Avertissement sur les morceaux qui suivent

Avertissement sur les morceaux qui suivent
Œuvres complètes de D’AlembertBelinIV (p. 211-212).
AVERTISSEMENT
SUR LES MORCEAUX QUI SUIVENT.

Ayant traduit, dans les morceaux que j’ai donnés de Tacite, les portraits que cet écrivain philosophe et vertueux a tracés avec tant de force et d’éloquence de l’infâme Séjan et de l’exécrable Tibère, j’ai cru qu’on ne serait pas fâché de voir ces mêmes portraits défigurés avec impudence et bassesse par le vil adulateur, mais élégant historien Velléius Paterculus. Il peut être intéressant pour un lecteur éclairé de rapprocher les uns des autres des tableaux sortis de deux mains si différentes, d’examiner les traits qui peuvent être communs aux deux peintures, quoique vrais dans l’une et altérés dans l’autre, et de voir, par ce rapprochement, à quel point la flatterie peut embellir le vice.

À ces traductions de Paterculus et de Cicéron, j’en ai joint deux autres qui pourront encore intéresser les gens de lettres et les penseurs.

La première est la traduction en prose des plus belles scènes du Caton d’Addisson. Je sais qu’un poëte ne peut être bien traduit qu’en vers ; je sais tout ce qu’on a écrit avec raison contre les tragédies en prose ; mais outre que la tragédie d’Addisson est en vers non rimés, et par conséquent n’est guère qu’une prose harmonieuse, j’ai voulu seulement ici rassembler sous un même point de vue les plus beaux endroits de cette pièce, afin qu’on puisse comparer le ton et la manière de l’auteur à celle de nos grands tragiques, et surtout de Corneille et de Voltaire, lorsqu’ils ont parlé si éloquemment de tyrannie et de liberté.

Cette traduction est suivie de quelques pensées morales et philosophiques, tirées des ouvrages du chancelier Bacon. On a publié, il y a plusieurs années, une analyse très-estimable des écrits de ce philosophe ; mais, dans cette analyse, on s’est donné, peut-être avec raison, une liberté que je ne me suis pas permise. Mon but a été de montrer Bacon tel qu’il est, et de nous faire connaître, par une version plus rapprochée de l’original, sa manière de voir, de penser et d’écrire. En traduisant les morceaux que je donne ici, je ne prétends ni adopter ni approuver tout ce qu’ils renferment, soit pour le fonds des choses, soit pour la façon de les exprimer ; mais je crois que ces morceaux feront connaître Bacon pour un esprit étendu et profond, dont les idées étaient celles d’un grand génie, et les défauts ceux de son siècle.

Ainsi, par les différens essais de traduction que j’ai soumis au jugement du public, j’ai voulu le mettre à portée, autant qu’il est en moi, de connaître et d’apprécier la manière de penser et d’écrire d’un historien philosophe, d’un historien courtisan, d’un orateur illustre, d’un célèbre poète tragique étranger et moderne, enfin d’un des premiers restaurateurs des sciences, qui a fait parler la raison dans ses ouvrages avec autant d’éloquence que d’énergie. La différence de leur ton, de leurs idées et de leur style marquera non-seulement celle de leur génie, mais aussi celle de leur nation , et du temps où ils ont vécu, objet digne d’intéresser les lecteurs qui attachent quelque prix à la connaissance des hommes, des siècles et des peuples.





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