciens de la phtisie comme Antoine Portal, Gaspard Laurent Bayle, ou Laennec soutiennent l'idée de la nature héréditaire ou constitutionnelle de la phtisie[30]. Celle-ci n'est pas contagieuse, puisqu'on peut approcher les phtisiques sans tomber malade[34].

De 1865 à 1868, Jean Antoine Villemin montre la possibilité de transmettre la maladie par inoculations de matière provenant de lésions tuberculeuses[30]. L'Académie de Médecine lui fait un accueil réservé, se montrant incrédule. Les discussions durent neuf ans, retardant d'autant l'entrée de Villemin à l'Académie[34].

En 1882, Robert Koch isole le bacille de la tuberculose, mettant fin au long débat sur l'origine et la contagion de la tuberculose[30], sans pour autant faire l'unanimité. Quelques auteurs sceptiques défendront encore, jusqu'au début du XXe siècle, l'hérédité de la tuberculose[32] dans le cadre d'une théorie de la dégénérescence.

Changement de sens

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Au début du XIXe siècle, il semblait logique d'attribuer la phtisie à la vie en milieu urbain, et à une prédisposition dès la jeunesse. L'attention pour les victimes fut d'abord pour celles des milieux aisés et cultivés, la phtisie fut une maladie « romantique »[14].

Un siècle plus tard, la maladie comprise comme tuberculose (maladie infectieuse contagieuse) est devenue une affaire d'hygiène publique. Elle touche d'abord les milieux pauvres et ouvriers, au même titre que l'alcoolisme et la syphilis, constituant les « trois pestes modernes » selon Jean-Alfred Fournier (1832-1914).

Finalement, la maladie n'était pas liée à l'urbain et à la jeunesse en tant que tels, mais à la pauvreté en milieu urbain (immigration d'origine rurale, logements vétustes et surpeuplés, travail des femmes et des enfants en usine poussiéreuses...). Cette attirance pour les villes était le fait de jeunes gens, et notamment de jeunes filles, les personnes âgées restant en milieu rural. À partir de la misère urbaine du début de l'ère industrielle, la tuberculose pouvait s'étendre aussi bien aux milieux aisés, qu'au milieu rural[14],[32].

Notes et références

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  1. Phtisie : orthographe du « TLFi »
  2. a et b Phthisie : cette orthographe vieillie se veut conforme à l'étymologie grecque du mot selon le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré.
  3. a et b Mirko D. Grmek 1983, p. 270-271.
  4. a et b Mirko D. Grmek 1983, p. 272-273.
  5. Mirko D. Grmek 1983, p. 281.
  6. Mirko D. Grmek 1983, p. 286-288.
  7. Isabelle Grellet 1983, p. 13.
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  9. Isabelle Grellet 1983, p. 29.
  10. A. Manuila, Dictionnaire français de médecine et de biologie, t. III, Masson, , p. 307.
  11. a b c d et e (en) Jacques Bernier, « L’interprétation de la phtisie pulmonaire au XVIIIe siècle. », Canadian Bulletin of Medical History, vol. 22, no 1,‎ , p. 35–56 (ISSN 0823-2105 et 2371-0179, DOI 10.3138/cbmh.22.1.35, lire en ligne, consulté le )
  12. Isabelle Grellet 1983, p. 53 et 75-76.
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  29. Isabelle Grellet 1983, p. 125-128.
  30. a b c d et e Mirko D. Grmek (trad. de l'italien), Les maladies dominantes, Paris, Seuil, , 422 p. (ISBN 2-02-022141-1), p. 285
    dans Histoire de la pensée médicale en Occident, vol.3, Du romantisme à la science moderne, M.D. Grmek (dir.).
  31. W. F. Bynum 2006, op. cit., p. 175.
  32. a b c et d Charles Coury, Histoire de la Tuberculose, t. 18, Encyclopaedia Universalis, , p. 300-304.
  33. (en) Stephen Jacyna, Medicine in transformation, 1800-1849, Cambridge University Press, , 614 p. (ISBN 978-0-521-47524-2, lire en ligne), p. 43-45.
    dans The Western Medical Tradition, 1800 to 2000, W.F. Bynum et coll.
  34. a et b Isabelle Grellet 1983, p. 85-87.

Bibliographie

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  • Charles Coury, Grandeur et déclin d'une maladie : la tuberculose au cours des âges, Suresnes, Lepetit, 1972.
  • Mirko D. Grmek, Les maladies à l'aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, coll. « Médecine et Sociétés », , 527 p. (ISBN 2-228-55030-2), chap. VII (« Une grande tueuse : la tuberculose »).
  • Isabelle Grellet et Caroline Kruse, Histoires de la tuberculose, les fièvres de l'âme, Paris, Ramsay, , 332 p. (ISBN 2-85956-347-4).  .
  • (en) René Dubos, The White Plague : Tuberculosis, Man and Society, Rutgers University Press, (ISBN 0-8135-1223-9).

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