Musique nègre (chanson)
Musique nègre est une chanson de rap français de Kery James, avec la participation de Youssoupha et Lino, sortie en 2016 et issue de son sixième album Mouhammad Alix. Elle se veut une réponse à des déclarations racistes d'Henry de Lesquen.
Historique
modifierMusique nègre naît à la suite des déclarations négrophobes d'Henry de Lesquen, président de Radio Courtoisie, ancien conseiller municipal de Versailles et candidat à l'élection présidentielle de 2017. Après l'annulation du concert de Black M pour le centenaire de la bataille de Verdun[1], Lesquen dit en effet souhaiter bannir des médias français ce qu'il appelle la « musique nègre »[2],[3],[4], dans laquelle il inclut le rap. Il associe cette musique au « cerveau reptilien » et à un prétendu « ensauvagement », convoquant le préjugé raciste qui prête des instincts primaires aux Noirs[5].
Pour écrire et composer ce morceau, Kery James s'entoure de deux paroliers du hip-hop français déjà connus pour leur lutte antiraciste au travers de leurs textes, Youssoupha et Lino.
Texte
modifierOutre une « revendication de la force et de la beauté noire »[6], Musique nègre relate des faits de la discrimination des Noirs dans l'Histoire[7].
- Il tacle notamment l'humoriste français Michel Leeb et certains de ses sketchs parodiant grossièrement les Noirs (« dans mon cauchemar, j'avais giflé Michel Leeb ») ;
- « Depuis le bruit et l'odeur, je sens que je dérange la France » : ici Kery James fait référence au discours de Jacques Chirac en 1991, Le bruit et l'odeur, dans lequel il tient des propos racistes envers les immigrés ;
- « Je pourrais mourir d'infection comme un Traoré » : cette phrase choc fait référence à l'affaire Adama Traoré, décédé des suites de violence policière présumée, et qui a secoué la France en 2016.
- Kery James rend aussi hommage à des figures importantes de la lutte contre l'esclavage comme Toussaint Louverture et Rosa Parks, ou pour les droits civiques comme Martin Luther King.
- Kery James et Youssoupha ont également introduit des textes en langues de leurs pays d'origine respectivement le créole haïtien (puis guadeloupéen)[8] (« Neg lakay se sa mwen yé, map rété la yo pe relé, musique nou yo pa aimé, coulè nou yo dénigré »[9], traduit par : « Je suis un Haïtien, un nègre, c'est ce que je suis, je vais rester là même si ça les dérange, c'est notre musique qu'ils n'aiment pas, c'est notre couleur qu'ils dénigrent »[10]) et le lingala (« Na bangaka lisusu te, ngaï na bangaka butu te, ngaï na bangaka kaka nzambe, ngaï na bangaka mutu te »[9], traduit par : « Je n'ai plus peur, je n'ai pas peur de la nuit, moi je ne crains que Dieu, moi je ne crains personne »).
- En retournant l'insulte raciste « nègre » pour en faire une arme[6], ce morceau s'inscrit dans l'héritage de la négritude d'Aimé Césaire[4].
Clip
modifierLe clip[11] est réalisé par la réalisatrice et militante Leïla Sy, pour SutherKane Films. Il est — à l'instar du texte de la chanson — chargé de références aux luttes africaines et noires ; dont :
- des costumes de Blancs colonialistes et de Noirs colonisés ;
- du mobilier dit « de l'époque coloniale » ;
- des tirailleurs sénégalais ;
- une femme tenant une pancarte « 7053 », en référence à la photographie de Rosa Parks lors de son arrestation ;
- une reconstitution de la photographie du podium d'athlétisme aux Jeux olympiques d'été de 1968, avec Kery James à la place de l'athlète Tommie Smith, Youssoupha à la place de John Carlos et Orelsan à la place de Peter Norman ;
- les images de Thomas Sankara, Léopold Sédar Senghor ou Malcolm X.
Ce clip rassemble aussi de nombreuses figures du hip-hop français de diverses générations et styles, dont :
- Bigflo et Oli ;
- Hayce Lemsi ;
- Kalash Criminel ;
- Médine ;
- MZ ;
- Ninho ;
- Orelsan ;
- Passi ;
- Sadek ;
- Sofiane ;
- Tunisiano ;
- Vald.
Références
modifier- Corre 2017, p. 47.
- Lucas Burel, « Présidentielle : Henry de Lesquen, ce candidat qui veut "bannir la musique nègre" et revenir au 19e siècle », L'Obs, (consulté le ).
- Matthieu Kairouz, « « Musique nègre » : Kery James répond à un candidat à la présidentielle française », Jeune Afrique, (consulté le ).
- Maïté Koda, « Quand Kery James célèbre la "musique nègre" », sur la1ere.francetvinfo.fr, (consulté le ).
- Delphine Peiretti-Courtis, chap. 1 « Survivances d'un racisme ordinaire en France », dans Corps noirs et médecins blancs : La fabrique du préjugé racial, XIXe – XXe siècles (adapté de Corps noirs et médecins blancs : Entre race, sexe et genre : savoirs et représentations du corps des Africain(e)s dans les sciences médicales françaises (1780-1950), thèse en histoire à l'université d'Aix-Marseille, 2014), Paris, La Découverte, , 350 p. (ISBN 978-2-348-04501-1, lire en ligne), p. 11–18.
- Juliette Plé, « « Musique nègre » : le retournement du stigmate comme arme politique et artistique », Foisonnement biographique, sur hypothèses.org, (consulté le ).
- Shah Jamsheed, « « Musique nègre » de Kery James : une leçon d’Histoire politique noire », sur Contre-attaques.org, (consulté le ).
- Corre 2017, p. 147.
- Corre 2017, p. 191.
- Corre 2017, p. 148.
- « Kery James - Musique Nègre feat. Lino & Youssoupha [Clip Officiel] », sur YouTube, (consulté le ).
Bibliographie
modifier- Lise Corre (sous la direction de Jean-Marc Moura), Les échos de la poésie de la Négritude dans le rap français des années 1980 à 2017, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, (lire en ligne).