Félicia/I/23
CHAPITRE XXIII
Ah ! cher bourreau, dis-je au mourant d’Aiglemont, aussitôt que le relâchement des douleurs me permit de parler, c’est donc à faire ce mal affreux que tendaient les vœux d’un amant ? Il me ferma la bouche par un baiser de flamme, et se maintenant dans le poste dont la conquête venait de lui coûter des travaux si pénibles, il entreprit de me prouver que dans ma position le plaisir succédait bientôt aux souffrances. Je le crus un instant ; mais cette agréable illusion dura peu. Cependant j’aimais trop l’heureux athlète pour le vouloir priver d’une seconde couronne qu’il s’empressait de mériter. J’endurai jusqu’au bout ses cruelles prouesses… La douceur de lui donner du plaisir me dédommageait bien faiblement de n’en point avoir et de beaucoup souffrir. Bientôt des efforts redoublés, des soupirs brûlants, des morsures passionnées, m’annoncèrent que le chevalier touchait derechef au moment du suprême bonheur… Un torrent de feu coula… me consuma… Mais j’entrevis à peine l’éclair du plaisir… Mon supplice finit enfin, avec la vigueur de celui qui venait de l’occasionner. Le pauvre chevalier n’était plus à craindre, il paraissait anéanti ; alors, m’entrelaçant avec plus de confiance autour de lui et le pressant contre mon sein, je recueillis avec délices jusqu’au moindre sanglot de sa voluptueuse agonie. Déjà tout ce que j’avais souffert était oublié : je jouissais réellement, sentant que je possédais celui qui m’était si cher, et qu’après avoir payé le bizarre tribut auquel la nature a voulu soumettre notre sexe infortuné, j’allais moissonner à mon aise dans le vaste champ des voluptés… Mes mains parcouraient avec admiration le corps parfait de mon amant, je lui rendais bien sincèrement toute celle qu’il m’avait prodiguée… Il revint bientôt lui-même ; un entretien fort tendre remplit encore quelques instants. Le sommeil vint ensuite nous livrer à des songes flatteurs, et Morphée prit plaisir à nous assoupir dans l’heureuse attitude où Vénus nous avait laissés.
Deux fois cette bonne déesse daigna, pendant que je dormais, me rendre les biens qu’elle m’avait refusés pendant la sanglante cérémonie de ma consécration. Le chevalier, dont le repos avait peu duré, s’était occupé de me ménager ces doux instants par de légères titillations propres à m’émouvoir, sans pourtant interrompre mon sommeil. Bientôt, encouragé par le succès de ce galant badinage, il tenta de devenir une troisième fois heureux… Mais à peine essayait-il qu’un soupir de douleur annonça mon réveil ; je me dérobai, le grondant et l’accusant de barbarie !… Mais, hélas ! j’avais pitié de lui. Je ne pouvais douter de l’excès de ses désirs… Ses soupirs me touchaient… Je sentais avec pitié son cœur palpiter violemment sous une de mes mains, tandis que dans l’autre certaine partie révoltée brûlait et s’agitait. — Chère Félicia, disait-il avec une tristesse intéressante, ne me reproche pas d’être barbare… Tu l’es plus que moi. — Je tâchais de l’apaiser par de tendres caresses ; ma main, qui d’abord ne pensait qu’à prévenir des entreprises dont je m’effrayais, s’aperçut bientôt qu’elle devenait une espèce de remède… Elle se prêta doucement à certain mouvement qui la remplissait… et fit ainsi de plein gré d’elle-même ce dont on eût été trop délicat pour la prier. Je venais ainsi de faire une nouvelle découverte. — Pardon, mon cher tout, me dit avec une tendre confusion le chevalier plus calme et s’empressant de purifier cette main bienfaisante ; pardon, tu viens de me sauver la vie. Je ne pus m’empêcher de rire de l’importance que je voyais attacher à un service qui m’avait si peu coûté. Je m’en prévalus néanmoins pour faire mes conditions, et j’obtins que de toute la nuit il ne serait plus question de rien : nous dormîmes. Quand je m’éveillai, je ne trouvai plus à mes côtés mon cher d’Aiglemont, vers qui mon premier mouvement avait cependant été d’étendre le bras, disposée pour lors à le défier. Quel effet du désir ! Quelle inconséquence ! J’eus de l’humeur de voir mon espérance trompée et d’être ainsi la dupe de mes conventions, sans lesquelles sans doute le plus caressant des hommes ne m’eût point quittée avant de m’avoir offert quelque nouvelle preuve de sa passion. J’eus recours à mon ancienne ressource ; je fatiguai mes désirs et me rendormis.