Thulé (mythologie)
Thulé (en grec ancien Θούλη / Thoúlê) est le nom donné entre 330 et 320 av. J.-C. par l'explorateur grec Pythéas à une île qu'il présente comme la dernière de l'archipel britannique et qu'il est le premier à mentionner. Le terme désigne ensuite, notamment au Moyen Âge, l'Islande, le Groenland, voire une île que les contemporains croient réelle (mais qui ne l'est pas) au Nord de l'Europe.
Description
modifierLes rares éléments écrits de Pythéas parvenus jusqu'à nous ne nous permettent pas aujourd'hui d'identifier Thulé avec certitude. Certains auteurs ont avancé l'hypothèse qu'il s'agissait des îles Féroé, des Îles Lofoten et même du Groenland mais compte tenu des indications de Pythéas, il s'agit plus vraisemblablement de l'Islande voire de la Norvège qui pouvait à l'époque être considérée comme une île. Paul Gruyer, dans son livre Ouessant, Enez Heussa, l'île de l'Épouvante[1], publié en 1899, rapporte l'ancienne tradition orale qui faisait d'Ouessant la mythique Thulé, tradition déjà rapportée un siècle plus tôt par Jacques Cambry dans son Voyage dans le Finistère[2].
Pythéas n'indique pas avoir atteint Thulé[3]. Il révèle simplement qu'elle est située à six jours de navigation depuis la Grande-Bretagne à des latitudes proches du cercle polaire. Certains auteurs ont imaginé que les indications de Pythéas concernant des populations pratiquant la culture du blé et l'élevage des abeilles se rapportaient à Thulé et à ses habitants. S'il s'agit vraisemblablement de peuples rencontrés au cours de son voyage dans le nord de l'Europe, rien n'indique qu'ils étaient les habitants de Thulé.
Autres occurrences
modifierAu IIe siècle av. J.-C., Antoine Diogène écrit Les Merveilles d'au-delà de Thulé (Tα υπερ Θoυλην απιστα), un ouvrage relatant ses voyages à Thulé et ailleurs. Pline l'Ancien précise que des navires partent des îles de Nérigon et de Scandie pour Thulé[4].
Le terme de Thule figure également dans les Géorgiques[5] du poète romain Virgile. Chez les Romains, Extrema Thule désigne la limite septentrionale du monde connu. Ptolémée le situe à 63° de latitude nord dans son ouvrage Géographie.
Dans la Vie d'Agricola, Tacite mentionne que les équipages « la virent distinctement » (Vie d'Agricola, X. 6), mais « reçurent l'ordre de ne pas aller plus loin ».
Au VIe siècle, Procope de Césarée dit à propos de Thulé : « Cette île est dix fois plus grande que l'Angleterre, et en est assez éloignée. Du côté du septentrion, la plus grande partie est déserte. La partie qui est habitée contient treize peuples, commandés par autant de rois. Il y arrive une chose merveilleuse. Tous les ans vers le solstice d'été, le soleil paraît quarante jours continus sur leur horizon ; six mois après ils ont quarante jours de nuit, qui sont pour eux des jours de douleur et de tristesse, parce qu'ils ne peuvent entretenir aucun commerce »[6].
Durant l'époque médiévale, Ultima Thule est parfois utilisé comme le nom latin du Groenland alors que Thule désigne l'Islande.
Au XXe siècle, certains mouvements pangermanistes, comme la Société de Thulé, associent Thulé au mythique continent d'Hyperborée qu'ils considérent comme le possible berceau de la race aryenne. L'écrivain français d'extrême-droite Jean Mabire étudie la question de sa situation géographique et retrace l'histoire de cette société de pensée dans son livre Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens.
Créée en 1941, la base aérienne de Thulé tient son nom du lieu mythique où elle est implantée. Elle est aujourd'hui également connue sous son nom inuit, Pituffik[7].
Thulé dans la culture
modifierDans la littérature
modifierPar sa position mythique extrême, Thulé est parfois employée pour désigner le point le plus au Nord (d'où son appellation fréquente de Ultima Thulé), une espèce d'absolu indépassable, proche de l'idée de bout du monde.
- Au XVIe siècle, Agrippa d'Aubigné fait une discrète référence à Thulé dans le livre VII des Tragiques :
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autrefois déchirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer écumeuse
De l’Afrique brûlée en Thulé froiduleuse.
Les cendres des brûlés volent de toutes parts ;
Les brins, plutôt unis qu’ils ne furent épars,
Viennent à leur poteau, en cette heureuse place,
Riant au ciel riant, d’une agréable audace.
— Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, livre VII
En ce sens, Thulé participe d'une culture antiquisante partagée par les élites écrivantes, tant à l'époque d'Agrippa d'Aubigné qu'auparavant ou par la suite.
- Le poète allemand Goethe compose le poème Der König in Thule (Le Roi de Thulé), en 1774, traduit par Gérard de Nerval. Il apparaît dans le Faust de Charles Gounod et La Damnation de Faust d'Hector Berlioz.
- Dans le poème Terre de songe (Dream-Land) (1844), d'Edgar Allan Poe.
- Dans le poème Tristesse blanche (fin XIXe siècle) du poète québécois Émile Nelligan.
- La Coupe du roi de Thulé, poème de Louise-Victorine Ackermann.
- La Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes de Louis Gallet et Édouard Blau, musique d'Eugène Diaz, couronné lors d'un concours de composition institué par le ministère français des Beaux-Arts[8].
- Dans le poème « Ville du soir », tiré d'Occident (1901), Lucie Delarue-Mardrus fait référence à l'île : « C'est la ville du bout du monde, c'est Thulé/C'est le conte bleu, c'est le rêve/Appareillons, partons vers ces lointaines grèves ! ».
- En 1917, dans le poème Sanglots, Guillaume Apollinaire parle également des « gouffres de Thulé »[9].
- Le poète français Louis Aragon, dans Henri Matisse, roman (1941-1971), évoque ce personnage notamment dans le chapitre intitulé « La Grande Songerie ou le Retour de Thulé ».
- Dans Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq (1951), le narrateur présente la province des Syrtes, de la seigneurie d'Orsenna, « comme l'Ultima Thulé des territoires d'Orsenna[10] ».
- Dans un ouvrage paru en 1955, Jean Malaurie fait des Inuits du Nord du Groenland, le peuple le plus septentrional du monde, les Derniers Rois de Thulé[11]. Il a également publié en 1990 Ultima Thulé, consacré aux explorateurs polaires et à leurs interactions avec ces mêmes Inuits[12].
- Dans la saga The Mortal Instruments - Renaissance (2019) de Cassandra Clare, Thulé fait référence à un monde dans une dimension alternative[réf. nécessaire].
- Dans le premier tome de la série Confluence (2023) de Sylvie Poulain, Thulé est le nom donné à une crête sous-marine dans l'Atlantique Nord, la Crête de Thulé.
- En 1978, Jean Mabire écrit Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens, en donnant à « l'esprit de Thulé » une dimension paneuropéenne, aspiration spirituelle avec le Nord pour boussole.
Dans la bande dessinée
modifier- Thulé est présenté comme une île paradisiaque dans La Fille de Vercingétorix, épisode d'Astérix scénarisé par Jean-Yves Ferri et dessiné par Didier Conrad (2019).
En politique
modifier- La société Thulé, ou ordre de Thulé, société secrète ethnologique allemande du début du XXe siècle qui, par ses thèses racistes et occultistes, a inspiré l'idéologie nazie.
Notes et références
modifier- Paul Gruyer, Ouessant, Enez Heussa, l'île de l'Épouvante, 1899, Hachette, Paris, consultable https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55425865/f14.image.r=Ouessant.langFR
- Jacques Cambry, Voyage dans le Finistère, ou État de ce département en 1794 et 1795, Tome second, page 246, librairie du Cercle social, Paris, 1798
- d'après Strabon, Géographie [détail des éditions] [lire en ligne], I, 4.
- Pline l'Ancien, Histoire naturelle [détail des éditions] [lire en ligne], IV, 30.
- Virgile, Géorgiques [détail des éditions] [lire en ligne], I, 22-56.
- Procope de Césarée, « Description de l'île de Thulé », Histoire de la guerre contre les Goths, chapitre XV.
- (en) Peter R. Dawes, GEUS, Explanatory notes to the Geological map of Greenland, 1:500 000, Thule, Sheet 5, ResearchGate, , 100 p. (ISBN 87-7871-171-1, ISSN 1604-9780, lire en ligne).
- « La coupe du roi de Thulé opéra en trois actes », sur BAnQ numérique (consulté le ).
- (fr + en) « Sanglots », sur www.lieder.net (consulté le )
- Julien Gracq, Le rivage des Syrtes, Paris, Librairie José Corti, , p. 10
- Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé : avec les Esquimaux polaires face à leur destin, Paris, Plon, coll. « Terre humaine », , 327 p..
- Jean Malaurie, Ultima Thulé : de la découverte à l'invasion, Paris, Bordas, , 319 p. (ISBN 978-2-04-018400-1).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifierOuvrages de référence
modifierFrançois Herbaux, Pythéas. Les Belles Lettres, 2024. (ISBN 978-2-251-45528-0)
- Barry Cunliffe et Marie-Geneviève l'Her (trad. de l'anglais), Pythéas le grec découvre l'Europe du Nord, Paris, Autrement, , 175 p. (ISBN 2-7467-0361-0).
- François Herbaux, Puisque la Terre est ronde : enquête sur l'incroyable aventure de Pythéas le Marseillais, Paris, Vuibert, , 170 p. (ISBN 978-2-7117-2486-4).
- Hugues Journès, Yvon Georgelin et Jean-Marie Gassend, Pythéas, explorateur et astronome, Ollioules, éditions de la Nerthe, , 146 p. (ISBN 2-913483-10-0).
- [Mund-Dopchie 1990] Monique Mund-Dopchie, « La survie littéraire de la Thulé de Pythéas », L'Antiquité classique, t. LIX, , p. 79-97 (DOI 10.3406/antiq.1990.2281, lire en ligne).
- [Mund-Dopchie 2009] Monique Mund-Dopchie, Ultima Thulé : histoire d'un lieu et genèse d'un mythe, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire » (no 449), , 1re éd., 1 vol., 494, 23 cm (ISBN 978-2-600-01234-8, EAN 9782600012348, OCLC 468202177, BNF 42172997, SUDOC 133534804, présentation en ligne).
Romans et autres éléments bibliographiques
modifier- Thibaud Guyon, Jeanine Rey et Philippe Brochard, Pythéas l'explorateur : De Massalia au cercle polaire, éd. École des loisirs, 2001 (ISBN 2211062512) ;
- Ferdinand Lallemand, Journal de bord de Pythéas, éditions de Paris, 1956 ;
- Jean Mabire, Thulé, le Soleil retrouvé des hyperboréens, Robert Laffont, 1975. IRMINSUL, 1999 (rééd. Pardès, 2002) (ISBN 2867142873) ;
- Samivel, L'or de l'Islande, Arthaud, 1963, Paris.
Articles connexes
modifierLiens externes
modifier
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- « Thulé », dans l'Encyclopédie Larousse en ligne.