Orphée

héros de la mythologie grecque

Orphée (en grec ancien Ὀρφεύς / Orpheús) est un héros de la mythologie grecque, fils du roi de Thrace Œagre[1] et de la muse Calliope. Poète et musicien (son instrument est la lyre), il était parfois considéré comme un prophète et a inspiré un mouvement religieux appelé « orphisme », qui était lié aux pythagoriciens et aux mystères dionysiaques[2]. Orphée a fait partie des Argonautes ; sa descente aux Enfers et son échec à ramener son épouse Eurydice dans le monde des vivants ont façonné son mythe.

Mort d'Orphée, stamnos à figures rouges d'Hermonax, Ve siècle av. J.-C., musée du Louvre (G 416).
Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre, sarcophage du IIIe siècle av. J.-C., musée archéologique de Thessalonique (Inv. 1246).

Si la plupart des auteurs antiques s'accordent sur l'existence historique d'Orphée[3], pour Aristote, Orphée n'a jamais été poète. Selon lui, l’auteur des hymnes orphiques se nomme Cercops[4],[5]. Orphée est évoqué dans un poème d'Ibycos, au VIIe siècle av. J.-C.[6]. La légende d'Orphée est liée à la religion des mystères ainsi qu'à une littérature sacrée. Il enseigna les initiations, et à s'abstenir des meurtres par l'instauration des expiations[7].

Orphée inspirera les artistes. En 1912, Guillaume Apollinaire identifie un mouvement artistique basé sur la musique et l’abstraction qu'il appelle orphisme, proche du cubisme. On peut y rattacher les peintres Robert et Sonia Delaunay, Fernand Léger, Picabia, Marie Laurencin et Marcel Duchamp.

Il semblerait que le mythe d'Orphée ne soit pas propre à la seule culture de la Grèce antique, et qu'il ait des origines plus anciennes, peut-être paléolithiques. Cela a été remarqué dès la fin du XIXe siècle par le philologue Charles-Félix-Hyacinthe Gouhier, lequel indiquait un récit semblable chez les Iroquois : « Nous verrions volontiers, dans son voyage aux enfers à la recherche d’Eurydice, une légende remontant jusqu’aux temps paléolithiques et qui, à une époque impossible à préciser, aura été transportée au Canada »[8].

Etymologie

Orphée proviendrait du mot grec orphen qui signifie « obscurité », une autre interprétation associe son nom à Ophreus que l’on peut traduire par « le renfrognée ». Enfin, il y a une étymologie datant de la fin de l’époque impériale romaine, celle de Fulgence, grammairien latin du Ve siècle apr. J.-C., qui soutenait que le nom Orphée venait de oreafone c’est-à-dire « la plus belle voix »[9].

Mythe

 
Généalogie d'Orphée.

Orphée est le fils du Roi Œagre et de la muse Calliope, il savait par les accents de sa lyre charmer[10] les animaux sauvages et parvenait à émouvoir les êtres inanimés. Il fut comblé de dons multiples par Apollon. La légende raconte qu'il ajouta deux cordes à la traditionnelle lyre à sept cordes que lui donna le dieu, en hommage aux neuf muses, auxquelles appartenait sa mère. Il passe pour être l'inventeur de la cithare[11].

Selon les Histoires incroyables[12] de Palaiphatos, Orphée n'a jamais dompté les animaux de sa harpe, comme le prétend le mythe. Les Ménades en délire mettaient en pièces les troupeaux de Piérie, commettant de nombreux actes de violence avant de s'en retourner dans les montagnes pour y rester pendant des jours. Orphée fut chargé d'imaginer un moyen de les faire revenir chez elles. Orphée, après avoir sacrifié à Dionysos, les fit descendre des montagnes en jouant de la lyre, par deux fois : la première fois, tenant à la main le thyrse, elles arrivaient de la montagne, couvertes par des feuillages d'arbres de toute espèce. La légende naquit selon laquelle Orphée, au son de sa lyre, faisait descendre de la montagne même la forêt. Voyageur, il participa à l'expédition des Argonautes. Il y faisait office de « chef de nage » : il donnait par son chant la cadence aux coups de rame des autres héros. Son chant permit également à l'expédition de résister au danger du chant des sirènes, dont il parvint à surpasser le pouvoir de séduction. Il se rendit jusqu'en Égypte, puis revint en Grèce ; ce fut le but des expiations, dont il établit l'usage[13].

Mort d'Eurydice et descente aux Enfers

Le jour même de ses noces avec Orphée, la dryade Eurydice, fuyant Aristée qui l'importune, est mordue par un serpent caché dans les hautes herbes. Elle en meurt et descend au royaume des Enfers. Orphée, inconsolable, y descend à sa suite et après avoir endormi de sa musique enchanteresse Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes qui en garde l'entrée, et les terribles Euménides, peut approcher le dieu Hadès, et son épouse Perséphone. Il parvient, grâce à sa musique, à le faire fléchir, et celui-ci le laisse repartir avec sa bien-aimée à la condition qu'elle le suive en silence et qu'il ne se retourne ni ne lui parle tant qu'ils ne seront pas revenus tous deux dans le monde des vivants. Alors qu'il s'apprête à sortir des Enfers, Orphée, n'entendant plus les pas de sa bien-aimée, ayant peur que son amour lui échappe et impatient de la voir, se retourne imprudemment, la perdant à jamais[14].

Une autre version veut que lors de la remontée des Enfers, Orphée se rassure de la présence d'Eurydice derrière lui en écoutant le bruit de ses pas. Parvenus dans un endroit où règne un silence de mort, Orphée s'inquiète de ne plus rien entendre et craint qu'il ne soit arrivé un grand malheur à Eurydice. Sans plus attendre, il décide de se retourner et la voit disparaître aussitôt.

« Orphée […] la reçoit sous cette condition, qu'il ne tournera pas ses regards en arrière jusqu'à ce qu'il soit sorti des vallées de l'Averne ; sinon, cette faveur sera rendue vaine. […] Ils n'étaient plus éloignés, la limite franchie, de fouler la surface de la terre ; Orphée, tremblant qu'Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l'amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula, et la malheureuse, tendant les bras, s'efforçant d'être retenue par lui, de le retenir, ne saisit que l'air inconsistant. »

— (Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne], X, trad. GF-Flammarion, 2001)

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Mort d'Orphée

 
Marc Leriche, Orphée suppliant Charon (1914), plâtre, musée des Beaux-Arts de Lyon.
 
La tête et la lyre d'Orphée rejetées par les vagues sur les rives de Lesbos, par Gustave Courtois (1875).

Orphée se montra par la suite inconsolable. De nombreuses versions de sa mort circulent[15],[16] :

  • selon Pausanias, il fut foudroyé par Zeus pour avoir révélé des mystères divins aux hommes qu'il initiait[17] ;
  • selon Strabon, il aurait trouvé la mort dans un soulèvement populaire[18] ;
  • la version la plus courante est que les Bacchantes (ou Ménades) éprouvèrent un vif dépit de le voir rester fidèle à Eurydice et le déchiquetèrent.

Salomon Reinach évoque à propos de la mort d'Orphée le sparagmos — déchirement rituel du corps — et le cannibalisme sous-entendu. Sa tête, jetée dans l'Hèbre, fleuve de Thrace, vint se déposer sur les rivages de l'île de Lesbos, terre de la Poésie, où existait un oracle d’Orphée dans une grotte [19].

Les Muses, éplorées, recueillirent les membres d'Orphée pour les enterrer au pied du mont Olympe, à Leibèthres, en Thessalie. Après avoir ramassé tous les morceaux du corps d’Orphée, elles prirent sa lyre, mais ne sachant à qui la donner, elles demandèrent à Zeus de placer l’instrument dans le ciel, en hommage au poète et à la musique. Zeus accepta la requête et ainsi fut créée la constellation de la Lyre. On prétendait que sa tête continuait parfois à chanter dans son tombeau, symbole de la survie posthume du poète par son chant[20].

D'après Ovide, Lyaéus (Bacchus), affligé de la perte du chantre, attacha au sol, par de tortueuses racines, toutes les femmes édoniennes présentes à la mort d'Orphée, et elles furent métamorphosées en arbres.

Sépulture

Il circulait en Thessalie une légende au sujet de la tombe d'Orphée. Un oracle de Dionysos avait prédit que si les cendres d'Orphée étaient exposées au jour, un porc ravagerait la cité. Les habitants se moquèrent de cette prédiction, mais un jour, un berger s'endormit sur la tombe d'Orphée et, tout en rêvant, se mit à chanter les hymnes du poète. Les ouvriers présents dans les champs voisins accoururent aussitôt en grand nombre ; ils se bousculèrent tant qu'ils en vinrent à éventrer le sarcophage du poète. La nuit venue, un violent orage éclata, la pluie tombait abondamment et la rivière en crue inonda la ville et ses principaux monuments. La rivière en question est la Sys ; son nom signifie porc[21].

Une famille sacerdotale athénienne, les Lycomides, connaissaient et chantaient les hymnes lors de mystères[22].

Rôle religieux en Grèce antique : l'orphisme

C'est autour de ce mythe que se fonda l'orphisme, courant philosophique et religieux fondé sur l'initiation dont la descente d'Orphée aux enfers est le modèle. Orphée passait parfois pour le fondateur des mystères d'Éleusis avec Dionysos[21]. Ces mouvements disparurent avec le polythéisme olympien vers le IVe siècle. Orphée est également parfois considéré dès l'Antiquité comme un mage ou un sorcier[23]. Une tradition antique dit qu'Onomacrite a retranscrit les doctrines d'Orphée en vers[24].

Évocations artistiques après l'Antiquité

 
Gustave Moreau, Jeune fille thrace portant la tête d'Orphée, 1865, musée d'Orsay.

Opéras et ballets

Musique

 
Orphée, Franz von Stuck (1891).
Vers 1680 : Poi che riseppe Orfeo, H.572, pour soprano ;
vers 1702 : L'Orfeo, H.173, pour soprano et deux violons ;

Théâtre

Cinéma

Télévision

2013 : épisode 13 Orphée, l’amour impossible de la série documentaire Les Grands Mythes.

Littérature

Poésie

Peinture

 
Rideau de scène du théâtre de Chambéry, peint par Luigi Vacca en 1824.
 
Orphée chez les grecs sauvages
Eugène Delacroix, 1833-47
Bibliothèque du Palais Bourbon.

Bande dessinée

Jeux vidéo

Notes et références

  1. Lucien de Samosate 2015, p. 821.
  2. Interview de Jean-Pierre Vernant, TDC no 891.
  3. (en) Kathleen Freeman, Ancilla to the Pre-Socratic Philosophers : A Complete Translation of the Fragments in Diels Fragmente Der Vorsokratiker, Forgotten Books, , 162 p. (ISBN 978-1-60680-256-4, lire en ligne).
  4. Pellegrin 2014, p. 2831.
  5. Cicéron, De Natura Deorum (I, 107).
  6. Robert 1981, p. 118.
  7. Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I ; IX, 36.
  8. « Pourquoi certains mythes sont communs à l’humanité entière », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  9. Isabel Barceló Chico, Orphée aux enfers, Barcelone, RBA Colleccionables, S.A.U., coll. « Mythologie », , 119 p. (ISBN 978-84-473-9165-3), pages 107 et 108
  10. Mueller-Jourdan 2007, p. 73.
  11. Sophie Cassagnes-Brouquet, Poètes et artistes : la figure du créateur en Europe au Moyen Âge et à la Renaissance, Presses Univ. Limoges, (lire en ligne), p. 161.
  12. Palaiphatos, Histoires incroyables [détail des éditions] (lire en ligne) 33.
  13. Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne] I. IX, c. 36.
  14. Cette version du mythe est rapportée par Virgile au livre IV des Géorgiques (vers 454-493).
  15. Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1951, article Orphée.
  16. Pierre Brunel et 1994 p. 1129-1139.
  17. Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], IX, 30, 5.
  18. Strabon, Géographie [détail des éditions] [lire en ligne], VI, 18.
  19. (el) Harissis H. V. et al., « The Spelios of Antissa ; The oracle of Orpheus in Lesvos », Archaiologia kai Technes, no 83,‎ , p. 68–73 (lire en ligne).
  20. Gilbert Durand, Les nostalgies d'Orphée. Petite leçon de mythanalyse dans Religiologiques no 15, Orphée et Eurydice, mythes en mutation publié sous la direction de Mekta Zupancic, Printemps 1997.
  21. a et b Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1951, p. 333.
  22. Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine [détail des éditions] [lire en ligne] (p. 214)
  23. Fabienne Jourdan, « Orphée, sorcier ou mage ? » in Revue de l'Histoire des religions, 2008, Armand Colin [1].
  24. Pellegrin 2014, p. 2830.
  25. Cf. « Orphée. C 3, cantate », sur BnF.
  26. (it) « Fabio Mengozzi, elettronica e magia », sur La Stampa
  27. Émilie Turmel, « Orphée et l’orphisme dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust », Études françaises, vol. 51, no 1,‎ , p. 141-161 (lire en ligne)
  28. « Le Dernier Chant d’Orphée », sur wikisource.org (consulté le ).
  29. (fr)BNF, « 1948 "Orphée noir" », sur Les manuscrits de Sartre, (consulté le ).
  30. Palais Bourbon.
  31. Félix Vallotton, Orphée dépecé par les Ménades : Analyse picturale.

Annexes

 
Une catégorie est consacrée à ce sujet : Orphée.

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Bibliographie

Sources antiques

Sources modernes

  • 1941 : Ivan M. Linforth, The Arts of Orpheus, Berkeley, University of California Press.
  • 1961 : Eva Kushner, Le Mythe d'Orphée dans la littérature française contemporaine, Paris, Nizet.
  • 1981 : Fernand Robert, La religion grecque, vol. 105, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », (réimpr. 1967) (1re éd. 1949), 127 p. (ISBN 2-13-044672-8).  .
  • 1990 : Jean-Pierre Vernant, Mythe et religion en Grèce ancienne, Seuil, coll. « Librairie du XXIe siècle », Paris, (ISBN 202010489X).
  • 1990 : Giorgio Colli, Orphée, dans La Sagesse grecque, vol. I, Éditions de l’éclat (textes et commentaires), (ISBN 9782905372413).
  • 1994 : Pierre Brunel (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Éditions du Rocher, , 1504 p. (ISBN 2-268-01825-3), « Orphée ».  .
  • 1995 : Reynal Sorel, Orphée et l'orphisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, (ISBN 2130472109).
  • 1996 : Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions (édition établie par Hervé Duchêne), Robert Laffont, p. 527-554, (ISBN 2-221-07348-7).
  • 1997 : Gilbert Durand, Les Nostalgies d'Orphée. Petite leçon de mythanalyse dans Religiologiques no 15, Orphée et Eurydice, mythes en mutation publié sous la direction de Mekta Zupancic.
  • 2008 : Philippe Weigel, Le nouveau visage d’Orphée dans le théâtre contemporain : la navette mythique entre passé et présent, dans Métamorphoses du mythe. Réécritures anciennes et modernes des mythes antiques, sous la direction de Peter Schnyder, avant-propos de Jean Bollack, Paris, Orizons, collection « Universités/Domaine littéraire », p. 561-570.
  • 2011 : Jourdan Fabienne, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles in Revue des Études Grecques, tome 124, fascicule 2, décembre-juillet 2011, p. 592-595 lire en ligne.

Articles connexes

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