Marguerite-Marie Dubois
Marguerite-Marie Dubois (née le à Limoges et morte le à Paris 15e), est une philologue et angliciste française.
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Marguerite Marie Anne Paule Dubois |
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Première femme enseignante à l'Institut d'anglais, elle a effectué toute sa carrière universitaire à la Sorbonne (Paris IV - Sorbonne).
En parallèle de son activité d'enseignement, elle écrit sous le pseudonyme de Paule de Gimazane, elle publie des romans et est rédactrice en chef de la revue d'art Septimanie avant la Seconde Guerre mondiale[1].
Enseignant-chercheur, théologienne, historienne, grammairienne, lexicographe, romancière, nouvelliste et poète, elle est l'auteur de nombreux ouvrages et articles. Sa connaissance approfondie de l'anglais médiéval, celle de nombreuses langues rares ou éteintes, tel que le hittite, le gotique, voire dans une certaine mesure le tokharien, font d'elle une philologue éminente, et surtout une grammairienne et une lexicographe de la langue anglaise faisant référence.
Biographie
modifierEnfance et formation
modifierNée à Limoges, Marguerite-Marie Dubois est d'abord scolarisée à domicile (Vitry-sur-Seine)[2]. Elle poursuit sa scolarité au Cours Desir, institution qu'a fréquentée Simone de Beauvoir[N 1],[3], et elle réussit au Baccalauréat[N 2] première partie en 1930 à l'âge de 15 ans. Après une interruption due à des problèmes de santé (en 1918, elle a contracté la grippe espagnole qui lui a laissé des séquelles douloureuses à vie), elle réussit à la seconde partie en 1932. Ses études supérieures la conduisent à l'Université de Paris, Institut Catholique et Sorbonne où elle s'inscrit en Faculté d'anglais, et au Collège de France.
Études supérieures
modifierAprès sa licence d'anglais (1937) et son D.E.S. (Diplôme d'études supérieures)[N 3] (1938) portant sur La Langue et le style dans les Homélies d'Ælfric, elle s'inscrit au Doctorat d'État[N 4], à la demande et sous la direction du Professeur René Huchon, premier spécialiste de l'anglais médiéval en France, qui l'avait choisie comme successeur[N 5]. Après la mort tragique de son directeur, les professeurs Floris Delattre et Louis Cazamian[N 6] la conduisent à une soutenance de thèses qui se déroule dans une ambiance mémorable[4]. Le titre de docteur ès lettres lui est décerné en 1943 après la soutenance de sa thèse principale Ælfric, sermonnaire, docteur et grammairien (Paris, éd. Droz, 1942, 419 pages), couronnée par l'Académie française, et sa thèse secondaire Les éléments latins dans la poésie religieuse de Cynewulf (Paris, éd. Droz, 1942, 222 pages), récompensée par le prix Darracq[N 7],[5]. À l'Institut Catholique, M.-M. Dubois, étudiante en littérature française et en théologie, a été l'élève de Mgr Jean Calvet, alors doyen de la Faculté des Lettres. Elle entretient par la suite avec lui des relations amicales. Elle a également bien connu le cardinal Alfred Baudrillart[6].
Carrière universitaire
modifierSa carrière universitaire[7] s'est entièrement déroulée à la Sorbonne où elle est d'abord Chargée de conférences de philologie anglaise (Licence, Diplôme d'Études Supérieures (DES), aujourd'hui Maîtrise), enseignement qu'elle assure de 1941 à 1956. De 1953 à 1966, elle est nommée Chargée de conférences aux cinq Écoles normales supérieures. En 1955, elle devient Chef de travaux de philologie anglaise, puis Maître de conférences de littérature et civilisation médiévales anglaises en 1969. En 1970, elle est nommée Professeur de littérature et civilisation médiévales. Lors de son départ à la retraite en 1983, elle reçoit le titre de Professeur émérite
Marguerite-Marie Dubois a elle-même fait la synthèse de son enseignement[8] dans un document datant du dont voici les principaux extraits :
« Dès mon premier cours à la Sorbonne, le , j'ai parlé de René Huchon. J'ai attiré l'attention des étudiants sur la valeur scientifique et spirituelle de ce professeur qui était un modèle de rigueur intellectuelle et morale, ainsi que de patriotisme.
J'ai exposé ensuite ce que j'attendais de mes auditeurs et ce que je leur apporterai. J'ai défini - comme l'avait toujours fait mon maître et selon sa méthode - la linguistique historique, en tant qu'étude diachronique de la langue dans son principe, sa forme, son architecture fondamentale, mais aussi dans son évolution, son « grandissement », pour ainsi dire, au cours des âges, depuis l'indo-européen reconstitué jusqu'à l'anglais moderne.
J'ai ajouté, exposant mon propre point de vue, que nous ferions de la philologie, au sens total du terme, c'est-à-dire que nous aborderions la stylistique, l'histoire, la littérature, la poétique, la philosophie, bref : un savoir encyclopédique qui constitue, pour ainsi dire, les humanités de l'anglais. Notre but, en étudiant les racines des langues germaniques et indo-européennes, serait de connaître l'âme, l'histoire, la civilisation de ces peuples disparus qui survivent dans la civilisation, l'histoire, l'âme de l'Angleterre moderne.
Trois ans plus tard, mes cours, déjà très personnels, s'étaient éloignés du type d'enseignement qui caractérisait la méthode de René Huchon. Je variais sans cesse les exemples, j'ajoutais des exceptions frappantes aux règles jadis incontestées, je condensais les informations au gré de mon esprit de synthèse ; ou bien j'élargissais le domaine, passant de l'étude du langage à l'apport de la création littéraire, et même à l'influence de la psychologie ou de la théologie pour expliquer certains phénomènes.
Syððan wæs geworden þæt he ferde þurh þa ceastre and þæt castel: godes rice prediciende and bodiende. and hi twelfe mid. And sume wif þe wæron gehælede of awyrgdum gastum: and untrumnessum: seo magdalenisce maria ofþære seofan deoflu uteodon: and iohanna chuzan wif herodes gerefan: and susanna and manega oðre þe him of hyra spedum þenedon. |
« Quelque temps après, Jésus se rendit dans les villes et les villages pour y proclamer et annoncer la Bonne Nouvelle du royaume de Dieu. Il était accompagné des Douze et de quelques femmes qu'il avait délivrées de mauvais esprits et guéries de diverses maladies : Marie, appelée Marie de Magdala, dont il avait chassé sept démons, Jeanne, la femme de Chuza, administrateur d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres. Elles assistaient Jésus et ses disciples de leurs biens. » |
Traduction de l'évangile de Luc 8:1-3 (Lc 8), trad. La Bible du Semeur. |
Presque vingt ans plus tard, dans le courant de 1969, on évoqua au Conseil de notre Institut l'ouverture d'une nouvelle chaire d'études linguistiques, et voilà que brusquement je fus confrontée à une situation hors du commun. Au cours de l'entretien qu'il avait sollicité à mon domicile, le candidat favori, Jean-Robert Simon, m'annonça clairement qu'il renoncerait à être nommé à la Sorbonne s'il devait y enseigner autre chose que le vieil- et le moyen-anglais, tant il redoutait d'affronter une branche différente. Et il me demanda, comme une faveur sine qua non, de lui abandonner ma propre spécialité, c'est-à-dire la langue médiévale. Curieusement, son nom m'était connu depuis 1949. Le professeur Floris Delattre m'avait parlé de lui, de ses orientations médiévales, de ses aspirations à une carrière de philologue, et aussi de certains aspects de sa vie intérieure dont j'avais gardé mémoire. Il avait évoqué la valeur intellectuelle et morale de ce jeune homme probe, discret, modeste, plutôt timide. Son discours était honnête, clair, sobre, définitif et concluant. Il ajouta que ma réponse, si elle était négative, lui fermerait à tout jamais l'accès à une chaire parisienne en dépit de ses mérites. Sur le coup, je fus interloquée par cette audacieuse requête, mais il me donna des raisons graves qui justifiaient son attitude et il avança une proposition, à laquelle il avait dû longuement réfléchir :
- Vous pourriez fonder un enseignement nouveau : celui de la littérature et de la civilisation du Moyen Âge anglais.
J'objectai pourtant :
- Un tel changement me serait des plus pénibles. Je tiens à cette matière que m'a transmise René Huchon et dont j'ai assuré la survie. De plus, la création de cette nouvelle U.V. exigerait un énorme travail, et encore faudrait-il que les autorités donnent leur aval ! On cherche plutôt à recruter des linguistes. Je ne voudrais pas me retrouver tout à coup dépossédée et totalement exclue de mon domaine.
Il m'affirma qu'il avait pris des contacts et qu'il était convaincu de l'accord unanime du Conseil de notre U.E.R., Conseil où je siégeais déjà, ainsi qu'au C.C.U., privilèges qui me permettraient d'exposer et de défendre mon point de vue. Il se montra tellement pressant que j'éprouvais à son égard une sorte de pitié, au sens positif, remplie d'indulgence mais dépourvue de commisération. Cet homme, humble et franc, m'attendrissait. Après m'être assurée de l'appui général, je cédai. Par charité pure, je remis donc entre les mains de Jean-Robert Simon - un inconnu - l'enseignement que mon maître Huchon avait jadis choisi pour moi, l'objet d'une vocation, suscitée mais consentie, à laquelle, depuis 28 ans, j'avais donné toutes mes forces dans un total enthousiasme.
En silence, je me suis tournée vers les nouvelles perspectives qui s'offraient. D'une part, j'allais envisager l'aspect littéraire de la production médiévale dans son ensemble, et non plus réduit à de courts exposés avant l'étude de chaque texte - chose facile car j'avais publié, en 1962 aux PUF, une Littérature anglaise du Moyen Âge (500-1500), base solide et vaste. D'autre part, je révèlerais l'aspect civilisationniste du Ve siècle au XVe siècle, immense champ d'action peu défriché, qui demanderait un labeur considérable à travers les mutations de la politique et des mœurs en terre britannique. Que de minutieuses recherches dans une foule de directions : institutions éducatives, histoire civile, juridique et religieuse, archéologie, géographie, agriculture, industrie, économie, arts et métiers, etc. Source inépuisable de découvertes et d'intérêts ! Je n'ai jamais regretté d'avoir exploré ce riche terrain, quasi inexploité en France, et de l'avoir mis à la portée de tous, soit par des cours dialogués entre mon assistante Yvonne Bridier et moi, soit par l'utilisation des moyens audio-visuels récents, permettant la projection de cartes, enluminures, manuscrits. Il suffit de constater que, de nos jours, la plupart des sujets de thèse concernent des aspects civilisationnistes et que trop rares sont les choix individuels de recherche linguistique. Le Moyen Âge anglais actuel subsiste surtout grâce à son visage socio-culturel, c'est-à-dire grâce à la fondation forcée en 1969 de cette U.V. inattendue.
Mais, en 1974, survint le drame : Jean-Robert Simon décédait subitement. Vide douloureux, qu'il fallait bien tenter de réparer : le Conseil de l'U.E.R., unanime, me pria alors d'assumer les deux enseignements. C'est ainsi que je devins, seule, professeur de langue, littérature et civilisation du Moyen Âge anglais ».
Portrait d'après Jean-Pierre Mouchon
modifierGrande figure des études médiévales anglaises en France, Marguerite-Marie Dubois arrive à la Sorbonne en 1941. Elle est responsable de la préparation du certificat de philologie anglaise. Elle doit lutter pour organiser la section de philologie et d'anglais médiéval ou vieil-anglais, au lendemain de la mort de René Huchon. De 1941 à 1983, elle assure ses cours à la Sorbonne et les différentes ENS, et est la présidente-fondatrice du Centre d'études médiévales anglaises (CEMA)[9]. Ses connaissances multiples, (latin, grec, sanskrit, hittite, gotique, scandinave, vieux-haut-allemand, anglais ancien et contemporain, italien, un peu de tokharien et de tzigane), lui permettent d'aborder des sujets très divers peu ou point enseignés à l'époque[10]. En cela, elle fait figure de pionnière.
La Grammaire complète de la langue anglaise, écrite en collaboration avec Charles Cestre (Larousse, 1949) est, pendant des décennies, un instrument de travail pour les élèves des lycées et des collèges, et aussi pour les étudiants préparant le certificat de philologie anglaise et les concours d'enseignement, CAPES et Agrégation. Ouvrage de référence, riche en exemples, elle apporte une réponse à la plupart des problèmes grammaticaux. De plus, elle éclaire la langue contemporaine par l'évocation de ses origines et de son histoire[11].
C’est surtout en tant que lexicographe que Marguerite-Marie Dubois donne toute sa mesure. Ses dictionnaires bilingues, préparés avec toute une équipe de collaborateurs britanniques et américains (dont Barbara Shuey) remplacent nombre de dictionnaires obsolètes parfois parus avant la Seconde Guerre mondiale et même au XIXe siècle (dictionnaires bilingues d'Alfred Elwall). Les niveaux de langage[N 8] y sont indiqués, les différentes nuances observées, les locutions abondent et les traductions se caractérisent par leur précision. Le Dictionnaire français-anglais de locutions et expressions verbales (Larousse, 1973) s’attache aux syntagmes, c’est-à-dire aux expressions globales[N 9],[12]. Ce principe est ensuite adopté et adapté par les dictionnaires d’anglais de Françoise Dubois-Charlier[13], publiés également chez Larousse, et bien plus tard par Valérie Katzaros[14]
D'autre part, dans sa jeunesse, Marguerite-Marie Dubois, romancière, poète et théologienne, a abordé le chant lyrique avec sa voix de soprano dramatique[11],[15].
Mort
modifierElle meurt en 2011 dans 15e arrondissement de Paris[16].
Travaux
modifierActivités administratives
modifier- Ancien membre du Comité national des universités (CNU).
- Présidente-fondatrice de l'Association des maîtres-assistants et chefs de travaux (AMACT, Paris IV).
- Fondatrice du Centre d’études médiévales anglaises (CEMA, Paris IV).
- Cofondatrice, avec Jean Simon, de l'Association des médiévistes-anglicistes de l'enseignement supérieur (AMAES).
- Vice-présidente, puis vice-présidente honoraire de Terra Beata, Société historique et littéraire, fondée à Marseille par Jean-Pierre Mouchon en 1999.
Distinctions honorifiques
modifier- Officier de l'Ordre des Palmes académiques ()
- Membre de l'Académie italienne des Lettres et Arts,
- Commandeur académique du Verbano (Italie, ).
Organisation du congrès de Luxeuil
modifierÀ la demande de Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, Marguerite-Marie Dubois, alors chargée de conférences à la Sorbonne, organise, avec l'aide des services de Jean Monnet et de la présidence du Conseil (Georges Bidault), le congrès international de saint Colomban à Luxeuil-les-Bains du 20 au .
Ce congrès est un paravent pour permettre aux dirigeants de huit états (France, Royaume-Uni, Italie, Irlande, Autriche, Luxembourg, Suisse, Vatican), omettant volontairement la Grande-Bretagne et l'Allemagne, de se réunir afin de discuter entre eux des prémices d'un projet européen. Parmi les émissaires figurent Angelo Roncalli futur pape Jean XXIII, le vice-président de l'OECE Seán MacBride pour l'Irlande, le délégué de l'ambassade américaine à Paris John Brown, alors qu'Alcide De Gasperi a délégué un de ses proches, Mario Mozzi[17],[18]. À l'occasion de ce congrès, Marguerite-Marie Dubois écrit une vie de saint Colomban[19]. C'est elle qui élabore les actes du congrès[20] et compose un « Mystère » en vers joué lors des célébrations au théâtre de verdure[21]. Les entretiens politiques, tenus sous le couvert de ce congrès international religieux, avec des cérémonies liturgiques et des divertissements, sont restés totalement secrets pendant plus d’un demi-siècle.
Précédant d'un an la Déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman, les entretiens de Luxeuil ont pu servir à créer un climat favorable et une complicité pour les négociations qui amèneront à fonder la CECA le [17].
Ces préparatifs et l'analyse des entretiens figurent ci-après (boîte déroulante) dans l'interview accordée par Marguerite-Marie Dubois à Boris Colling[N 10] en 2009 et publiée avec leur aimable autorisation.
Les entretiens de Luxeuil
modifierB.C. Madame… Mademoiselle… Marguerite-Marie Dubois…, vous étiez, je crois, chargée de conférences à la Sorbonne en 1950 ? Puis-je vous demander quels rapports vous aviez avec Robert Schuman lorsqu'il vous a priée d'organiser les fêtes du Quatorzième Centenaire de Saint Colomban ?
MMD. Votre question est précieuse, Monsieur, car, 60 ans après les événements, bien des légendes se sont construites autour du fameux "secret de Luxeuil". Et je reste la seule survivante à pouvoir en parler aujourd'hui. Oui, j'étais, depuis 1941, la première femme enseignante à la Sorbonne dans le domaine de la philologie anglaise, mais je ne connaissais pas personnellement Robert Schuman qui ignorait tout de mon existence.
B.C. Ah… Je suis surpris… Les informations actuelles seraient-elles erronées ? Vous étiez celtisante peut-être et spécialiste de St Colomban ?
Pas davantage : j'étais indo-européaniste de culture et anglo-saxonisante par fonctions ! Si je n'ignorais rien de St Colomban en tant que théologienne et canoniste, il ne faisait partie ni de mes spécialités, ni de mes préoccupations.
B.C. Mais alors, que s'est-il passé ?
MMD. À la fin de l'été 1948, mon maître et ami Gabriel Le Bras, professeur de droit romain et de droit canonique à la Faculté de Paris, s'invita d'urgence à mon domicile.
— Je viens vous voir, me dit-il, en tant que Conseiller au Quai d'Orsay pour les affaires ecclésiastiques. J'ai besoin de votre aide dans le domaine politico-religieux.
Je protestai :
— Mon aide ? Je n'ai jamais fait de politique !
— Vous en possédez le sens. C'est ce qui convient….
Et il m'expliqua que, le matin même, Robert Schuman lui avait demandé de réunir, sous un prétexte quelconque, plusieurs chefs d'État étrangers, ou leurs représentants. Il désirait discuter, sans témoins, avec des sommités, de sa grande idée en voie de développement : la création de l'Europe. Mais il exigeait que les entretiens demeurent secrets, strictement secrets. Il voulait une « couverture » de plomb.
B.C. C'est étrange.
MMD. Je m'étonnai aussi. Et Le Bras précisa :
— Il n'a rien à cacher, mais il est échaudé ! Il a été blackboulé à l'Assemblée, le , pour une question mineure. Et, le , il a dû quitter la Présidence du Conseil, après seulement cinq jours d'exercice. Aujourd'hui, avant d'exposer coram populo ses conceptions pro-européennes, encore fragiles, il veut tester.
B. C. En 48, il y avait longtemps qu'il testait. Tout était largement amorcé.
MMD. J'objectai, comme vous :
— Tester, par des menées sourdes, alors qu'il hait la dissimulation ? Ça ne lui ressemble pas. Et ça ne se fait pas ! — Oh si ! Ça se fait… , répliqua Le Bras. Et il m'apprit que c'était un procédé courant. Quand des personnalités politiques souhaitaient comploter dans l'ombre, on camouflait la rencontre.
Tel avait été le cas, le , lorsque le duc de Kent, en mission politico-diplomatique, s'était rendu en hydravion au Portugal. Le but officiel de sa visite, c'était d'assister aux célébrations du tricentenaire de la dynastie des Bragance. Le but réel, inavoué, c'était de participer, en coulisse, aux efforts du Gouvernement britannique pour tenter de convaincre le dictateur portugais Salazar de rester neutre pendant la guerre
B.C. Ah ! Je ne savais pas.
MMD. Moi non plus.…Et Le Bras insista : "Schuman veut se faire des alliés ou consolider des alliances. Mais il exige le silence. L'ennui, c'est que je n'ai aucun plan à lui proposer ; je ne vois pas comment le satisfaire."
Et il me demanda :
— Auriez-vous une inspiration par hasard ?
Brusquement, j'eus un éclair :
— Vous avez parlé, Monsieur, d'un tricentenaire utilisé comme paravent. Il suffirait d'appliquer le même moyen, puisqu'il a fait ses preuves… On devait célébrer en 1940 le quatorzième centenaire de l'Irlandais saint Colomban. C'est une figure parfaitement européenne : au VIe siècle, il fonda les abbayes de Luxeuil en Gaule, de Bregenz en Autriche et de Bobbio en Italie.… Pourquoi ne reprendrait-on pas en 1950 ce que la guerre a empêché de réaliser en 40 ? Un congrès multinational sur la vie et l'œuvre d'un évangélisateur international permettrait de réunir des érudits, ainsi que des hommes d'Église et d'État de toutes les nationalités.
Le Bras trouva l'idée séduisante. Et il ajouta :
— Vous êtes angliciste, médiéviste, historienne de l'Église, d'origine celte, en plus. Et vous portez un nom prédestiné : rappelez-vous que le légiste Pierre Dubois, luttant contre le pape Boniface VIII, rêvait déjà en 1301 de mettre la France à la tête de l'Europe.… Il n'y a pas à hésiter. Je vous charge de tout.
B.C. Et vous n'avez pas hésité ?
MMD.. Non, je n'ai pas hésité. Pourtant l'entreprise était périlleuse. Mais j'avais 33 ans, l'âge du Christ lors de sa Passion, et j'avais l'habitude de vivre au jour le jour, en communion avec Lui, en pleine conscience mais en parfait abandon. En cela, je ressemblais à Robert Schuman, qui, selon ses collaborateurs, tout effacé qu'il fût et peu enclin aux innovations, "prenait brusquement les initiatives les plus hardies et les poussait jusqu'au bout, quand il était sûr de ce qu'exigeait sa voix intérieure". Ma voix intérieure avait parlé : je fis face.
B. C. Vous étiez bien jeune. On le voit sur les photos de l'époque. Vous aviez du courage…
MMD J'étais jeune, mais pas tout à fait novice.… J'ai pris contact avec Robert Schuman, et il m'a introduite auprès de ses familiers. Le tout premier fut Jean Monnet ; et j'abordai, sans en connaître le rôle, le concepteur génial de la Communauté européenne "Charbon-Acier", la CECA. Vous savez de quoi il s'agissait : il fallait réussir à placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon et d'acier sous une Haute Autorité supranationale dont les décisions s'imposeraient aux États groupés. Innocemment, sans me douter de rien, je participai à l'extraordinaire montage, élaboré par Schuman dans le plus parfait mystère, avant le miraculeux succès de son plan, le .
B.C. On baignait déjà dans une ambiance occulte ?
MMD. Et combien ! La plus romanesque qui soit… Mais la grande Histoire connaît à l'heure actuelle toutes les péripéties de cette aventure. Ce qui reste inconnu, c'est le « secret de Luxeuil ».
B.C. Et pour Luxeuil, Schuman vous initiait et vous faisait confiance ?
MMD. Il ne m'a jamais dit un mot de ses projets. Mais il m'ouvrait des portes. Je sollicitai d'abord le Président de la République pour qu'il accepte de patronner les Fêtes. Vincent Auriol était parfaitement athée, mais très ouvert, capable de mesurer l'importance d'un Congrès d'études religieuses, assorti de cérémonies liturgiques, pour couvrir des pourparlers politiques, lourds de conséquences.… J'eus aussi, immédiatement, mes entrées chez le Président du Conseil, Georges Bidault, et presque tout son cabinet, y compris les diplomates européens résidant à Paris, essentiellement les Irlandais en la personne du ministre plénipotentiaire Cornelius C. Cremin… et directement en Irlande, car on me guida pour joindre le chef de l'Opposition, le grand De Valera., ainsi que le Président du Conseil, John Costello..
B.C. Les Irlandais ? À cause de Colomban, bien sûr ! Quelle était la valeur de ce saint aux yeux de Schuman ?
MMD. À l'origine, aucune… Schuman ne mesura l'importance de l'expansion colombanienne qu'en lisant en 1950 l'ouvrage où je présentais ce moine comme un "pionnier de la civilisation occidentale".
B.C. Oui, un livre fort érudit qui se lit comme un roman. Dommage qu'il soit épuisé… Une réédition serait la bienvenue.
MMD. J'ai donné à Luxeuil les derniers exemplaires que j'avais conservés à titre de souvenirs, mais les excellents travaux de Gilles Cugnier permettraient une mise à jour…
B.C. Avez-vous discerné des points communs entre le monachisme colombanien et l'univers politique de Schuman ? Y avait-il une ligne, un fil rouge, qui les reliait ?
MMD. Il y avait beaucoup plus qu'un fil rouge : il y avait 14 siècles de foi intrépide, d'extension pastorale, de lutte contre la violence, de quête de paix et d'harmonie entre les peuples. Il y avait une chaîne d'or sous un manteau pourpre.
B.C. Un manteau pourpre ? Vous pensez aux dignitaires de l'Église, si nombreux, qui ont assisté aux célébrations ?
MMD. Pas exactement, mais votre association d'idées fait image. J'avais invité – et ils sont presque tous venus ou se sont fait représenter – 42 prélats de 8 nations, dont 20 archevêques ou évêques, et 12 abbés de monastères, sans compter de nombreux protonotaires apostoliques et 3 supérieures générales de couvents féminins. Quatre sont devenus cardinaux, et l'un d'eux, pape.
B.C. Ah oui, le bon pape Jean…
MMD. Jean XXIII n'était alors qu'Angelo Roncalli, nonce apostolique à Paris, mais il m'a fait l'honneur de m'accorder son amitié, ce qui est un merveilleux cadeau.
B.C. On dit que, dans ses fonctions, il faisait preuve d'une bonhomie un peu naïve et d'une originalité déconcertante. Est-ce ainsi que vous l'avez connu ?
MMD. Oui et non. Un tel portrait est sans nuances. Son aspect bon enfant était souvent une couverture, tout à fait pratique. Comme Schuman et certains hauts responsables, il était passé maître du secret. Tout au long de sa carrière, si délicate et dangereuse en Turquie et en Grèce, il avait appris l'art du comportement.
B.C. C'était donc une tactique ?
MMD. Son attitude était à la fois spontanée et réfléchie ; rien n'était hasard, tout visait à un but, insoupçonnable.… La première fois qu'il m'accueillit à la nonciature, il ne me permit pas de fléchir le genou pour baiser son anneau ; il me releva avec un grand sourire, en se moquant du cérémonial qu'il prétendit « périmé ». Or, ce geste protocolaire n'était pas périmé du tout ; il était même d'usage impératif. Le , deux correspondants de presse, l'un d'Irlande, l'autre du Luxembourg, ont publié une photo où, lors d'une réception, l'illustre Eamon de Valera baisait l'anneau de Mgr Roncalli.
B.C. En vous traitant de façon familière, le nonce avait donc une arrière-pensée ? Laquelle ?
MMD.. Il voulait créer une intimité immédiate. Il m'a fait asseoir et, au lieu de regagner son fauteuil derrière le bureau, il s'est assis devant moi, Visiblement, il montrait que nous devions causer, et non conférer. Ce qui se réalisa sur le champ. Aucun échange n'aurait pu être plus cordial, ni plus naturel.
B.C. À votre avis, était-il au courant des intentions de Schuman ?
MMD. Nous n'avons jamais abordé ce sujet : je respectais le secret d'État, il respectait mon silence. Mais je suis persuadée qu'il était au courant.
B.C. En avez-vous des preuves ?
MMD. Des preuves, c'est beaucoup dire… J'ai relevé des allusions, indirectes, très succinctes… J'en trouve une qui me paraît nette, dans son Journal 1949-1953, dont le texte a été publié en 2008 par l'historien Étienne Fouilloux, aux éditions du Cerf. Le nonce gardait note, scrupuleusement, tous les jours, de ses faits et gestes, mais sans jamais livrer le moindre de ses sentiments malgré le caractère privé, absolument inviolable, de ses carnets.
B.C. Et pour quelle raison ? Que redoutait-il ?
MMD. La guerre était finie, mais, d'instinct, chacun se méfiait encore. La présence d' "oreilles ennemies", nazies, fascistes ou soviétiques, avait enseigné le mutisme aux plus bavards. Où qu'il fût, Roncalli se taisait.
B.C. Sa faconde, sa jovialité, son air bonasse, sa candeur, c'était un masque ?
MMD. En quelque sorte. Il écartait ainsi toute méfiance. Or, rompant avec sa prudence extrême, le dimanche , en évoquant les Fêtes de Luxeuil décrites comme "grandioses", il a mentionné par écrit, la "réunion politico-religieuse, avec prise de parole des représentants de Bobbio, d'Irlande, d'Autriche, d'Amérique, de Saint-Gall, de France." Ce sont ses termes exacts. Il connaissait la valeur des mots ; l'expression "politico-religieuse" et l'énumération des pays en cause devenaient franchement révélatrices de tractations..
B.C. Et savait-il en quoi elles consistaient ? C'est cela, paraît-il, le "secret de Luxeuil"! On en ignore encore la nature.
MMD. Il savait, de toute évidence, ce que dévoilaient sans éclat de très rares journalistes inquisiteurs, ancêtres de nos actuels journalistes d'investigation. À vrai dire, je n'en ai connu qu'un en France. C'était Jean Bossu, envoyé spécial de La Liberté de l'Est. Le 22-, il annonçait, dans un simple encadré, intitulé "Conversations Schuman-Mac Bride", que le ministre irlandais des Affaires étrangères "pensait avoir avec le ministre français des entretiens d'un caractère général, au cours desquels ils envisageraient la situation internationale sous ses différents aspects et notamment étudieraient les questions relatives à l'oece" (l'Organisation Européenne de Coopération Economique). Le , il ajoutait que les conversations avaient porté, en outre, sur le Conseil des Ministres de l'Europe, ainsi que sur la préparation de l'Assemblée européenne, prévue pour le mois d'août à Strasbourg. Mac Bride devait faire un très important discours le .
B.C. Et nul ne s'en est ému ? C'était pourtant un scoop.
MMD. Pas du tout : ce n'était qu'une maigre annonce, hors de la tonalité festive. Elle passa inaperçue, dans le vacarme médiatique autour des chefs d'État, premiers ministres, ambassadeurs, princes de l'Église, experts en recherches historiques, théologiques ou littéraires, et gens de scène chevronnés.
B.C. En effet, vous avez eu des représentations de gala, magnifiques, mais mouvementées en raison de troubles météorologiques, m'a-t-on dit.
MMD. Oui. C'était aussi un sujet de conversation. On parlait beaucoup de ce Mystère, écrit en vers, par un auteur absent dont on cherchait en vain la trace. Et pour cause : le texte avait été publié aux éditions de la Tour du Guet sous mon pseudonyme, Paule de Gimazane, ce qui me préservait des curieux. De façon bien inattendue, la pièce a été jouée à la médiévale, dans l'enceinte de la basilique, pour cause d'orage, par une excellente troupe parisienne où Jean Valcourt, de la Comédie française, interprétait le rôle de Colomban, où intervenaient aussi Maurice Revel et Robert Trenton, du Théâtre de l'Odéon, Robert Le Flon, du Théâtre de la Porte St Martin, et nombre d'artistes connus, dont Suzanne Brevin et Henriette Louzier.
B.C. Les divertissements ne manquaient pas de qualité.
MMD. Il y en avait pour tous les goûts — Beaucoup.s'intéressaient aux assauts d'érudition des congressistes — D'autres visitaient l'exposition des trésors venus d'Italie, d'Irlande, de Suisse, et bien entendu de la Bibliothèque Nationale et de celle de Besançon, sous la responsabilité de la conservatrice, Mlle Cornillot, et du professeur Pierre Marot, de l'École des Chartes..— Les mélomanes étaient ravis par les prouesses de l'organiste de Besançon, Colette Aymonier, et celles des chorales de Luxeuil et de Gray, exécutant la Missa Brevis de Palestrina et l'Exultate Deo de Scarlatti, sous la baguette de Pierre Lécot. On aimait beaucoup l'hymne à saint Colomban, composé en gaélique par le Révérend O'Donnell en Chine et orchestré par Robert O'Dwyen. On appréciait le concert éclatant des trompes de chasse de la fanfare de Luxeuil, et la virtuosité des 49 musiciens de l'orchestre philharmonique de Saint-Gall, dirigés par Leo Hug.
B.C. On m'a signalé une sorte de bizarrerie atmosphérique qui a fait sensation. De quoi s'agissait-il ?
MMD. Alors qu'une pluie serrée continuait à arroser les spectateurs, un miracle colombanien1 se renouvela quelques mètres plus loin. Sur la place des Chênes, le soleil illumina brusquement le reposoir, à la minute où Mgr Joseph Meile, évêque de Saint-Gall, y déposait le bras-reliquaire de saint Colomban et la statue de saint Gall, offerts à Luxeuil par la Suisse.
B.C. Décidément, l'heure était aux prodiges : le don, par Bobbio, du "chef" momifié de Saint Colomban, dans une châsse en forme de buste, appartenait au domaine du spectaculaire et, d'autre part, la découverte des entretiens politiques par Jean Bossu représentait un exploit hors du commun. Savez-vous par quels moyens ce reporter avait pu déterrer des détails si bien cachés ?
MMD. Il les tenait probablement d'un publiciste de Dublin, attaché au Sunday Independent. Dans le volume 45 de la collection de ce journal, à la une du no 30, un tout petit extrait, paru le dimanche , titré Spirit of Columbanus, contenait les mêmes révélations. Il n'était pas surprenant qu'un Irlandais ait, en 4 lignes, divulgué cette information : dans son pays : il n'y avait pas de secret à garder. La presse non française, informée Dieu seul sait comment, pouvait se permettre de tout étaler. Mais l'homme, astucieux et hardi, qui donnait dans le sensationnel, c'était Jean Bossu en France.
B.C. Et nul n'en fit cas. Il avait pourtant de l'étoffe. A-t-il lancé d'autres bombes de ce genre ?
MMD. Rien d'éclatant. Une simple anecdote, grâce à laquelle Schuman passa pour modeste et courtois, alors qu'il usait de faux-fuyants : Quand le professeur Le Bras sollicita son avis sur un point d'histoire religieuse, l'habile homme se déclara incompétent :"Je ne m'occupe que du temporel", dit-il en souriant, et lorsque les journalistes l'interrogèrent sur la politique, il répondit, avec le même sourire : " Ici, la priorité est à la culture". On en fit matière à plaisanterie, sans comprendre que cette dérobade révélait la crainte d'être découvert.
B.C. Le non-dit était un signe des temps ?.
Moi. Tout-à-fait. Dissimulation chez les dirigeants, myopie chez les dirigés ! En politique, c'était constant, comme l'est dans la Nature l'art du trompe-l'œil.
B.C. Voilà pourquoi, tout à l'heure, vous mettiez l'accent sur l'audace du nonce qui consignait par écrit une précision révélatrice ?
MMD. Oui. Or, cette réunion-là, dite "politico-religieuse", n'avait rien de ténébreux ; elle avait été publique, étalée sur la place Saint-Pierre, après l'inauguration de la statue de Colomban, sculptée par Claude Grange, de l'Académie des Beaux Arts.. Près de 20 000 auditeurs avaient entendu les discours, mais personne ne s'était douté qu'ils confirmaient des ententes préalables. Pas plus que n'avaient été perçues les intentions du nonce lorsqu'à la fin du banquet, au cours de son intervention officielle, il avait avoué : "Le nonce devrait être sans patrie, sans père et sans mère. Cependant, à cette heure, il ne peut évoquer sans émotion la rencontre des fils de Jacob devant le vice-roi. Après s'être tu longtemps, Joseph laissa enfin déborder son cœur : "Je suis votre frère", s'écria-t-il. Et moi, je ne puis m'empêcher de l'imiter, en retrouvant à cette table mes frères italiens : Mgr Galbiati, Préfet de la Bibliothèque ambrosienne, M. le Maire de Bobbio et ses compagnons qui apportent à la France le souvenir de l'Italie, dernière patrie de St Colomban. Aujourd'hui, par leur présence et l'offrande de la précieuse relique qu'est le chef du saint, ils prouvent avec surabondance que quatorze siècles de vie à Bobbio, parallèles à quatorze siècles de vie à Luxeuil, n'ont en rien entamé la fraternité spirituelle qui unit les sœurs latines dans le cœur du Christ et le sein de l'Église".
B.C. Ces phrases semblent refléter un sentiment, disons… personnel. Avaient-elles un double sens ?
MMD. Assurément. J'en eus sur le champ la quasi-certitude. Mais j'en ai aujourd'hui la confirmation par Angelo Roncalli lui-même, puisqu'en notant dans son carnet les grandes lignes de son allocution, il a précisé : "J'ai prononcé un toast dans lequel j'ai sauvé l'honneur de Bobbio et des Italiens présents, un peu laissés de côté".
B.C. Pour moi, c'est une déclaration anodine. J'avoue que son intérêt m'échappe.
MMD. Il a échappé à tout le monde. Permettez-moi d'élucider.… Schuman, qui n'était pas isolé dans sa vision politique, avait un grand ami en la personne d'Alcide de Gasperi, Chef du Gouvernement italien, homme de foi comme lui. Gasperi, qui soutenait le pool Charbon-Acier, n'avait pu se déplacer pour se rendre en personne à Luxeuil ; mais, par la bouche de son délégué, Mozzi, maire de Bobbio, il avait apporté l'adhésion de son pays aux projets secrets de Schuman. Bien entendu, rien n'en avait transpiré ; et la délégation italienne, encore suspecte dans l'opinion française en raison de la réputation sulfureuse du Duce, n'avait manifestement pas bénéficié d'une juste considération parmi les non-initiés. C'était inadmissible, surtout après le don d'une relique insigne. Le nonce en avait éprouvé de la peine, et son franc patriotisme l'avait poussé à jouer de sa propre réputation pour "sauver l'honneur" de ses compatriotes. Un tel geste, de la part du représentant du Saint Siège, prenait une ampleur, non seulement internationale, mais mondiale. Et ce sentiment personnel devenait universel.
B.C. Je comprends… C'est très subtil.… Y a-t-il eu d'autres interventions qui véhiculaient des réalités tout aussi insoupçonnables ?
MMD. En général, les orateurs illustraient le rôle d' "unificateur des nations" qui avait fait de saint Colomban le premier Européen des âges obscurs. Ainsi, l'évêque de Saint-Gall, qui parlait au nom de la Suisse chrétienne, expliqua que "l'action missionnaire de Colomban et de ses frères avait produit une restauration dans toute l'Europe médiévale", ce qui était banal, mais il ajouta finement : " L'Europe d'aujourd'hui a besoin d'un renouvellement. La patrie adoptive de St Gall cherche à y prendre part avec un zèle particulier. Et Luxeuil, par ce grand mouvement du XIVe Centenaire, se tient au centre de cette réforme ; il s'agit, sur le terrain international, d'une mission sociale et chrétienne, d'un épanouissement de la foi pour édifier un monde puissant et durable". C'était là un assemblage verbal astucieux, du type "patchwork", qui cousait en un seul tissu la toile et la bure, le politique et le religieux.
B.C. D'autres orateurs ont-ils usé du même procédé ?
MMD. Presque tous ! Je les cite :
— Le ministre de l'Air, député-maire de Luxeuil, André Maroselli, a utilisé une formule, apparemment vague, mais facile à décoder ; il a déclaré : "Les Fêtes, dont Luxeuil est aujourd'hui le centre, ont des échos et un sens qui dépassent singulièrement l'horizon immédiat dans lequel elles se déroulent". C'était clair : il fallait voir plus loin et dégager une portée autre que religieuse, née en ces temps et lieu, mais non encore atteinte. « Qui a des oreilles, entende ! »
— John Costello, Président du Conseil d'Irlande, après avoir comparé la situation politique du VIe siècle à celle de notre Après-Guerre, a posé une question limpide, d'interprétation évidente : "Ne comprendrons-nous pas la nécessité d'une coopération étroite, non seulement entre les États européens, mais entre tous les hommes de bonne volonté, pour bâtir un monde qui désire passionnément la paix ? Cette "coopération étroite" venait de se sceller entre les murs discrets de Luxeuil.
— Le Chef du Gouvernement cantonal sangallois, M Riedener, a sollicité "la protection du Saint Fondateur de l'Europe, sur l'Occident tout entier". Il prévoyait déjà l'extension de l'Union amorcée.
— Le Ministre du Commerce dans le Gouvernement de Vienne, le Dr E. Kolb, a formé des vœux "pour que les pays de l'Europe occidentale s'unissent dans l'entraide et la concorde, à la manière dont pavoise Luxeuil, les drapeaux de huit nations s'entrelaçant sur ses murs ". Ces faisceaux symbolisaient la coalition des forces rassemblées.
B.C. À retardement, c'est certain, on perçoit l'allusion au rêve d'unification européenne qui habitait l'esprit des Fondateurs. Mais, quand on n'est pas informé, il est impossible de s'en rendre compte.
MMD. D'autres participants ont tenu des propos un peu moins abstrus.
—Sean Mac Bride, le Ministre des Affaires étrangères d'Irlande, qui m'était devenu très proche, a respecté le secret certes, mais ostensiblement il a déclaré parler "en homme politique", représentant "non seulement le Gouvernement et la Nation irlandaise, mais aussi plus de 30 millions d'Irlandais, dispersés en Amérique, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et jusqu'en Asie ".. En effet, un groupe des Pères de St Colomban avait fait le voyage depuis la Chine et le Japon. Mac Bride n’a pas cherché à dissimuler que des accords avaient été noués à Luxeuil entre son pays et le nôtre puisque deux journaux l'avaient dévoilé. Il s'est écrié : — C'est vers la France et son illustre Ministre des Affaires étrangères, M. le Président Schuman, qu'en Irlande nos regards se tournent pour que se développe un plus haut degré de coopération européenne.."
Puis, il a remercié tous les organisateurs de la rencontre nominativement, y compris à Luxeuil le chanoine Thiébaut, et à Paris Gilles Cugnier et moi, en terminant par une sorte de rébus :
— Nous sommes certains que les travaux et les délibérations qui se font tenus à Luxeuil auront des résultats importants et aideront au développement de la civilisation européenne et chrétienne dans l'idéalisme de St Colomban.
Des congressistes curieux se sont demandé quels étaient ces « travaux et délibérations », supposés connus, mais demeurés indécelés… pendant plus d'un demi-siècle.
B.C. Et Schuman lui-même, comment a-t-il manœuvré ? Il ne pouvait se dérober, car tous se recommandaient de lui. Comment a-t-il évité de parler ?
MMD. Justement, en ne l'évitant pas. Il a même donné l'impression de se confier sans réserve à la masse des curieux qui se pressaient devant la tribune. Son discours était écrit ; il en tenait les pages à la main. Il s'y référait sans cesse, lisant, car il n'était pas doué pour la parole et ne s'en cachait point, et surtout, à mon sens, parce qu'il avait pesé ses mots et n'entendait pas en changer au hasard de l'improvisation. Son ton était monocorde ou très rapide, sa voix parfois rocailleuse, parfois étouffée, son débit sans grâce. Il n'a confié son texte à personne, et toutes les archives consultées jusqu'à nos jours restent vides de ce document.
B.C. Certains journaux ont cité des extraits.
MMD. Les journalistes les plus habiles sténographiaient des passages, jugés marquants, en négligeant à coup sûr l'essentiel qui devait être sibyllin ou inaudible. Je puis vous rapporter quelques phrases, tirées de paragraphes suggestifs, et vous éclairer sur la "double entente".
B.C. Ce sont des inédits ?
MMD. Nullement. Ces extraits ont paru dans les Mélanges colombaniens, c'est-à-dire les Actes du Congrès, relevant de la Société d'Histoire ecclésiastique de la France, publiés chez Alsatia en 1951 ; et tout se trouve aujourd'hui consultable sur le site de Luxeuil.
B.C. À portée de main ? C'est un comble.
MMD. À portée de main… comme l'est une porte close, facile à ouvrir pour qui possède la clé, mais, sans la clé, incrochetable…Or, la clé, je l'ai. Donc, je puis vous ouvrir des tiroirs secrets. Écoutez et, si quelque chose vous intrigue, n'hésitez pas à poser une question.
B.C. J'écoute.
MMD. Je cite Schuman : « La France se félicite de l'initiative qui a été prise à l'occasion des Fêtes de Luxeuil ».
Cette phrase, très courte, d'une concision extrême, est à peine entendue à l'audition, et, à la lecture elle exige une analyse. En quelques mots, Schuman a avoué sans fard que les Fêtes colombaniennes ont été « une occasion », traduisez « un prétexte », pour mettre en œuvre « une initiative » prise par la France. Il a volontairement omis de préciser la nature de cette initiative. Mais les faits sont parlants : la France a manifestement réuni, autour de ses propres dirigeants, les représentants officiels de huit nations, avec le projet évident de conclure des ententes entre ces huit pays. Et c'est ce qui a été fait.
B.C. Entre les huit nations, vraiment ?…
MMD. Mais oui. Jean Bossu, dans la République, le , précise bien que "des sentiments de fraternité ont été scellés entre plusieurs nations, à Luxeuil, humble ville qui a bénéficié d'un illustre fondateur que le monde entier a été unanime à fêter".
B.C. Avec l'Irlande, cela parait évident : il est rare de rencontrer un trio aussi impressionnant que Costello, Président du Conseil, Mac Bride, ministre des Affaires étrangères, et le légendaire De Valera, chef de l'opposition, réunis. Cette représentation a un sens, comme avait un sens l'absence de l'Angleterre.
MMD. L'Angleterre n'était pas opposée à Colomban ; pour lui, elle se serait déplacée ; mais elle était fort hostile à Schuman, et sa bouderie soulignait de façon évidente, mais muette, l'orientation politique des Fêtes. Par compensation, l'Écosse, frondeuse, avait délégué deux spécialistes du Collège St Andrews : MM. Walker et Scott, protestants.
B.C. Ce qui avait entraîné la présence protestante de la Franche-Comté, j'imagine?
MMD. Les 80 Luthériens de Luxeuil participaient avec joie ; et le pasteur Charles Mathiot de Vesoul, bien qu'il n'admît pas la "fonction de saint", magnifiait le rôle de Colomban parce qu'il imposait la loi de Dieu aux puissants : rois, seigneurs, évêques et même pape. Notez que le Prévôt anglican de Trinity College, le Dr E.H. Alton, était venu de Dublin.
B.C. C'est ce que je vous disais à l'instant : la stature dominante de l'Irlande faisait de l'ombre aux autres pays.
MMD. Les autres délégations étaient très fournies, mais moins voyantes et surtout moins médiatisées. — L'Italie, par exemple, avait désigné deux hommes politiques de renom : Mozzi, maire de Bobbio, et Malchiodi, conseiller national de Turin. Ils étaient appuyés par le représentant de l'Académie de Pavie, le professeur Pietro Vaccari, le Dr Turcotti, directeur de la salle de linguistique à l'Ambrosienne, le Dr Aldo Greco Bergamaschi, de Tradate, l'avocat G.B. Curti Pasini, de San Colombano al Lambro. Le Préfet de la Bibliothèque ambrosienne, délégué de Milan, Mgr Galbiati, était le seul ecclésiastique vêtu d'un habit civil à col romain, évoquant le protestantisme en une époque où le port de la soutane était rituel ; mais il tenait à figurer dans la délégation en tant que serviteur de l'État Cet habillement avait une signification claire. Il n'hésitait d'ailleurs pas à qualifier par écrit les fêtes colombaninnes d'avvenimento quasi politico.. — Le Vatican n'était pas en reste; Trois sommités très représentatives : Mgr Pfister, chanoine de Latran, Mgr Michael Browne, universitaire, professeur de philosophie, et le père Dodd, représentant le Provincial des Dominicains, venaient de Rome Mais il y avait mieux, beaucoup mieux. Le Pape Pie XII, en personne, s'était manifesté hautement, rappelant qu'il avait écrit autrefois un livre sur Bobbio ; et le nonce Roncalli avait transmis, de la part de Sa Sainteté, une bénédiction apostolique toute spéciale. Quel patronage plus éminent pouvait-on souhaiter ? Et que signifiait cet intérêt majeur en si haut lieu ?
B.C. On pouvait croire à un acte courtois de la part du Saint-Siège pour une cérémonie religieuse d'une telle envergure.
MMD. Un acte courtois se résume à la présence du nonce, porteur de la bénédiction apostolique courante : un point c'est tout. Or, le , un mois et demi après les Fêtes, Pie XII, veillant à la construction, dans la basilique romaine, d'une chapelle dédiée à St Colomban non loin du tombeau de Saint Pierre, accueillait les promoteurs de cette entreprise, c'est-à-dire les Chevaliers irlandais de Saint Colomban, présidés par le Chevalier Suprême Stephen McKensie, et il leur tenait un discours chaleureux dont je possède le texte.
B.C. Pouvez-vous le lire ? Il ne semble pas connu, du moins pas de moi.
MMD. Il a été assez peu diffusé, en effet. Le voici :
» Comme ce nom, Colomban, sonne clair tout au long des 1.400 dernières années ! Il est un écho des cloches de Bangor qui envoya ce héros, apôtre et savant à la fois, ouvrir en tant que pionnier les voies de la civilisation chrétienne dans une Europe à demi barbare. La France, l'Autriche et l'Italie ont vu la doctrine et la culture chrétiennes rappelées à une vie nouvelle en beaucoup de lieux grâce à l'impérieuse éloquence du saint moine irlandais. "Colomban n'est jamais venu à Rome. C'est Rome qui est allée à lui, comme à tout bon Irlandais, et qui a réglé constamment la fidélité de son esprit et de son cœur. Mieux encore : quand la barque de Pierre était secouée par la tempête de l'hérésie et que les flots la recouvraient presque, ce fut la voix audacieuse, courageuse, jetant le défi, de Colomban qui résonna au-dessus de l'ouragan, et il se fit un grand calme et une grande paix. "Combien donc il est éminemment convenable que, dans la basilique romaine séculaire, cœur de la foi qu'il a aimée et prêchée, tout près de l'emplacement de la tombe de Saint Pierre, la mémoire de votre, de notre, saint Colomban soit vénérée ! La chapelle qui porte son nom restera comme un digne monument de votre munificence, Messieurs les Chevaliers ; et nous sommes heureux de saisir cette occasion de vous remercier. Mais, au monde qui viendra y prier, elle dira l'histoire d'un peuple qui, après quatorze siècles écoulés, peut encore répéter la fière parole que St Colomban écrivait, en tout respect, au pape Boniface VIII : "Nous qui vivons à l'extrémité du monde, nous sommes tous les disciples de Pierre et de Paul. La foi catholique, telle que nous l'avons reçue de vous, successeur des Apôtres, nous l'avons gardée pure comme un diamant et préservée de toute souillure ».
B.C. Pie XII était lyrique.
MMD. Et mal informé. C'est à Benoît IV, qui régna de 608 au , qu'écrivit Colomban, et non à Benoît VIII (1294-1303). En outre, la citation est étonnamment poétisée : la lettre originale en latin ne porte pas mention de pureté adamantine"; la foi se contente d'être « maintenue fermement ».
B.C. En effet, l'Italie ne restait pas en retrait. On prétend que le Benelux était également représenté ?
MMD. C'est exact : la Belgique l'était par son ambassadeur, le baron Guillaume, qui s'était excusé in extremis en raison d'un accident mais qui avait dépêché un mandaté de pouvoir, et par le professeur L.Génicot, au nom de l'Université de Louvain — les Pays-Bas, par un attaché d'ambassade — le Luxembourg, par A. Funk, ministre plénipotentiaire en France, par Mgr Lommel, évêque coadjuteur de Luxembourg et par le Père Abbé de Clairvaux — auxquels s'ajoutaient le Préfet du Territoire de Belfort, et le Président du Comité exécutif de l'unesco, le Comte Stefano Jacini.
B.C. Et l'Autriche ? Colomban avait évangélisé Bregenz.
MMD. Le Bourgmestre de Bregenz était présent, accompagné de M. Ilg, Gouverneur administratif du Voralberg, sans oublier le Dr E. Kolb, Ministre du commerce dans le Gouvernement de Vienne, représentant Karl Reiner, Président de la République autrichienne. Je ne parle pas des très hautes personnalités religieuses, en nombre impressionnant.
B.C. L'Allemagne manquait.
MMD. Elle n'avait aucune raison d'être présente : Colomban n'a pas évangélisé la Germanie. Et pourtant, le hasard a voulu que deux des musiciens, parmi les dix membres de l'orchestre de cuivres venus de Saint-Gall, aient été allemands. Au moment de leur arrivée en France, les garde-frontières s'aperçurent que ces deux artistes n'avaient pas de visa. Indécis sur les mesures à prendre, ils songèrent à me téléphoner ; je répondis que ces trompettistes étaient aussi des pèlerins en chemin pour Luxeuil, bénéficiant de l'appui du Quai d'Orsay. Et on les accueillit sans plus tarder.
B.C. Heureuse décision!…La Suisse avait bien fait les choses aussi.
MMD. Avec beaucoup de panache et une certaine ostentation qui éclipsait l'Italie.. Étaient présents le Dr J. Riedener, Chef du gouvernement cantonal de Saint-Gall ; le Dr Eberle, Président du Conseil administratif ; le Dr Migy-Fattet, maire de Saint-Ursanne ; les plénipotentiaires M.C. Benziger à Dublin, Carl Burchard à Paris, et le consul à Besançon, Voirier. L'Université de Fribourg avait délégué l'illustre professeur Gonzague de Reynold, et la culture sangalloise était personnalisée par le bibliothécaire Johannes Duft, gardien de 20 000 manuscrits. Les hommes d'Église, évêques et abbés de monastères, en
nombre considérable, entouraient les reliques et la statue de leur saint Patron qui, séparé de son Maître depuis 14 siècles, le retrouvait enfin dans l’émouvante fraternité des ossuaires.
B.C. Ce qui m'étonne beaucoup et qui semble révélateur, c'est la présence de l'Amérique à ces Fêtes au double visage. Qu'en est-il, en vérité ?
MMD. En vérité, ce dont en France, ni l'élite, ni la masse n'avaient le moindre soupçon, c'est que l'Amérique était déterminée à soutenir à fond le projet de Schuman. Le dimanche , à peine closes les entrevues de Luxeuil, elle l'a fait savoir, de façon claire et irrévocable. Lors de l'inauguration de la statue de saint Colomban, en fin d'après-midi, à l'heure des discours officiels, l'Amérique s'était engagée par la voix de l'attaché d'ambassade John Brown, délégué de l'ambassadeur David Bruce pour représenter les États-Unis. Voici en quels termes, surprenants de vigueur, ce diplomate courageux avait publiquement donné le gage d'une solidarité parfaite :
« Pour nous Américains, saint Colomban est le premier homme qui ait abandonné la sécurité de son pays dans le but de bâtir une société nouvelle et de reconstituer l’ordre chrétien là où régnait le désordre. Nous sommes tous en quête d'unité, nous voulons tous créer l'Europe, une Europe qui soit une réelle communauté occidentale. Les États-Unis appartiennent à cette communauté car, nous autres Américains, nous sommes tous Européens : les sources de notre histoire spirituelle sont européennes. « Nous avons gardé la même conception de la personne humaine et de la dignité de l’homme. Mais ces idées, fondamentales pour nous, ne sont pas, hélas, répandues partout dans le monde. Jamais notre idéal n’a été menacé comme aujourd’hui. Nous devons faire face à des forces qui souhaitent la destruction des valeurs qui nous sont chères, à des forces aveugles qui confondent l’esclave avec le citoyen, le mensonge avec la vérité, le terrorisme avec l’ordre, la matraque avec l’autorité, l’État avec l’absolutisme. C’est seulement en retournant à l’idéal de saint Colomban que nous pourrons construire une société où s’épanouira librement la personne humaine ».
B.C. Extraordinaire ! Voilà bien la déclaration la plus étonnante dans un tel contexte. Cette intervention fulgurante était l'aveu officiel des engagements, pris en secret par les nations réunies. Et personne n'a compris ?
MMD. Absolument personne… Le discours de Robert Schuman, qui clôtura les exposés officiels, parut reprendre l'aspect chrétien des "idées fondamentales", exaltées par John Brown. Selon les reporters, la même citation du Fondateur variait dans sa forme, tout en conservant intacts les maîtres-mots. Schuman a dit, à peu près ceci
« Nous ne contesterons pas les conquêtes de la science, mais nous affirmons que le bien le plus indispensable dans le monde moderne, c’est la charité. Notre monde sans âme, s’il ne retourne à sa source et ne se retrempe dans son idéal, est voué au suicide et à l’anéantissement. La France doit rester un foyer spirituel et un centre d’expansion culturelle. Elle veut prendre sa part dans la croisade qui doit réaliser la réconciliation des peuples, c’est pourquoi elle préconise des institutions supranationales, et s’acharne à sauvegarder la paix…
B.C. Il me semble que mentionner les "institutions supranationales" équivalait à évoquer la "Haute Autorité", d'audacieuse création ; et l'allusion, pourtant limpide, ne fut pas saisie ?
MMD. Non saisie, donc non retenue. On ne conserva en mémoire que l'expression d'une sorte de croisade d'union sacrée. Seul l'aspect chrétien fut perçu, probablement en raison de l'ambiance et du cadre hautement religieux. C'est ainsi que fut escamotée, noyée, la révélation politique : avant la ratification des traités officiels, l'accord fondamental de huit nations, créant l'Europe, se fit sous la cambutte de St Colomban, et c'est là le "secret de Luxeuil". Voilà pourquoi aussi l'Europe de notre temps, qui refuse de reconnaître ses racines chrétiennes, tourne complètement le dos à sa mission des premiers jours et se condamne inéluctablement à l'échec qu'entraîne toute trahison.
B.C. Merci, Mademoiselle, de nous avoir livré des renseignements aussi inattendus que précieux. Permettez-moi de vous dire notre reconnaissance personnelle et… celle de l'Histoire.
(Interview de M.-M. Dubois par Boris Colling)
Publications
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modifier- Le cours Adeline Desir était ouvert aux jeunes filles dites de bonne famille.
- Le baccalauréat comportait deux parties, soumises chacune à un écrit et un oral, décernée avec mention (Passable=10-12/20, Assez bien=12-14/20, Bien=14-16/20 et Très bien=16-20/20). L'admissibilité n'était pas reconductible d'une année sur l'autre. Toutefois, elle restait valable de la session de juin à celle d'octobre. La première partie se passait après la classe de Premi!ère (Rhétorique) et la seconde après celle dite de Philosophie (Philo) (ou Mathématiques élémentaires [Math Élem], ou encore Sciences expérimentales [Sciences Ex]).
- Le D.E.S., remplacé ensuite par la Maîtrise, comprenait la rédaction d'un mémoire d'une centaine de pages en anglais, une soutenance et un examen oral portant sur l'étude diachronique de l'anglais.
- Le Doctorat d'État (et non d'institution) comprenait la rédaction de deux thèses, une thèse principale (majeure) et une thèse secondaire (mineure). En Sciences humaines, la préparation de ces thèses pouvaient demander de huit à dix années de travail avant la soutenance. Le Doctorat d'État a été supprimé en 1985 et remplacé par un doctorat ne comprenant qu'une thèse dite « nouvelle » de 300 à 400 pages.
- René Huchon, Professeur à la Sorbonne, commit un suicide patriotique en 1940, lors de la signature de l'armistice par Philippe Pétain.
- Le professeur Louis Cazamian est bien connu des anglicistes pour son Histoire de la littérature anglaise rédigée avec Émile Legouis (« Le Legouis-Cazamian »).
- Le Prix Darracq était l'un des prix de l'Académie française, fondé avant sa mort par l'industriel Alexandre Darracq (1855-1931), initiateur de la construction automobile en série et promoteur des voitures de course (70 chevaux), donc à la base de l'automobilisme français, mais aussi mécène, ami des lettres et des arts, soutenant les jeunes créateurs et défricheurs dans ces domaines.
- « Niveau de langage » : naguère appelé « registre ».
- Syntagme, nom masculin, mot ou groupe de mots constituant une unité dans la phrase.
- Boris Colling est professeur et assistant-cinéaste en Allemagne.
Références
modifier- « Paule de Gimazane (1915-2011) », sur data.bnf.fr
- Marguerite-Marie Dubois, « Études et Maîtres », Mémoires, en cours de rédaction, 2010.
- Noël Blandin, « Qui est Simone de Beauvoir ? », Bibliographie / biographie, La République des Lettres, lundi 7 janvier 2008 « http://www.republique-des-lettres.fr/10238-simone-de-beauvoir.php »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) (consulté le 20 février 2010].
- André Joly, Fragments d’une vie de philologue, interview de M.-M. Dubois, Modèles linguistiques, tome XXVII-1, volume 53, 2006, pages 165-190.
- Marie-Marguerite Dubois, Mémoires, en cours de rédaction, 2010.
- Marguerite-Marie Dubois, Mémoires, en cours de rédaction, 2010.
- Marguerite-Marie Dubois, La Chronique d'Ingulf, volume offert à Marguerite-Marie Dubois à l'occasion de son 85e anniversaire, Publications de L'AMAES, collection Grendel, no 4, 2005, pages 11-16, (ISBN 2-901198-28-7).
- Marguerite-Marie Dubois, « Mon enseignement », Lettre à Robert Ferrieux, .
- Voir Centre d’études médiévales anglaises (CEMA), Paris 4, 1969 (consulté le 28 février 2010).
- Jean-Pierre Mouchon, Dictionnaire bio-bibliographique des anglicistes, Marseille, Terra Beata, pages 694-695.
- Jean-Pierre Mouchon
- Dictionnaire de la langue française, sur [1] (consulté le 18 février 2010).
- Avec son mari Jean Dubois, pionnier de la linguistique française, Françoise Dubois-Charlier a contribué à faire connaître la grammaire transformationnelle en France à la fin des années 1960, de même que certaines autres théories proposées par les linguistes américains, comme la Sémantique générative ou la Grammaire casuelle. Ses domaines de spécialité sont la syntaxe, la sémantique et la lexicographie, sur lesquelles elle a écrit divers ouvrages et articles. Elle est Professeur à l'Université d'Aix-Marseille.
- Valérie Katzaros a publié divers dictionnaires français-espagnol/espagnol-français, français-anglais/anglais-français, français-portugais/portugais-français. Elle est directrice d'édition chez Larousse et a dirigé un Dictionnaire français-anglais/anglais-français (Larousse, 2005) enrichi d'illustrations en couleur regroupées par thèmes permettant d’associer une image à un mot ou à une expression.
- Marguerite-Marie Dubois, La Chronique d'Ingulf, volume offert à Marguerite-Marie Dubois à l'occasion de son 85e anniversaire, Publications de L'AMAES, Collection Grendel, no 4, 2005, Préface d'André Crépin, pages 7-10, (ISBN 2-901198-28-7).
- « matchID - Moteur de recherche des décès », sur deces.matchid.io (consulté le )
- Francis Gouge, Le secret de Luxeuil, M Le Monde, 17 mai 2019
- Danielle Leerman et Céline Vaguer, coord., La Préposition en français, Philologie et linguistique diachronique (domaine anglais), Modèles linguistiques, Toulon, Éditions des Dauphins, 2006, page 188.
- Marguerite-Marie Dubois, Saint Colomban, pionnier de la civilisation occidentale, Paris, Alsatia, 1950.
- Marguerite-Marie Dubois, Mélanges colombaniens, Paris, Alsatia, 1951.
- Marguerite-Marie Dubois, Le mystère de saint Colomban, Paris, La Tour du Guet, 1950.
Voir aussi
modifierHommages
modifier- Colette Stévanovitch, La chronique d’Ingulf ; Hauts faits et méfaits des Vikings en Angleterre médiévale. Roman et histoire, AMAES, collection GRENDEL, no 4, , volume offert à Marguerite-Marie Dubois à l’occasion de son 85e anniversaire.
- Jean-Pierre Mouchon, Hommage à M.-M. Dubois pour ses quatre-vingt-dix ans, Le carnet des études anglo-saxonnes et nord-américaines, no 25, .
- André Joly, Fragments d’une vie de philologue, interview de M.-M. Dubois, Modèles linguistiques, tome XXVII-1, volume 53, , p. 165-190.
- Marguerite-Marie Dubois, Miscellanées, Toulon, Éditions des Dauphins, Université du Var, , 342 p.. Avant-propos par André Joly.
- Jean-Pierre Mouchon, Esquisse de l'enseignement de l’anglais et des études anglaises en France au XXe siècle (des méthodes et des hommes), Marseille, Terra Beata, , p. 139, 144, 180, 195, 197, 236-240, 272-273, 282 (et note 1), 299, 300 (note 2), 385, 398, 429, 434, 445, 447, 448.
- Jean-Pierre Mouchon, « Marguerite-Marie Dubois » in « Dictionnaire bio-bibliographique des anglicistes et assimilés » (Terra Beata, CDRom, 2010).
- Jean-Pierre Mouchon, « In memoriam: Marguerite-Marie Dubois » in Étude no 49 (janvier-février-mars-) (Association internationale de chant lyrique TITTA RUFFO).
- Bulletin des Anglicistes Médiévistes 80 (hiver 2011). Numéro consacré à la mémoire de Mlle Dubois.
Articles connexes
modifierLiens externes
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