Carnets de voyage, 1897/Besançon (1864)

Librairie Hachette et Cie (p. 217-219).


BESANÇON


Tout est vert ; les longs étages de collines boisées qui se développent en tournant le long de la rivière, les montagnes par derrière, âpres, tranchées à vif de grandes entailles et poussant, debout dans le ciel, leurs pans de pyramides, la mince lisière de prairie plate qui borde les deux rives. On est dans une coupe de verdure où luit une rivière bleue, roulée par le vent en flots d’émeraude grisâtre. Le soleil n’est pas haut encore, et pendant que les têtes onduleuses de la forêt rient, gaiement illuminées, les tranchées intérieures profondes de roc cassé restent noyées dans leur ombre noire. Parfois, au-dessous d’une saillie perpendiculaire blanche comme un morceau de marbre, rampe une de ces longues noirceurs, haute de trois cents pieds, large d’un demi-quart de lieue. — Une fumée lumineuse, un poudroiement vaporeux, une pâle et charmante brume transparente dort sur toutes ces grandes formes, et, selon la distance, la verdure plus ou moins bleue semble enveloppée de plus de voiles.

On n’a pas idée, dans le Midi, de cette délicatesse virginale et de cette fraîcheur universelle ; il n’y a rien ici qui ne rie et qui ne vive, et au cœur de cette végétation pullulante, la rivière, recueillant les sources, avance toujours dans ses plis lustrés, dans sa voie chatoyante, toute vêtue d’azur et brodée de paillettes d’or.




Il y a seize mille ouvriers et ouvrières en montres à Besançon, et le nombre en croît tous les jours. Ils gagnent trois, quatre, cinq francs par jour et parfois jusqu’à quinze francs. Telle famille de huit personnes gagne de trente à quarante francs. On a fabriqué, l’an dernier, 311 000 montres. — Beaucoup d’horlogers viennent de Genève et sont protestants. Il se forme ici une opinion libérale anticatholique ; plusieurs conseils municipaux ont été renouvelés comme cléricaux. Le Proviseur bat en brèche les établissements ecclésiastiques, mais cela est propre au Nord-Est et unique en France.

Tous ces paysages du Nord sentent trop l’épinard ; quelques vagues brumes blanches, quelques lointains bleuis adoucissent un peu cette couleur monotone ou crue. On pense aux monts du Midi, rosés, violacés, gorge-de-pigeon, d’un jaune doré. — L’œil du coloriste n’est pas heureux ici ; ces sites-là parlent plus à l’être moral qu’à la sensibilité physique. Le paysagiste du Nord est forcé d’atténuer ou de transformer les verts, de chercher les tons roux de l’automne, les tons gris du matin, les noirs, ou les orangés du soir ; bref, de tirer une harmonie d’un clavier où elle manque.


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