Fanch Scouarnec
Un seigneur riche s’en revenait, seul et à cheval, de Brest à lionnes. À Brest, son valet l’avait quitté et s’était embarqué. Il lui en fallait un autre, pour le remplacer, et, sur sa route, il avait déjà l’ait des propositions à plus d’un ; mais tous avaient refusé ; les conditions ne leur plaisaient pas. Entre Plounevez-Moëdec et Belle-Isle-en-Terre (au pont Saint-Élo, sans doute), il vit sur le bord de la route une petite chaumière dont la porte et l’unique fenêtre étaient ouvertes. Il était descendu de cheval, pour monter la côte à pied. Il alla à la chaumière demander du feu pour allumer sa pipe. Comme il tenait son cheval par la bride, il avança la tête par la porte, ayant un pied dedans, l’autre dehors. Son cheval mit aussi la tête à la fenêtre, qui était ouverte, comme je l’ai déjà dit. Un garçon de douze à treize ans était seul dans la chaumière, assis sur la pierre du foyer.
— Es-tu seul, mon garçon ? lui demanda le voyageur.
— Non, répondit Fanch. (Il s’appelait Fanch Scouarnec.)
— Je ne vois que toi, pourtant.
— Il n’en est pas moins vrai qu’il y a dans la maison, en ce moment, un homme et demi et une tête de cheval.
— Tu aimes à plaisanter, à ce que je vois, mais donne-moi un peu de feu pour allumer ma pipe. Où est ton père ?
— Mon père est allé à la chasse, et il laissera ce qu’il prendra, et rapportera à la maison ce qu’il ne prendra pas.
— Cela me paraît difficile ; et ta mère, où est-elle ?
— Ma mère est allée au four pour faire cuire du pain mangé.
— Bien, bien, tu es un vrai farceur ; et ta sœur ?
— Ma sœur pleure sa joie de l’an dernier.
— Et ton frère ?
— Mon frère est allé conduire les vaches au pâturage, et il rapportera le trou et laissera la bonde.
— Je n’y comprends rien ; mais toi-même, que fais-tu là ?
— Moi, je suis à regarder les uns sauter par dessus les autres, et à prendre quelques-uns.
— Décidément, je n’ai jamais vu personne d’aussi plaisant que toi ; mais m’expliqueras-tu tout cela ?
— Rien de plus facile, dit Fanch, et, bien que vous soyez un seigneur, vous n’êtes pas des plus fins, il me semble. Mon père est comme moi, il ne marche jamais seul ; il est toujours en la compagnie d’une foule de petites bêtes qui l’aiment jusqu’à vouloir le manger. Une fois le temps, quand il y en a par trop, il va s’asseoir là-bas au soleil, et il fait la chasse aux petites bêtes dont j’ai déjà parlé, laisse sur la place celles qu’il prend, et rapporte à la maison celles qu’il ne prend pas. Me comprenez-vous, à présent ?
— Parfaitement.
— Ma mère avait emprunté du pain, le mois dernier, et elle est allée au four faire cuire d’autre pain pour rendre celui qu’elle avait emprunté, de telle sorte qu’elle est bien allée faire cuire du pain mangé. Ma sœur avait un boa ami, et son plus grand bonheur était de se promener et de danser avec lui, aux pardons et aux aires neuves ; mais son amoureux, après lui avoir promis de l’épouser, est parti un beau jour, pour la France, en lui laissant un petit ange de Dieu ; et voilà pourquoi elle pleure aujourd’hui le plaisir qu’elle a eu l’an dernier. Mon frère Yves est allé conduire les vaches aux champs, et, avant de s’en retourner, il fera sans doute ce que ni vous, ni moi, ni nul autre au monde ne pourrait faire pour lui, et de la sorte, il laissera la bonde et rapportera le trou ; n’est-ce pas vrai ? Et pour ce qui est de moi, je suis occupé à cuire des pois dans un chaudron, et quand l’eau bout, les pois sautent les uns par dessus les autres, et, avec ma cuillère, j’en attrape quelques-uns, que je mange. Eh ! bien, seigneur, n’est-ce pas vrai tout ce que je vous disais ?
— Si, ma foi ! Pourtant, tu ne m’as pas expliqué ta première réponse.
— Vous m’avez demandé si j’étais seul dans la maison, et je vous ai répondu que je n’étais pas seul, mais qu’il y avait encore un homme et demi et une tête de cheval. Et en effet, vous aviez la tête, un pied et la moitié du corps dans la maison, et moi, j’y étais tout entier, ce qui faisait bien un homme et demi, et la tête de cheval, c’était celle de votre cheval, qui était à la fenêtre.
— Je vois qu’il y en a de plus sots que toi, dans le pays ; mais dis-moi encore où va ce chemin.
— Ce chemin-là, seigneur, ne va nulle part ; je l’ai toujours vu là.
— Je veux dire où il conduit ; m’entends-tu bien ?
— Ah ! c’est différent : il conduit à Belle-Isle, à Louargat, à Bré, à Guingamp et même à Paris, dit-on.
— C’est bien. Veux-tu venir avec moi et être mon valet ?
— Peut-être bien, quand vous m’aurez dit vos conditions ?
— Je te donnerai cent écus et un sac plein de liards, quand tu m’auras servi pendant un an et un jour ; mais à la condition que tu feras tout ce que je te commanderai et que tu ne te fâcheras jamais, quoi qu’on te dise ou qu’on t’ordonne de faire ; si tu te fâches, on t’enlèvera aussitôt une courroie de peau, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, puis l’on te renverra, sans le sou.
— La somme me tente, cent écus ! mais les conditions sont dures. La courroie de peau me fait frissonner. Mais vous-même, seigneur, vous ne devrez pas vous fâcher non plus ?
— C’est entendu.
— Ou on vous enlèvera aussi une courroie ?
— Comme de juste ; ce sera au premier qui se fâchera[1].
— Eh bien, c’est convenu, j’irai avec vous, et je vous suis même tout de suite, pendant que mon père et ma mère sont absents.
Et les voilà tous les deux en route et à cheval tous les deux, car le seigneur ramenait le cheval de son valet, qui l’avait quitté à Brest.
Après avoir marché pendant plusieurs jours, ils arrivèrent au château du seigneur. On chargea d’abord Fanch de surveiller deux enfants de quatre à cinq ans, avec ordre de ne les contrarier en rien et de faire tout ce qu’ils lui demanderaient, si c’était possible.
— C’est bien, dit Fanch ; ce n’est pas un rude travail, pour commencer.
Le soir, comme on était à table (car Fanch mangeait avec le maître et la maîtresse de la maison, pour être toujours avec les enfants), voilà que les deux marmots se mirent à crier : J’ai envie de faire caca ! dit l’un, et moi de faire pipi, dit l’autre.
— Allons ! Fanch, n’entendez-vous pas ? dit la dame.
— Oui, oui ! répondit Fanch, et il les conduisit dehors. Il n’avait encore mangé que sa soupe, et quand il rentra avec les enfants, la table était desservie, et il n’y avait plus rien dessus.
— Comment, est-ce qu’il n’y a plus rien ? demanda-t-il, après avoir attendu un peu.
Dans ma maison, lui répondit le seigneur, il est de règle que celui qui arrive quand la table est desservie n’a plus droit à rien.
— Une mauvaise coutume ! murmura-t-il.
— Est-ce que vous n’êtes pas content ?
— Si ! si ! Je ne mourrai pas pour un mauvais repas ; j’y étais assez habitué, chez mon père.
— Si vous n’êtes pas content, on vous taillera courroie.
— Je suis content, vous dis-je.
Le lendemain, pendant le souper, à peine Fanch avait-il mangé sa soupe, que voilà encore les marmots de crier : J’ai envie…
— Allons ! Fanch, dit encore la dame, n’entendez-vous pas ?
Et Fanch de courir dehors avec les enfants. Allons ! mes enfants, pressez-vous, leur disait-il.
Mais quand il revint, il n’y avait encore rien sur la table.
— Comment, dit-il, il me faudra encore me passer de souper ? deux jours de suite !
— N’êtes vous pas content, Fanch ?
— Je ne dis pas cela ; mais les enfants pourraient bien aussi s’y prendre un peu plus tôt et me laisser manger en paix !
— Vous avez promis de faire tout ce que vous demanderaient les enfants, et si vous n’êtes pas content, vous savez…
— Oui, oui, je sais parfaitement.
Et Fanch alla encore se coucher, sans avoir mangé. Ali ! ça, se dit-il, ça ne peut pas continuer comme ça ; il faut bien que je mange aussi quelquefois ; nous verrons bien comment les choses se passeront demain.
Le lendemain, les enfants recommencèrent leur chanson, à la même heure.
— Ah ! s’écria Fanch, ceci n’est pas une vie ; il faut en finir ! Vous voulez sortir, mes petits drôles ? Eh ! bien, allez au diable ! je veux souper ce soir, moi !
Et il jeta les deux enfants par la fenêtre.
— Hola ! s’écrièrent le maître et la maîtresse, en se levant, c’en est trop ! Jeter les enfants dehors par la fenêtre ! Ah ! vous paierez cela !
— Vous êtes donc fâché, maître ? dit Fanch tranquillement.
— Je ne suis pas fâché, répondit-il, en se calmant un peu, mais ce n’est pas ainsi que l’on agit ; heureux encore si mes pauvres enfants ne sont pas estropiés !
— Si vous êtes fâché, maître, vous connaissez nos conditions, et je vous taillerai
— Je te dis que je ne suis pas fâché, mais je ne te confierai plus mes enfants.
— Comme vous voudrez ; d’ailleurs, j’aime mieux faire autre chose que de garder des enfants, comme une nourrice.
Ce soir-là, Fanch put manger à son aise. Le lendemain matin, le seigneur lui dit :
— Va à la forge, et fais renouveler les fers des pieds des chevaux.
— C’est bien, répondit Fanch, j’aime mieux cela que garder des enfants.
Et il se rendit à l’écurie, coupa les pieds des chevaux avec une cognée, les mit dans une charrette et les porta à la forge. Le soir, quand il revint, le seigneur était dans la cour du château.
— Voilà les pieds de vos chevaux, dit Fanch ; voyez s’ils sont bien ferrés.
— Qu’as-tu fait, malheureux ?
— Ne m’aviez-vous pas dit de faire ferrer les pieds de vos chevaux.
— Tu m’as ruiné, fils de l’enfer !
— Comment, maître, vous êtes fâché, il me semble ?
— Ah ! il y a bien de quoi !… mais tu sais bien que je ne me fâche pas si facilement.
— Si vous êtes fâché, vous savez… je taillerai courroie…
— Va vite souper, et ne dis rien à la maîtresse : demain, je verrai à quoi je pourrai t’employer.
Le lendemain, Fanch fut envoyé pour surveiller un grand troupeau de bœufs, au pâturage, sur le bord d’une grande route. Vint à passer sur la route un boucher. Il entra dans la prairie et se mit à examiner les bœufs et à les tâter. Les beaux bœufs ! se disait-il à lui-même ; ils sont gras comme des taupes ! Il faut que je fournisse de la viande au château, pour les noces de la demoiselle, qui auront lieu la semaine qui vient, et si je pouvais avoir trois ou quatre de ces bœufs-ci, cela ferait joliment mon affaire ! Eh ! le gars !… cria-t-il à Fanch, qui chantait couché sous un hêtre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il, sans se déranger.
— Viens ici un peu que je te parle.
— Venez vous même, si vous avez besoin de moi. Et le boucher alla à lui, en se disant : il n’a pas l’air des plus fins.
— Veux-tu me vendre trois ou quatre de tes bœufs ?
— Tous, si vous voulez.
— Combien en demandes-tu ?
— Cinq cents écus et la queue d’un deux.
— La queue d’un d’eux ! et pourquoi diable ?
— Ne vous en inquiétez pas, cela ne regarde que moi.
— Eh ! bien, tope là ! le marché est fait. » Et ils se frappèrent dans la main l’un de l’autre.
— Et de l’argent tout de suite, reprit Fanch.
— Oui, oui, de l’argent tout de suite.
Le boucher lui compta les cinq cents écus, et se disposait à partir avec les bœufs, content de son marché, lorsque Fanch lui cria :
— Et la queue ? il me faut ma queue.
— Tu y tiens donc ?
— Mais certainement, et rien n’est fait, sans cela. Le boucher coupa la queue à un des bœufs et la lui laissa.
Quand le boucher fut parti, emmenant les bœufs, Fanch grimpa sur un chêne, avec sa queue, et se mit à crier à tue-tête : Au secours ! au secours ! accourez vite !
On entendit ses cris au château, et l’on envoya un valet pour s’enquérir du motif. Fanch, en voyant venir le valet lui cria :
— Cours au château et dis au seigneur de venir ici, au plus vite, ou tous ses bœufs vont être perdus !
Et le valet courut au château et dit au seigneur :
— Venez vite à la prairie, maître, ou tous vos bœufs vont être perdus !
Le seigneur courut à la prairie et, voyant Fanch monté sur un arbre et faisant mine de tirer de toutes ses forces sur une queue de bœuf :
— Que faites-vous donc là, Fanch, et où sont les bœufs ?
— Montez vite, mon pauvre maître, montez vite ou vous les perdrez tous ! Un tourbillon[2] est venu tout d’un coup qui les a enlevés au ciel, se tenant tous à la file par la queue ! J’ai pu saisir la queue du dernier, et j’ai été enlevé ici. Je la tiens encore ; mais, au nom de Dieu, hâtez-vous de venir à mon secours, car je vais lâcher prise, je n’en puis plus !
Et voilà le seigneur de tirer aussi sur la queue. Mais alors Fanch lâcha prise, et son maître tomba par terre, emportant la queue.
— Hélas ! mon pauvre maître, lui dit-il alors, nous avons tant tiré que la queue nous est restée, et les bœufs se sont envolés au ciel !
Le pauvre seigneur, tout meurtri et sanglant, jurait et tempêtait.
— Fils de p… ! maudit drôle ! tu m’as presque tué !
— Comment, mon maître, est-ce que vous êtes fâché ? lui demanda tranquillement Fanch, qui était encore sur l’arbre.
— Et qui ne serait pas fâché ?
— Oh ! alors, vous savez nos conventions, et je vais vous tailler courroie…
— Mais je n’ai pas dit que je fusse lâché ; et pourtant, j’aurais bien raison de l’être, je pense. Tu me ruineras ! heureux encore si tu ne me fais pas mourir.
Et le seigneur revint à la maison, en se grattant le derrière, et en songeant à la manière dont il s’y prendrait pour se défaire d’un pareil drôle.
Le lendemain, il envoya Fanch garder ses pourceaux. Vint à passer un marchand de pourceaux qui allait à la foire, à Lannion.
— Veux-tu me vendre tes pourceaux, mon gars ? demanda-t-il à Fanch.
— Je ne demande pas mieux, répondit celui-ci.
— Combien en veux-tu ?
— Deux cents écus, et la queue d’un d’eux.
— Tope-là ! c’est entendu.
— Et de l’argent tout de suite.
— Oui, oui, tout de suite.
Et le marchand paya deux cents écus, puis partit emmenant les pourceaux.
Il y avait tout près de là un étang dont une partie était toute marécageuse et obstruée par les herbes et les joncs. Fanch entra dans le marais, jusqu’au ventre, et se mit à crier à tue-tête. Il avait mis dans la vase le gros bout de la queue de pourceau qui lui était restée, et feignait de tirer dessus, de toutes ses forces, en criant : Au secours ! au secours ! accourez vite ! Le seigneur était à se promener dans le bois, non loin de l’étang, et il accourut aux cris.
— Qu’est-ce encore ? demanda-t-il, en voyant Fanch dans la vase jusqu’au ventre.
— Venez, vite, à mon secours, mon pauvre maître, ou nous les perdrons tous ! Un animal comme je n’en ai jamais vu, d’un aspect effrayant, un diable de l’enfer, je le crois bien, est sorti de l’étang, au moment où j’y songeais le moins, puis il y est rentré, entraînant mes pourceaux, qui se tenaient tous par la queue. Je tiens encore la queue du dernier, voyez ! venez m’aider à tirer dessus, car si nous pouvons l’avoir, tous les autres viendront à la suite ! venez, vite, car je vais lâcher prise !
Et le seigneur entra, sans hésiter, dans l’étang, et se mit aussi à tirer sur la queue, avec Fanch. Mais celui-ci, lâchant prise aussitôt, il tomba et s’enfonça dans la vase, et faillit y être étouffé.
— Hélas ! nous les perdons encore ! Ils sont allés dans l’enfer ! s’écria Fanch.
L’autre, s’étant dépêtré, avec beaucoup de peine, menaçait et jurait.
— Comment, mon maître, vous êtes donc fâché ? lui demanda Fanch ironiquement.
— Donne-moi la paix, fils de p… ! Je voudrais te voir au diable !
— Si vous êtes fâché, vous n’avez qu’à me donner mes cent écus, avec un sac de liards, suivant nos conventions, et je partirai quand vous voudrez ; mais avant de m’en aller, vous savez, je vous taillerai une courroie depuis la nuque…
— Et qui t’a dit que je suis fâché ?… et pourtant il y aurait bien lieu, j’espère ; tu me ruineras complètement !
— Que voulez-vous ? je ne puis pas empêcher le diable d’emporter vos pourceaux !
— Demain, je te donnerai une autre occupation, et aussitôt ton année finie, tu partiras, puisque tu n’es bon à rien.
— Comme vous voudrez ; mais quand est-ce que mon année finit aussi ?
— Quand le coucou chantera.
Le lendemain, le seigneur dit à Fanch :
— Prends ce fusil, et accompagne-moi au bois ; les braconniers me détruisent tout mon gibier, et les pauvres de tout le pays font leur provision de bois à mes dépens ; je veux y mettre bon ordre.
— C’est bien ! répondit Fanch, cela me va.
Et il mit le fusil sur son épaule, et suivit son maître au bois. Dès en entrant, ils virent une vieille femme qui portait un grand faix sur son dos.
— Tire dessus ? dit le seigneur à Fanch.
— Faut-il le faire ?
— Oui, oui !
— Et si je la tue ?
— Tant pis pour elle ! Ça lui apprendra à me voler mon bois.
Et Fanch tira, pan ! et la vieille roula à terre, avec son faix. Ils allèrent à elle.
— Elle est morte ! dit le seigneur.
— Net ! répondit Fanch, malheureusement pour vous, car je ne voudrais pas être à votre place. Cette vieille à deux fils, deux fameux gaillards, ma foi ! et quand ils sauront que vous avez tué leur mère
— Mais c’est toi qui l’as tuée.
— Oui, mais sur votre ordre ; je suis votre domestique, et je vous dois obéissance, mais c’est vous aussi qui paierez pour moi.
— Tu me fais peur : va, vite, chercher deux pelles au château, pour la mettre en terre, et personne n’en saura rien. Tu en trouveras dans le corridor, auprès de la chambre de ma femme et de ma fille. Mets-les dans un sac, pour que personne ne voie, et reviens, vite.
Fanch se rendit au château, et trouva ouverte la porte de la chambre de la dame, qui y était avec sa fille. Il entra et dit :
— Mon maître m’a ordonné de vous mettre toutes les deux dans un sac.
— Qu’est-ce que vous dites, imbécile ! il faut que vous ayez perdu la tête !
— Vous allez l’entendre le dire lui-même.
Et, se mettant à la fenêtre, il demanda au seigneur, qui l’attendait en bas :
— Toutes les deux dans un sac, n’est-ce pas, Monseigneur ?
— Oui, toutes les deux, et dépêche-toi ! (Il voulait dire deux pelles.)
— Entendez-vous ? je dois obéir à mon maître.
Et il se précipita sur la mère et la fille, et réussit, non sans peine, car elles se défendaient de leur mieux, à les enfermer dans un sac. Le seigneur, en entendant le bruit et les cris qu’elles poussaient, accourut, pour voir ce qui se passait.
— Quel tour m’as-tu encore joué, misérable, démon incarné ? s’écria-t-il, en voyant le sac qui se roulait sur le plancher et en entendant les cris qui en sortaient.
— Eh ! je les ai mises dans le sac ; ne m’aviez-vous pas dit de vous apporter deux filles dans un sac ?
— Deux pelles, imbécile !
— Dame ! moi j’avais compris deux filles[3] !
— J’ai envie de te passer mon épée au travers du corps !
— Vous êtes fâché, il me semble, mon maître ?
— Fâché, fâché… et qui ne le serait pas, à ma place ?
— Oh ! alors, je vais vous tailler courroie
— Mais je ne suis pas fâché du tout, je n’ai rien dit de semblable ; tu sais bien que j’ai bon caractère et que je ne me fâche jamais. Mais, va-t-en, vite, au bois, emporte deux pelles dans un sac, tu entends bien, deux pelles, et fais ce que je t’ai dit.
Le seigneur retira sa femme et sa fille du sac, puis, ils avisèrent au moyen de se défaire de Fanch, le plus tôt possible.
— On était convenu, dit la dame, que son année finirait quand chanterait le coucou.
— Oui, mais le coucou n’est pas près de chanter encore !
— Bah ! ce garçon-là est si bête, qu’il ne doit pas
connaître à quelle époque de l’année le coucou chante ;
demain, je ferai chanter le coucou, moi.
Le lendemain, au moment où Fanch se rendait au bois, son fusil sur l’épaule, il entendit : Coucou ! coucou ! sur un grand chêne qui était auprès de la porte de la cour.
— Tiens ! tiens ! dit-il, le coucou, dans ce pays-ci, chante au mois de février ! Tout à l’heure je t’apprendrai à attendre ton temps pour chanter, vilaine bête !
Et il tira, pan ! Et la dame tomba morte à ses pieds.
— Tiens ! le singulier coucou ! dit-il.
— Ah ! démon, s’écria le seigneur, tu as tué ma femme ! Je vais te tuer aussi, comme un chien !
— Ah ! pour cette fois, mon maître, vous êtes bien fâché, et je vais vous tailler courroie
— Mais non, je ne suis pas fâché, puisque je ne me fâche jamais, moi. Mais, à partir de ce moment, tu n’auras plus rien à faire au château, que manger, boire, dormir, et te promener ; car tu me réduirais à la mendicité !
— À merveille ! c’est là où j’en voulais arriver.
Un jour, le coucou chanta aussi, au mois de mai. Et l’on donna à Fanch ses cent écus, un sac de liards et son congé. Et il retourna dans son pays, sans qu’on lui eût taillé courroie, plus heureux que beaucoup d’autres qui l’avaient précédé dans ce château ; car il y avait là une salle où l’on voyait un grand nombre de courroies appendues et rangées contre le mur.
Avec les cinq cents écus qu’il avait eus des bœufs, les deux cents écus des pourceaux, et les cent écus et le sac de liards de ses gages, il se trouvait être riche. Aussi, se maria-t-il à une des plus riches héritières de sa commune, et, pendant trois jours entiers, il y eut des fêtes et des festins auxquels furent invités tous les gens de sa commune, les pauvres comme les riches[4].
Comparez : Hahn, Griechische und albanesische Mœrchen, nos H et 34 ; Schott, Walachische Mærchen, pag. 229 ; Jahrbuch für romanische und englische Litteratur, tome VIII, p. 246 (conte italien) ; Webster, Basque Legends, p. 6 et 11 ; Wenzig, Westslavischer Mærchenschalz, p. 5 ; Schleicher, Litauische Mærchen, p. 45 ; Prœhle, Mærchen für die Jugend, no 16 ; ; Zingerle, Kinder und Hausmærchen aus Süddeutschland, p. 223 ; Arne, Nogle Foriœllinger, Sagn og Æventyr, indsamlede i Slagelse-Egnen, Slagelse 1862, p. 63 ; Asbjœrnsen et Moe, Norske Folkeeventyr, 2e édition, p. 394 et 390 ; Campbell, Popular Tales of the West Highlands, no 45 ; Kennedy, the Fireside Stories of Ireland, p. 74.
Dans ces différents contes, un maître et un serviteur prennent un engagement réciproque par lequel aucun des deux ne doit se fâcher contre l’autre, ou, selon quelques versions, ne doit exprimer de regret sur l’engagement. Si l’un se fâche, ou exprime du regret, l’autre lui doit, dans la plupart des contes, tailler dans le dos une ou plusieurs lanières de peau. Dans le conte italien, il doit être écorché ; dans le conte moravo-valaque de Wenzig, il doit perdre le nez, et dans les contes allemands, il doit perdre les oreilles. Dans plusieurs contes, le maître conclut successivement cet arrangement avec trois frères, dont les deux aînés sont malheureux et ne réussissent pas. Les coups par lesquels le serviteur cherche à faire naître la colère ou les regrets de son maître, sont quant aux uns, les mêmes ou très-semblables dans plusieurs contes, et quant aux autres, particuliers à tel ou tel de ces contes.
Un conte Afghan, évidemment corrompu et publié par Thorburn, Bannu, or our Afghan Frontier, p. 199, tient une place à part :
Dans ce récit, le serviteur doit tous les jours semer une corbeille de grains, préparer pour la famille une corbeille de bois de chauffage et le vivre ; en retour, le maître doit lui fournir une charrue et un couple de bœufs ; celui des deux qui ne tient pas son engagement doit perdre le nez. Dès le premier jour, le serviteur ne peut remplir tout son office, et le maître lui coupe le nez. Il retourne chez lui et raconte sa mésaventure à son frère qui entre au service du maître aux mêmes conditions. Celui-ci répand tout le grain, tue un des bœufs et brise la charrue, et, rentré à la maison, dit au maître qu’il a rempli ses engagements. Il en fait autant le second jour. Le troisième jour, le maître ne peut lui fournir ni grain, ni charrue, ni bœuf, et perd son nez.
— Dans notre conte breton, Fanch doit enlever les deux enfants du maître pendant le repas ; on doit ici rapprocher un conte grec (n° 34) et le conte lithuanien. Dans le conte grec, le maître dit au serviteur de prendre l’enfant et de lui vider les boyaux, mais le serviteur tue l’enfant et enlève ses boyaux ; dans le conte lithuanien, le serviteur traite l’enfant de telle façon que celui-ci perd l’envie de se faire porter par lui.
Fanch vend les cochons, fiche la queue dans une mare, et prétend qu’ils ont été attirés par un démon dans le marais ; comparez les contes italiens et basques, le conte allemand de Prœhle où ce sont des vaches, Asbjœrnsen, p. 393 et 390, Gonzenbach, Sicilianische Mærchen no 37, p. 255 et Arnason, Jcelandic Legends translated by Powell and Magnusson, t. II, p. 552.
Mais quand Fanch vend les bœufs et prétend qu’ils ont été enlevés au ciel par un tourbillon, et que c’est pour cela qu’il se trouve sur un arbre avec la queue d’un des bœufs, on ne peut comparer cet épisode qu’avec le conte norvégien (Asbjœrnsen, p. 370), où le valet vend toutes les chèvres, sauf une qu’il pend à un arbre, et prétend qu’un tourbillon les a enlevées au ciel à l’exception de celle-là.
Fanch dans le château va chercher deux pelles et crie de la fenêtre à son maître « toutes les deux, seigneur ? » On peut comparer le conte basque où le serviteur doit aller chercher à la maison pelle et pioche, et à cette occasion bat la maîtresse et sa servante en même temps que de la maison il crie au maître : « une ou toutes deux ? »
Le fait que l’engagement doit cesser quand le coucou chantera, et que, par cette raison, la femme du maître monte sur un arbre et imite le chant du coucou, se rencontre, outre le conte breton, dans les contes allemands, dans le conte danois, dans un conte norvégien (Asbjœrnsen, p. 394), dans un conte grec (Hahn, n° 34) et dans le conte moravo-valaque. Cf. aussi Gonzenbach, Sicilianische Mærchen, n° 37, où la mère de Giufà (p. 254) se cache dans le lierre et crie comme une chouette.
Avec le commencement du conte breton il faut comparer le passage suivant de l’histoire latine de Salomon et Marcolphus.
«. Rex Salomon quadam die cum venatoribus suis et copulis canum de venatione rediens, forte transiens ante hospitium Marcolphi, divertit se illuc cum equo suo, et inclinato capite suo sub limine ostii requirens, quid intus esset, Marcolphus respondit régi : Intus est homo integer et dimidius et caput equi ; et quanto plus ascendunt, tanto plus descendunt. Ad hoc Salomon dixit : Quid estquod dicis ? Marcolphus respondit : Nam integer ego sum intus sedens, dimidius homo tu es supra equum extra sedens, intus prospiciens inclinatus ; caput vero equi caput est tui caballi, super quem sedes. Tunc Salomon dixit : Qui sunt ascendentes et descendentes ? Marcolphus respondit et ait : Fabæ in olla bullientes. Salomon : Ubi sunt tuus pater et tua mater, tua soror et tuus frater ? Marcolphus : Pater meus facit in campo de uno damno duo damna ; mater mea facit vicinæ suæ, quod ei amplius non faciet ; frater meus extra domum sedens, quicquid invenit, occidit ; soror mea in cubiculo sedens plorat risum annualem. Salomon : Quid illa significant ? Marcolphus : Pater meus in campo suo est, et semitam per campum transeuntem occupare cupiens, spinas in semitam ponit, et homines venientes duas vias faciunt nocivas ex una, et sic facit duo damna ex uno. Mater vero mea claudit oculos vicinæ suæ morientis, quod amplius ei non faciet. Frater autem meus, extra domum sedens in sole et pelliculas ante tenens, pediculos omnes, quos invenit, occidit. Soror autem mea præterito anno quemdam juvenem adamavit, et inter ludicra et risus et molles tactus et basia quod tunc risit, modo prægnans plorat. »
Comparez en outre le conte de l’Amiénois dans Mélusine, p. 279 et le commencement du conte gascon Juan lou pigre, dans Bladé, Contes et proverbes populaires recueillis en Armagnac, p. 14[5].
Dans le conte de l’Amiénois un petit garçon dit à un intendant d’un seigneur à qui son père doit de l’argent : « Bonjour, la moitié d’un homme et la tête d’un cheval ! » et il fait les réponses suivantes aux questions, où sont la mère, le père, les sœurs :
1° Ma mère est allée à la chasse, tout ce qu’elle tue elle le laisse et tout ce qu’elle ne tue pas elle le rapporte.
2° Mon père est parti faire un trou pour en boucher deux autres (c’est-à-dire qu’il est allé emprunter une somme pour payer deux créanciers).
3° Ma sœur aînée est partie pleurer ses plaisirs du temps passé (c’est-à-dire qu’elle est allée au cimetière pour pleurer son fiancé qui est mort).
4° Ma jeune sœur fait cuire des allants et venants (i. e. des pois).
Dans le conte gascon, aux questions de son maître, s’il est seul, ce qu’il fait, ce que font son frère et sa sœur, sa mère et son père, Jean fait les réponses suivantes :
1° J’y vois la moitié de deux bêtes à quatre pieds.
2° Je fais cuire ceux qui s’en vont et ceux qui s’en retournent.
3° Mon frère est à la chasse, et tout le gibier qu’il prend, il le jette, et celui qu’il ne peut pas atteindre, il l’emporte.
4° Ma mère fait cuire le pain que nous avons mangé la semaine passée.
5° Mon père est à la vigne, et il fait du bien et du mal (c’est-à-dire qu’il fait du bien quand il coupe bien, et qu’il fait du mal quand il coupe mal).
Comparez en outre Zingerle, 1.1., p. 42, Schneller, Mærchen und Sagen ans Wœlschlirol, n° 46, et un conte suisse dans Firmenich, Germaniens Vœlkerstimmen, tome II, p. 658, et répété dans Sutermeister, Kinder und Hausmœrchen aus der Schweiz, 2e éd., p. 227.
Dans le premier conte, un jeune paysan dit à un seigneur :
1° Mon père est allé au champ pour faire d’un mal, deux.
2° Ma mère cuit le pain que nous avons mangé la semaine dernière.
3° Ma sœur pleure ce dont elle a ri l’année passée.
Dans le conte du Tyrol italien, un enfant dit à un seigneur à qui son père doit de l’argent :
1° Je vois comme ils ricanent et comme ils sont.
2° Mon père est allé pour boucher un trou avec un autre trou.
3° Ma mère cuit du pain déjà mangé.
4° Ma sœur pleure les joies de l’année passée. (Elle s’est mariée l’an dernier avec un méchant qui la fait souvent pleurer.)
Dans le conte suisse, un enfant dit à un seigneur : Le père cuit du pain déjà mangé, et la mère fait du mauvais sur mauvais (c’est-à-dire qu’elle rapièce des vieux habits).
Pour la réponse dans le conte breton : « Mon père est allé à la chasse et il laissera ce qu’il prendra, et rapportera à la maison ce qu’il ne prendra pas, » et, pour les réponses parallèles dans le conte de l’Amiénois et dans le conte gascon, je renvoie le lecteur à la préface de M. Gaston Paris dans E. Rolland, Devinettes ou Énigmes populaires de la France, p. XL
- ↑ L’expression tailla korreann ou sevel korreann, tailler courroie ou lever courroie, est proverbiale dans tout le pays de Tréguier et de Lannion. Elle est employée dans le sens de susciter des embarras, des difficultés à quelqu’un, lui donner du fil à retordre, comme on dit en français. Ce doit être un souvenir de l’antique coutume d’après laquelle, lorsque deux hommes s’étaient engagés vis-à-vis l’un de l’autre, le premier qui manquait à la parole donnée était condamné à avoir une bande de peau enlevée, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, et acceptait cette peine, sans essayer de s’y soustraire. La même coutume se retrouve dans les traditions populaires des Gaëls de l’Ecosse, recueillies par M. F.-J. Campbell, et qui ont été l’objet d’une dissertation pleine d’intérêt de la part de M. Morin, professeur d’histoire de la Faculté des Lettres de Rennes.
- ↑ Nos paysans bretons croient que dans un tourbillon il y a toujours un être animé, un géant, et que si l’on peut l’atteindre au cœur en lui lançant des faucilles ou des cognées, il s’affaisse sur lui-même et expire, en poussant un cri terrible.
- ↑ Fanch est censé avoir compris plac’h (fille) au lieu de pâl (pelle).
- ↑ Une autre version de ce conte présente des variantes assez
intéressantes. En voici un résumé succinct. — Un roi a trois fils,
dont le plus jeune est bossu. Devenu vieux, le roi promet la couronne
à celui de ses trois fils qui se signalera par le plus bel
exploit. Tous les trois ils doivent voyager pendant un an et un
jour, mais successivement, pour chercher des aventures. L’aîné
part le premier, avec la bourse bien garnie et monté sur un beau
cheval. Mais il dépense tout son argent, vend son cheval et se
trouve réduit à la misère. Un jour qu’il mangeait son pain sec
près d’une fontaine, au moment où il se penchait sur l’eau,
pour en boire, il vit une coquille de Saint-Jacques monter du fond
et venir s’offrir à lui, afin qu’il put boire plus facilement. Mais
il la repoussa avec dédain. Il pénétra ensuite dans un grand bois
où il vit, après avoir erré longtemps, une hutte couverte de
feuillage et de fougères, et dans laquelle demeurait une petite
vieille femme. Celle-ci lui indiqua dans le bois un château où il
trouverait sûrement de l’occupation, car on y changeait de domestique
presque tous les jours. Il se rendit au château et fut
reçu comme domestique, aux conditions suivantes : faire exactement
tout ce qu’on lui commanderait, et ne jamais se fâcher,
quoi qu’il put lui arriver, sous peine d’être obligé de se laisser
enlever un ruban ou courroie de peau, depuis la nuque jusqu’à
la plante des pieds ; son année finirait quand le coucou chanterait,
et il aurait un boisseau d’argent, s’il en atteignait la fin sans
avoir failli aux conditions. Mais, dès le second jour, il se fâcha,
et le seigneur lui enleva la courroie convenue, puis il le renvoya
sans le sou. Il s’en retourna à la maison, l’air piteux et malade.
Le second fils partit alors. Il lui arriva absolument comme à
son frère aîné. Il dépensa son argent, vendit son cheval, dédaigna
aussi la coquille de saint Jacques de la fontaine, arriva à
la hutte de la même vieille femme, puis au même château, où
il fut pris aux mêmes conditions, y laissa aussi une courroie de
sa peau et retourna enfin chez son père, aussi misérable et aussi
honteux que le premier.
Le tour du bossu venu, il voulut partir aussi. — À quoi bon ?
lui dit son père ? Mais il insista, et on le laissa aller, mais sans
cheval et avec fort peu d’argent. Il arriva à la même fontaine que
ses frères, et s’y arrêta comme eux, pour se reposer un peu et
casser une croule. La même coquille vint s’offrir à lui, quand il
voulut boire ; mais, loin de la repousser, il l’accueillit au contraire
avec reconnaisance et la remercia du service qu’elle lui avait rendu.
Plus loin, la vieille bonne femme de la hutte le reçut avec bienveillance,
l’encouragea et le conseilla. Il alla ensuite au château,
où il fut accepté comme domestique, aux mêmes conditions que
ses deux frères. Puis, les mêmes épisodes et les mêmes détails, à
très-peu de chose près, que dans notre conte. Mais au lieu de laisser
au château une courroie de sa peau, ce fut lui, au contraire,
qui en enleva une au seigneur, et l’emporta, ainsi que celles enlevées
à ses deux frères, à qui il les restitua. La vieille femme de
la hutte dans le bois, qu’il revit au retour, lui enleva sa bosse,
en la frottant avec un onguent magique, et, en arrivant à la
maison, il se maria avec une belle princesse, et son père lui
céda sa couronne.
Cette version, comme on le voit, diffère assez peu de celle que nous donnons ici.
Cette coutume de tailler courroie de peau paraît-être bien ancienne. On trouve dans Plaute : De meo tergo degitur corium ; et dans Jehan de Saintré (XVe siècle) : Ha ! Madame, dit Madame à la royne : Vous taillez larges courroies d’autruy cuir, (chap. 24.) — Cela rappelle aussi l’histoire de la livre de chair du Marchand de Venise, de Shakespeare, laquelle histoire se trouve également dans le Dolopalhos. - ↑ On trouve ce conte gascon, mais dans un moins bon texte, aussi chez Cénac-Moncaut, Littérature populaire de la Gascogne, p. 235. Bladé nous renvoie aussi au conte provençal. « L’Enfant et le Moussou » dans l’Armana prouvençau de 1859, p. 58. Je regrette de n’avoir pas cette année de l’Armana.
- ↑ J’omets deux autres occupations de la mère qui ne se trouvent dans aucun des autres récits.