Epsilon
Epsilon (capitale Ε, minuscule ε ; en grec έψιλον), est la cinquième lettre de l'alphabet grec, précédée par delta et suivie par zêta. Dérivée de la lettre he de l'alphabet phénicien, elle est l'ancêtre des lettres E et Ɛ (epsilon) de l'alphabet latin, et des lettres Е et Є de l'alphabet cyrillique et de leurs formes diacritées ou culbutées.
Epsilon | |
Versions modernes de la lettre grecque epsilon en capitale et bas-de-casse, avec la police Times New Roman. | |
Graphies | |
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Capitale | Ε |
Bas de casse | ε, ϵ |
Utilisation | |
Alphabets | Grec |
Ordre | 5e lettre |
Phonèmes principaux |
|
modifier |
Usage
modifierGrec
modifierEn grec ancien, epsilon représente, suivant les dialectes, la voyelle mi-fermée antérieure non arrondie courte /e/, sa forme longue /eː/ ou la voyelle mi-ouverte antérieure non arrondie longue /ɛː/.
En grec moderne, elle représente la voyelle mi-fermée antérieure non arrondie /e/.
Dans le système de numération grecque, epsilon vaut 5.
Sciences
modifier- En mathématiques :
- ε est la notation traditionnelle (francophone) du majorant de l'écartement de la fonction dans la définition formelle de la continuité[note 1].
- Plus généralement, ε est utilisé pour désigner de petits nombres, relativement au contexte.
- ε est parfois dans la littérature mathématique anglo-saxonne le symbole d'appartenance à un ensemble[note 1].
- Les nombres epsilon sont des ordinaux particuliers, dont en particulier ε0 est le plus petit.
- En Théorie des langages, ε est utilisé comme symbole du mot vide.
- En physique :
- ε0 (« epsilon zéro ») dénote la permittivité du vide ;
- Dans le cas général, εr représente la permittivité relative.
- ε peut également représenter l'absorptivité molaire d'une solution colorée, dont l'unité est le L.mol-1.cm-1.
Alphabet phonétique international
modifierDans l'alphabet phonétique international, un symbole directement dérivé de l'epsilon, appelé epsilon latin, représente la voyelle mi-ouverte antérieure non arrondie : [ɛ]. Il a aussi été repris comme lettre latine à part entière dans plusieurs alphabets : ‹ Ɛ ɛ ›.
Histoire
modifierOrigine
modifierLa lettre epsilon tire son origine de la lettre correspondante de l'alphabet phénicien, . Celle-ci provient peut-être de l'alphabet protosinaïtique, une écriture utilisée dans le Sinaï il y a plus de 3 500 ans, elle-même probablement dérivée de certains hiéroglyphes égyptiens ; le hiéroglyphe sur lequel la lettre phénicienne est basée n'est toutefois pas connu avec certitude. La lettre phénicienne, he, semble signifier « fenêtre ». L'alphabet phénicien atteint une forme plus ou moins standard vers le XIe siècle av. J.-C. Sa 5e lettre est une consonne (l'alphabet phénicien est un abjad qui ne note pas les voyelles) correspondant probablement au son [h].
Alphabets archaïques
modifierSi la 5e lettre de l'alphabet phénicien, he, note la consonne [h], elle est réinterprétée en grec pour transcrire la voyelle qui suit la consonne initiale : « e »[1]. La langue grecque archaïque possède trois phonèmes distincts pour « e » : une voyelle mi-ouverte /ɛː/ (écriture classique « η »), une voyelle mi-fermée longue /eː/ (fusionnée par la suite avec la diphthongue /ei/, écriture classique « ει ») et une voyelle courte /e/ (écriture classique « ε »). Suivant les dialectes, l'epsilon est utilisé pour noter certains de ces sons. Par exemple, à Athènes avant 403 av. J.-C., « Ε » est utilisé pour les trois sons /e, eː, ɛː/ : la phrase « Ἔδοξεν τῇ Βουλῇ καὶ τῷ Δήμῳ » (« Il a plu au Conseil et au Peuple ») est typiquement écrite « Εδοχσεν τει Βολει και τοι Δεμοι » sur les inscriptions de la Démocratie athénienne[2].
Dans les écritures grecques archaïques, la forme de l'epsilon reprend typiquement celle de l'alphabet phénicien, orientée à gauche ou à droite suivant le sens d'écriture, mais les lignes horizontales, en diagonale, toujours orientées selon celui-ci. La barre verticale possède souvent une extrémité qui s'étend légèrement sous la ligne horizontale la plus basse.
À Corinthe, la fonction normale de l'epsilon est de noter /e/ et /ɛː/. Le glyphe ressemble à un B pointu ( ). Ε n'est utilisé que pour la voyelle longue fermée /eː/[3]. En conséquence, la lettre bêta prend une forme modifiée, .
À Sicyone, une variante ressemblant à un X, , est utilisée pour la même fonction que le corinthien[4].
Une lettre spéciale pour une réalisation du son /e/ court, , est brièvement utilisée dans la cité béotienne de Thespies à la fin du Ve siècle av. J.-C. La lettre est employée à la place du epsilon habituel (Ε) quand le son est placé devant une autre voyelle. Sa forme suggérant un compromis entre un Ε et un Ι, on pense qu'elle note un allophone élevé, approchant /i/. Elle n'est attestée que dans un seul document, un ensemble de stèles gravées de 424 av. J.-C.[5],[6].
En résumé, l'epsilon prend des formes diverses comme[7],[8] :
- (Achaïe, Arcadie, Argos, Attique, Béotie, Cnide, Corinthe, Crète, Égine, Eubée, Ionie, Ithaque, Laconie, Mégare, Milos, Naxos, Paros, Rhodes, Sicyone, Thessalie, Tirynthe)
- (Délos, Santorin)
- (Délos)
- (Corinthe)
- (Mégare)
- (Sicyone).
Évolution
modifierLa forme actuelle de la lettre provient de l'alphabet utilisé en Ionie, qui est progressivement adopté par le reste du monde grec antique (Athènes passe un décret formel pour son adoption officielle en 403 av. J.-C. ; son usage est commun dans les cités grecques avant le milieu du IVe siècle av. J.-C.).
Dans l'écriture onciale, utilisée pour les manuscrits littéraires sur papyrus et vélin, la forme arrondie devient prédominante. En écriture cursive, un grand nombre de glyphes sont utilisés, où la barre et la courbe sont liées de façons diverses[9]. Certains ressemblent à la forme latine moderne « e », d'autres à un « 6 » muni d'une ligne le reliant à la lettre suivante, d'autres encore à une combinaison de deux petits « c ».
L'alphabet grec reste monocaméral pendant longtemps. Les formes minuscules proviennent de l'onciale grecque, une graphie particulière créée à partir de la majuscule et de la cursive romaine vers le IIIe siècle et adaptée à l'écriture à la plume, et sont créées vers le IXe siècle. Pendant la Renaissance, les imprimeurs adoptent la forme minuscule pour les polices bas-de-casse, et modèlent les lettres capitales sur les formes des anciennes inscriptions, conduisant le grec à devenir bicaméral.
Nom
modifierLe terme « epsilon » (en grec ἒ ψιλόν, è psilón, « e simple ») est inventé au Moyen Âge pour distinguer la lettre du digramme αι, une ancienne diphtongue qui en était venue à se prononcer comme l'epsilon. Avant cela, la lettre est simplement nommée « e ». Tout comme les noms des autres lettres, « e » ne signifie rien de particulier en grec et n'est qu'un emprunt direct au nom de la lettre en phénicien.
Il est supposé que le nom de la lettre phénicienne correspondante signifierait « fenêtre ».
En grec, la lettre est appelée έψιλον (épsilon), prononcée /epsilon/.
Dérivés
modifierLa lettre epsilon est transmise à l'alphabet latin par l'intermédiaire de l'alphabet étrusque, lui-même dérivé de l'alphabet grec « rouge » employé en Eubée — alphabet que les Étrusques apprennent à Pithécusses (Ischia), près de Cumes. Cet alphabet eubéen utilise une forme de l'epsilon proche de la forme actuelle : .
Dans l'alphabet cyrillique, l'epsilon donne naissance à la lettre Е.
Dans l'alphabet copte, la lettre conduit à la lettre ei Ⲉ.
Il est possible que l'alphabet arménien dérive de l'alphabet grec. Dans ce cas, le yech' Ե et le eh Է dériveraient de l'epsilon.
L'epsilon oncial est également une source d'inspiration pour le symbole de l'euro : €.
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He phénicien
-
Epsilon épigraphique grec
-
Epsilon grec majuscule moderne
-
Écriture onciale
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Variantes cursives
-
Variantes minuscules
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Epsilon grec minuscule moderne
-
Epsilon grec archaïque de l'alphabet eubéen
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E étrusque
-
E romain
-
E cyrillique
-
Ei copte
Importance dans la culture grecque antique
modifierLa lettre epsilon tenait une place particulière dans la culture grecque en raison notamment de sa présence dans le sanctuaire de Delphes. Ainsi dans le temple d'Apollon, un epsilon couché était placé au-dessus de la porte à l'entrée du naos. Par ailleurs, un epsilon était gravé sur l'omphalos, symbole du centre du monde[10].
Diacritiques
modifierDans l'orthographe polytonique du grec ancien, epsilon, comme les autres voyelles, peut être diacritée :
- accent aigu : έ ;
- accent grave : ὲ
- esprit rude : ἑ
- esprit doux : ἐ
Des combinaisons de ces signes sont possibles : ἔ, ἒ, ἕ, ἓ.
À la différence de l'alpha, de l'êta, du iota, de l'upsilon et de l'oméga (mais de façon similaire à l'omicron), l'epsilon ne peut pas recevoir d'accent circonflexe. Il ne peut pas non plus être muni d'un iota souscrit.
Typographie
modifierLa forme capitale de l'epsilon est quasiment identique au E latin. La forme bas-de-casse possède deux variantes typographiques, héritées de l'écriture manuscrite médiévale. La première, la plus courante en typographie moderne, dérive de la minuscule médiévale et ressemble à un « 3 » renversé : ε. La deuxième, connue comme epsilon lunaire ou oncial, provient de l'écriture onciale : ϵ[11],[12].
En typographie habituelle, les deux formes bas-de-casse sont de simples variantes de police. Elles peuvent cependant avoir une signification différente en tant que symboles mathématiques et les systèmes informatiques offrent des codages différents pour chacune des deux[11].
Codage
modifierLa majuscule Ε possède les codages suivants :
- Unicode : U+0395
- Entité HTML : Ε
- TeX : \Epsilon ;
- DOS Greek : 132
- DOS Greek-2 : 168
- Windows-1253 : 197
La minuscule ε possède les codages suivants :
- Unicode : U+03B5
- Entité HTML : ε
- TeX : \varepsilon ;
- DOS Greek : 156
- DOS Greek-2 : 218
- Windows-1253 : 229
La minuscule lunaire ϵ possède les codages suivants :
- Unicode : U+03F5
- TeX : \epsilon ;
Le tableau suivant recense les différents caractères Unicode utilisant l'epsilon :
Caractère | Représentation | Code | Bloc Unicode | Nom Unicode |
---|---|---|---|---|
Ε | Ε | U+0395
|
Grec et copte[13] | Lettre majuscule grecque epsilon |
ε | ε | U+03B5
|
Grec et copte | Lettre minuscule grecque epsilon |
ϵ | ϵ | U+03F5
|
Grec et copte | Symbole grec epsilon lunaire |
϶ | ϶ | U+03F6
|
Grec et copte | Symbole grec epsilon lunaire réfléchi |
έ | έ | U+03AD
|
Grec et copte | Lettre minuscule grecque epsilon accent |
Έ | Έ | U+0388
|
Grec et copte | Lettre majuscule grecque epsilon accent |
ἐ | ἐ | U+1F10
|
Grec étendu[14] | Lettre minuscule grecque epsilon esprit doux |
ἑ | ἑ | U+1F11
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon esprit rude |
ἒ | ἒ | U+1F12
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon esprit doux et accent grave |
ἓ | ἓ | U+1F13
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon esprit rude et accent grave |
ἔ | ἔ | U+1F14
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon esprit doux et accent aigu |
ἕ | ἕ | U+1F15
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon esprit rude et accent aigu |
Ἐ | Ἐ | U+1F18
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit doux |
Ἑ | Ἑ | U+1F19
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit rude |
Ἒ | Ἒ | U+1F1A
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit doux et accent grave |
Ἓ | Ἓ | U+1F1B
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit rude et accent grave |
Ἔ | Ἔ | U+1F1C
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit doux et accent aigu |
Ἕ | Ἕ | U+1F1D
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon esprit rude et accent aigu |
ὲ | ὲ | U+1F72
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon accent grave |
έ | έ | U+1F73
|
Grec étendu | Lettre minuscule grecque epsilon accent aigu |
Ὲ | Ὲ | U+1FC8
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon accent grave |
Έ | Έ | U+1FC9
|
Grec étendu | Lettre majuscule grecque epsilon accent aigu |
𝚬 | 𝚬 | U+1D6AC
|
Symboles mathématiques alphanumériques[15] | Majuscule mathématique grasse epsilon |
𝛆 | 𝛆 | U+1D6C6
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Minuscule mathématique grasse epsilon |
𝛦 | 𝛦 | U+1D6E6
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Majuscule mathématique italique epsilon |
𝜀 | 𝜀 | U+1D700
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Minuscule mathématique italique epsilon |
𝜠 | 𝜠 | U+1D720
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Majuscule mathématique italique grasse epsilon |
𝜺 | 𝜺 | U+1D73A
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Minuscule mathématique italique grasse epsilon |
𝝚 | 𝝚 | U+1D75A
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Majuscule mathématique grasse sans empattement epsilon |
𝝴 | 𝝴 | U+1D774
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Minuscule mathématique grasse sans empattement epsilon |
𝞔 | 𝞔 | U+1D794
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Majuscule mathématique italique grasse sans empattement epsilon |
𝞮 | 𝞮 | U+1D7AE
|
Symboles mathématiques alphanumériques | Minuscule mathématique italique grasse sans empattement epsilon |
Notes et références
modifierNotes
modifier- On notera que, jusque dans les années 1960, la littérature mathématique anglo-saxonne inverse les usages français issus de Bourbaki. Ainsi le symbole ∈ est utilisé pour les petites quantités et le symbole ε pour l'appartenance. Par exemple dans la première édition du célèbre livre de Walter Rudin Real and Complex Analaysis, ε est pour l'appartenance, tandis que dans la troisième édition ε est pour les petites quantités. Voir page 21.
Références
modifier- Jeffery 1961, p. 24.
- Jeffery 1961, p. 66.
- Jeffery 1961, p. 114.
- Jeffery 1961, p. 138.
- Jeffery 1961, p. 89, 95.
- Nicholas 2005, p. 3-5.
- Jeffery 1961, p. 23, 30, 248.
- « Browse by letter form », Poinikastas
- Thompson 1911, p. 191-194.
- « Encyclopédie Larousse en ligne - Delphes en grec Delphoi ou Dhelfí », sur larousse.fr (consulté le ).
- (en) Nick Nicholas, « Greek Unicode Issues - Letters », Unicode Consortium, 2003-2008
- Colwell 1969, p. 127.
- [PDF] « Grec et copte », Unicode
- [PDF] « Grec étendu », Unicode
- [PDF] « Symboles mathématiques alphanumériques », Unicode
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- (en) Lilian Hamilton Jeffery, The Local Scripts of Archaic Greece, Oxford, Clarendon,
- (en) Nick Nicholas, Proposal to add Greek epigraphical letters to the UCS. Technical report, Unicode Consortium, (lire en ligne [PDF])
- (en) Edward M. Thompson, An Introduction to Greek and Latin Palaeography, Oxford, Clarendon,
- (en) Ernest C. Colwell, Studies in methodology in textual criticism of the New Testament, Leyde, Brill, (lire en ligne), « A chronology for the letters Ε, Η, Λ, Π in the Byzantine minuscule book hand »
- Aldous Huxley, Le meilleur des Mondes, London, Chatto & Windus, published in 1932 (lire en ligne), « les epsilons sont les plus basses classes de la société »