L’Oublieux
M. JEROME, bon bourgeois de Paris.
M. DESLANDES, son fils aîné.
M. DUVIV1ER, son jeune fils.
M. DE L’ÉTANG, avocat.
Mlle DE L’ÉTANG, sa sœur.
Mlle DUPRÉ, cousine de Mlle de l’Étang.
BABET, petite servante de Mlle de l’Étang.
Mlle MANON et LOUISON, voisines de Mlle de l’Étang.
ACTE I
Scène I
Je crois que cet homme-là me fera déserter la maison.
Il est vrai que cet amant est un peu incommode.
Comment incommode ? Il fut hier céans toute l’après-dînée, il y revint après souper,
et aujourd’hui, à peine sommes-nous levées qu’il vient nous rendre visite.
Que veux-tu ? c’est qu’il t’aime.
J’ai bien affaire qu’il m’aime pour me venir rompre la tête. As-tu jamais vu une conversation
comme la sienne ? Il va ramasser toutes les méchantes nouvelles du Palais et du Luxembourg,
toutes celles des Halles et de la place Maubert, et il’vient me les redire toutes, sans m’en faire
grâce d’une seule.
Tu me surprends, car je t’ai ouï dire que tu ne le haïssois pas.
Cela est vrai, et il y a des temps ou j’en
suis très-contente ; mais depuis quelques
jours il m’a tellement fatiguée de ses sottes
nouvelles, que, , s’il continue encore sur le
même ton, je lui donnerai nettement son
congé.
Cela serait un peu violent.
Tant violent qu’il te plaira ; je n’aime point d’être obsédée. Cela est fort plaisant d’avoir toujours un
homme devant soi !
Scène II
Quelle dispute avez-vous là, que vous me semblez si émues ?
Le sujet en est assez extraordinaire : ma cousine se plaint d’avoir un amant qui est trop assidu
auprès d’elle, et veut que je la plaigne de ce malheur.
Voilà qui est horrible ! Vous êtes, ma cousine, bien inhumaine de ne pas prendre beaucoup de part à
une telle affliction.
Que je hais les mauvais plaisants ! Je vous dis que rien n’est plus fatigant que la présence
continuelle d’un homme, tel qu’il puisse être.
Voilà, ma pauvre sœur, ce que c’est que d’avoir tant de mérite et tant de charmes.’Ce sont de
grands avantages, mais ces avantages ont de grandes incommodités. On a le déplaisir d’entendre
dire à tous moments qu’on est belle, qu’on est aimable, et de l’entendre dire en cent manières
différentes, et encore par des gens dont on est aimée. Cela est bien douloureux : il faut une grande
vertu pour soutenir généreusement et de bonne grâce le poids d’une si grande affliction.
Réjouissez-vous tant qu’il vous plaira, mais cela ne me réjouit point.
Tu te plains fort mal à propos. M. Duvivier est un fort honnête homme, qui a beaucoup de bien et
de très-beau bien, qui a de l’esprit à sa manière et qui sait toujours mille nouvelles.
Il n’en sait que trop pour mon repos.
{{personnage|M. DE L’ÉTANG.|c}}
Son frère aîné, M. Deslandes, est d’une humeur bien opposée : c’est un loup-garou qui ne voit
personne, qui n’a nulle curiosité pour tout ce qui se fait aujourd’hui, et qui n’a d’autre passion que de
savoir les curiosités les plus cachées de la fable bu de l’histoire la plus ancienne. Il étoit
dernièrement dans une joie inconcevable d’avoir trouvé le nom de la nourrice d’Hector et celui de la
femme de chambre qui rognoit les ongles à Cléopâtre. Il étoit encore ravi d’avoir appris que les
pantoufles du roi Priam étoient doublées en peau de louve.
Où est-ce que M. Jérôme a péché ces deux enfants-là ? Ils ne lui ressemblent point du tout. M.
Jérôme est un bon homme qui ne s’informe guère de tout ce qui se passe, et que je ne crois pas non
plus un fort grand docteur, quoiqu’il dise dès mots de latin assez souvent.
{{personnage| M. DE L’ÉTANG.|c}}
M. Jérôme est, comme vous le dites, un fort bon homme, qui a bon sens et qui a amassé beaucoup
de bien dans son négoce. On le tient riche de plus de trois cent mille livres. Il est vrai aussi qu’il ne
s’est jamais beaucoup mis en peine de l’antiquité. Si quelquefois il dit du latin, c’est par la seule
raison qu’il n’en sait guère. C’est du côté de leur mère que ces enfans tiennent les caractères dont ils
sont. Leur mère étoit une bonne femme, fort avare, qui ramassoit tous les chiffons et toutes les
guenilles’de son grenier, dont elle se pafoit, et qu’elle mettoit en œuvre avec plus de soin et plus
de joie qu’elle n’aurait fait de belles étoffes bien riches et toutes neuves, et c’est de là qu’on croit
que son fils aîné tient l’amour qu’il a pour les antiquailles. On dit aussi qu’elle savoit et débitoit
fort bien toutes les petites histoires de son quartier, et que de là vient l’inclination qu’a son jeune fils
à dire des nouvelles.
Quoi qu’il en soit, ces deux enfans-là sont bien différens l’un de l’autre.
Pas trop. Je les trouve en quelque façon de la même espèce, c’est-à-dire tous deux épris de
bagatelles, dont l’un les aime quand elles sont bien nouvelles, et l’autre quand elles sont bien
vieilles. Ils avoient une sœur qui étoit la vraie humeur du père : une bonne enfant, blanche et
vermeille, et de gros yeux qui ne disoient rien. Elle trouvoit tout bon, et tous ceux qui l’alloient
voir étoient les plus honnêtes gens du monde. Je me souviens toujours d’une anagramme que je fis
pour elle, dont elle étoit ravie. Elle s’appeloit Marie-Guillaume, et l’anagramme étoit Miracle de
beauté. Il est vrai qu’il y manquoit beaucoup de lettres ; mais, quand je lui eus répondu que c’étoit
en cela particulièrement que consistoit la beauté de l’anagramme, que c’étoit une chose trop aisée
quand toutes les lettres s’y rencontraient d’elles-mêmes, et que la difficulté étoit de les y trouver
quand elles n’y étoient pas, elle fut très-contente de ma réponse et de son anagramme.
J’aurais bien aimé cette bonne fille. Pour ce qui est des deux frères, je crois que celui qui aime les
nouvelles a plus de raison que celui qui aime les antiquailles, car je ne crois pas qu’il y ait rien de
plus inutile et de plus ridicule.
Comme vous parlez ! Savez-vous qu’il n’y a que ceux qui ressemblent à M. Deslandes qu’on
regarde aujourd’hui comme de vrais savans, et que tous les auteurs en ius, soit d’Allemagne, soit de
Hollande, ne donnent ce titre honorable qu’à ceux de son caractère, surtout s’ils ont fait réimprimer
de vieux livres avec des notes ?
J’en ai bien de la joie, car j’ai beaucoup d’estime pour M. Deslandes, tout loup-garou qu’il est,
parce que c’est un véritable homme d’honneur.
Je voudrais qu’il t’eût épousée : il a du bien, et tu serais bien à ton aise. Pour vous, ma sœur,
contraignez-vous un peu, et ne vous lamentez pas si fort d’avoir un amant trop passionné.
De l’humeur dont vous êtes, qui est pour le moins aussi vive que la mienne, il vous feroit beau voir
si vous étiez obsédé de quelque personne dont la présence trop assidue vous chagrinât.
Je ne suis jamais fâché que l’on m’aime, et j’aurai toujours de l’obligation à ceux qui voudront
m’honorer de leur compagnie. Adieu jusqu’à revoir. A propos, j’oubliois de vous dire que nous
aurions à souper nos belles petites voisines.
Elles-mêmes, et elles nous donneront leur petit concert.
J’en ai bien de la joie. Elles chantent comme des anges. C’est tout autre chose que ce n’étoit il y a
six mois.
Mlle Louison m’a fait promettre que je lui donnerais l’Oublieux.
Cela sera bien avisé.
Ayez donc soin de tout. Adieu.
Scène III
Si tu me crois, tu te contraindras un peu sur le chapitre de M. Duvivier. Ce ne serait point une
mauvaise affaire pour toi que de l’épouser, ni pour moi d’épouser M. Deslandes. Nous sommes
jeunes toutes deux ; mais nous ne le serons pas toujours. Quand on devient sur l’âge, c’est une belle
chose de se trouver la femme d’un homme riche, surtout quand on a aussi peu de bien que nous en
avons.
Ce que tu dis est le plus beau du monde, mais…
Scène IV
C’est M. Duvivier qui vient pour avoir l’honneur de vous voir.
Quoi ! le voilà encore !
Oh ! oh ! Monsieur, qui vous fait revenir si tôt ?
Je viens de recevoir une lettre d’un de mes amis qui est à Rouen, et je n’ai pas voulu tarder plus
longtems à vous en faire part. Il me mande qu’on y a pendu cette semaine, trois voleurs de grand
chemin ; qu’on y a donné la fleur de lys à deux coupeurs de bourse, et qu’il y est arrivé trois barques
chargées de morues. Il m’envoye en même tems le nom de toutes les cloches de la ville de Rouen,
avec le nom de leurs parrains et de leurs marraines.
Voilà une belle curiosité !
Est-ce que vous savez déjà tout cela ? Je gagerais bien que non. Vous savez peut-être que la grosse
cloche de la cathédrale s’appelle Georges d’Amboise, qu’elle a été tenue par Alphonse-Ferdinand
de Marinville et Jeanne-Charlotte-Eléonor de Valincour, en l’année mil quatre cent quatre-vingtdix-
huit ; mais je suis sûr que vous ne savez point le nom de toutes les cloches des vingt-sept
paroisses et des trente-deux couvens qu’il y a dans cette ville. Savez-vous, par exemple, que la
grosse moyenne des Cordeliers s’appelle Françoise, que celle des Carmes s’appelle Thérèse, que
celle des…
N’en dites pas davantage, s’il vous plaît ; il me semble que j’ai déjà toutes les cloches de Rouen
dans la tête.
J’en demeurerai là, puisque vous me l’ordonnez ; mais assurément, lorsque j’aurai achevé mon
recueil de toutes les cloches de France, ce sera un ouvrage très-curieux ; il y a déjà vingt libraires
qui me le demandent. Cependant, je vois bien que vous n’avez pas de goût pour ces sortes de
curiosités ; mais, pour vous faire voir que j’ai plus d’un talent, je veux bien vous dire que j’ai
deviné l’énigme du dernier Mercure.
{{personnage|MLLE DUPRÉ.|c}}
Ahlah ! c’est autre chose. Voilà un titre incontestable de bel esprit.
Ce peut bien être un titre de bel esprit d’avoir deviné l’énigme, puisque c’en est un de ne pas l’avoir
devinée. Pourvu qu’on ait dit quelque chose qui en approche, l’auteur du Mercure n’oserait
manquer à mettre le nom de tous ceux qui lui ont envoyé leur explication, quelle qu’elle soit.
Cela n’est pas possible !
Cela est si vrai que, si vous voulez, je vais vous nommer tous ceux qui n’ont pas deviné celle du
dernier Mercure.
Je serais bien aise de savoir le nom de ces beaux esprits-là.
Il y a M. Trébuchet d’Auxerre, le maître clerc sans barbe de la place Maubert, l’avocat du Roi du
Pont-Audemer, la belle Nanon du Pont-au-change, le solitaire de la rue Trousse-Vache, et vingt
autres encore qui ne me reviennent pas dans la mémoire. Le mot de l’énigme étoit le Soleil ;
quelques-uns l’avoient expliquée du Phoenix, quelques autres du girusol (tournesol), d’autres d’une
lanterne, d’autres d’un tournebroche, d’autres… que sais-je, moi ? je ne puis me souvenir de tout.
Rien n’est plus plaisant que ces devineurs et non devineurs d’énigmes.
{{personnage|MLLE DE L’ÉTANG.|c}}
Vous êtes bien heureuse, ma cousine, de vous divertir à si peu de frais. Pour moi, cela ne me divertit
point du tout, et M. Duvivier me feroit un extrême plaisir de ne m’honorer plus de ses trop
fréquentes et ennuyeuses visites.
(Elle sort.)
Scène V
Je suis bien malheureux de déplaire si fort à votre belle et cruelle cousine. Ne m’abandonnez pas,
s’il vous plaît, ma chère demoiselle ; je ne dirai plus mot si elle veut, ou je ne l’entretiendrai que de
choses qui sont de son goût quand je serai assez heureux de le bien connoître.
{{personnage|MLLE DUPRÉ.|c}}
Vous avez tort, et depuis le tems que vous la voyez, n’avez-vous pas dû remarquer qu’elle a une
aversion insurmontable pour certaines choses qui divertissent la plupart du monde ? Je veux vous
donner des marques de mon amitié. Quelque chemin que vous preniez pour lui plaire, vous n’en
viendrez —jamais à bout que vous ne preniez celui que je vais vous dire. Attachez-vous uniquement
à faire votre cour à son frère, qui peut tout sur elle ; mais que ce soit avec une continuelle assiduité.
Quoi-qu’il vous témoigne que vos honnêtetés le fatiguent, poursuivez toujours, car c’est alors qu’il
est plus aise qu’on le caresse. La persévérance à vous attacher à lui le gagnera immanquablement,
après quoi ce ne sera plus une affaire d’avoir les bonnes grâces de la sœur.
Vous me redonnez la vie, ma chère demoiselle, et je vais profiter de vos bons conseils.
Votre rupture vient le plus mal à propos du monde ; nous avons ce soir un concert que vous auriez
été ravi d’entendre. Nos belles petites voisines viennent souper céans, et M. de l’Étang doit faire
venir un oublieux pour les divertir.
Je n’ai point de regret à tous ces plaisirs-là dans l’ennui où je suis. Cependant, je vous remercie de
l’avis que vous me donnez : je pourrai bien en faire mon profit. Adieu, faites ma paix, je vous en
conjure.
ACTE II
Scène I
{{acteurs|M. JÉROME, M.DESLANDES.}}
Je n’ai garde de blâmer l’application que tu as à l’étude, elle fait une de mes plus grandes joies, car,
quoique je n’aie jamais étudié, je ne laisse pas d’aimer avec ardeur et la science et les savans. Ce
m’est une grande consolation que de deux enfans que Dieu m’a donnés, l’un se soit appliqué à
connoître tout ce que l’antiquité a de plus curieux, et que l’autre se plaise à recueillir jusques aux
moindres circonstances de ce qui se fait parmi nous. Je me vois par là comme en possession de ce
qui s’est passé dans tous les siècles. Cependant, comme il n’y a point d’excès qui ne’soit vicieux, et
qu’il peut y avoir de l’intempérance, selon le sentiment d’un ancien, dans l’usage des meilleures
choses, je voudrais que tu misses quelques bornes à l’application que tu donnes à l’étude. Je
voudrais que l’usage du monde, les visites des honnêtes gens joignissent un peu de politesse à la
science que tu as acquise.
Est-ce que vous croyez, mon père, qu’il se trouve de vraie politesse dans le siècle où nous
sommes ?
Je le crois assurément. Il n’y a qu’à aller à la cour, ou voir le beau monde de Paris, pour en être
persuadé.
La manière dont le beau mo nde vit à Paris, à la vérité, n’est pas tout à fait si barbare que celle des
Goths et des Huns, dont nous descendons, mais elle ne ressemble pas à l’élégance d’allures, ni à
l’urbanité de Rome ; ainsi, mon père, soyez persuadé que je me forme plus l’esprit et que je le polis
davantage dans la lecture d’un seul chapitre d’AuluGelle ou de Macrobe que dans les visites que je
pourrais faire.
Je n’en crois rien. Regarde comme te voilà bâti. Ta cravate est toute de travers, ton juste-au-corps
est si mal boutonné qu’il pend d’un côté quatre doigts plus que de l’autre. Regarde comme tes bas
sont roulés. Ote-moi tes gants : Quelles mains ! Quels ongles bordés de noir ! Voilà un jeune
homme bien poli ! Tu as beau lire, tu ne seras jamais qu’un malpropre et qu’un sauvage si tu ne
hantes compagnie. J’ai donc résolu de te faire faire connoissance avec M. de l’Étang, très-habile
avocat, avec mademoiselle sa sœur, et une de leurs parentes qui demeure avec eux. Ce sont deux
demoiselles de beaucoup de mérite, et qu’il n’est pas que tu n’ayes vues passer plusieurs fois devant
chez nous. Elles sont belles toutes deux.
Elles sont belles comme les autres.
Est-ce que tu prétends encore qu’il n’y a plus au monde de belles femmes, comme il n’y a plus de
vraie politesse ?
Comme il n’y a plus d’Alexandres ni de Césars, qu’on ne voit plus de Themistocles, de Periclès ni
d’Épaminondas, est-il étrange qu’il ne se trouve plus d’Hélènes, d’Iphigenies, de Cleôpatres, de
Pulcheries, et d’autres beautés de la même force.
Du moins les trouveras-tu un peu jolies.
{{personnage| M. DESLANDES.|c}}
Elles le sont assurément, mais pourtant quelle différence entre la plus aimable des demoiselles de
ce temps-ci et la moindre Glicerium des beaux siècles de l’antiquité ! Mea Glicerium, mea Tertulla,
meaLycea, mea Leucothée : combien de charmes dans ces noms-là seulement, et peut-on, quand
on y est accoutumé, entendre parler de Nanons, de Margots, de Fanchons, de Javottes ?
Tu ne sais ce que tu dis. Quand tu les connoîtras ces Javottes et ces Nanons, elles te feront bien
changer de langage. Quoi qu’il en soit, je veux te présenter à ces belles voisines. Je serais bien aise
que tu pusses gagner les bonnes grâces de Mlle de l’Étang, ou de sa cousine, pour en faire ta
femme. Elles n’ont pas beaucoup de bien, mais elles ont beaucoup de vertu et de mérite ; comme
Dieu a béni mon travail au delà de mes espérances, je suis persuadé qu’il te seroit plus avantageux
d’épouser une fille avec peu de bien, mais bonne ménagère, que d’en prendre une qui eût beaucoup
de bien et qui dépensât le double de ce qu’elle t’auroit apporté. J’ai passé ma vie à vendre des
étoffes, et pendant que je m’en suis mêlé, j’ai vu tant de femmes qui ont ruiné leurs maris, en belles
jupes et en beaux manteaux, par la seule raison qu’elles avoient eu beaucoup de bien en mariage,
que je n’oserais penser à te donner une fille qui soit un peu riche. Je connois la famille de ces
demoiselles-ci ; j’ai connu particulièrement leurs pères et leurs mères, c’étoient de bonnes gens et
leurs enfans leur ressemblent ; ainsi je serais sûr de n’être pas trompé. Suis-moi et allons leur faire la
révérence.
Scène II
{{acteurs| M. JÉRÔME, M. DESLANDES, BABET.}}
La belle enfant, n’êtes-vous pas à Mlle de l’Étang ?
Oui, monsieur, pour vous rendre service.
Je vous prie de savoir si nous ne l’incommoderions point de lui faire la révérence.
Votre nom, s’il vous plaît, monsieur ?
Vous lui direz que c’est M. Jérôme et son fils qui souhaiteraient fort avoir l’honneur de la voir.
Monsieur Jérôme ?
Oui, ma fille.
Scène III
Oh ça, mon fils, il faut s’acquitter de ceci en galant homme, c’est-à-dire avec une honnête hardiesse
mêlée de respect et de civilité. Comme tu tiens ton, chapeau ! Tiens-toi droit, tourne tes pieds en
dehors. Allons, voici qu’on vient.
{{scène| IV}}
Mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Nous venons nous acquitter de nos
devoirs et user de la liberté que donne le voisinage. Voici mon fils que je vous amène. C’est un
jeune homme qui n’a pas vu encore beaucoup de monde et à qui il sera très-avantageux d’avoir le
bien de votre connoissance. Il a de l’étude, il a des lettres ; mais il lui manque cette agréable
politesse qu’on ne trouve qu’auprès des dames, et des dames d’un mérite comme le vôtre. C’est un
cœur tout neuf et tout entier, et qui n’a encore brûlé d’aucune flamme. Avancez, mon fils…
Mais, qu’est-il devenu ?
{{personnage| BABET.|c}}
Il s’est enfui.
Permettez-moi, mademoiselle, d’aller voir ce qu’il est devenu.
Scène V
On nous l’avoit bien dit que les deux fils de M. Jérôme étoient d’une humeur aussi opposée. On ne
peut se défaire du cadet et on ne peut retenir l’aîné. Voilà une assez plaisante aventure !
Voir ce bonhomme qui court après son ûls, est-ce quelque chose d’incomparable ! « Voilà mon fils
que je vous amène ; avancez, mon fils… » Et puis, néant ! Si ce bonhomme revient, comment nous
empêcher de lui rire au nez ?
Gardons-nous-en bien, ni de faire semblant que cela nous étonne.
« Voilà mon fils que je vous amène…, avancez mon fils… »
Ris tant que tu voudras présentement, mais prends ton sérieux, je t’en prie, quand il viendra.
J’y ferai mon possible, mais je ne réponds de rien.
Tu serais folle à mettre aux Petites-Maisons. Tout ceci est peut-être de plus grande conséquence que tu ne crois. Soyons sages, je t’en conjure, et ne gâtons rien. Le voici qui revient à nous.
Scène VI
Je l’ai trouvé dans son cabinet avec sa robe de chambre et qui lisoit dans un gros livre comme si de
rien n’eût été. Je vous avoue que cette humeur sauvage là me déplaît beaucoup.
Cela ne m’étonne point, vous lui aviez donné un personnage difficile à faire. Il falloit s’avancer
avec des révérences bien compassées, nous saluer l’une après l’autre, et nous faire à chacune un
petit compliment. C’étoit une espèce d’entrée de ballet qu’il faut avoir répétée plus d’une fois pour
la bien faire. Je sais un moyen excellent pour remédier à ce petit désordre, qui, franchement, ne
nous déplaît pas, parce qu’il marque une certaine crainte respectueuse dont on n’est pas fâchée
d’être la cause. Ce soir nos petites voisines qui chantent si bien viendront souper céans et y faire
concert. Vous n’avez, monsieur, qu’à nous faire l’honneur d’être de la partie et de l’amener avec
M. Duvivier, qui est de nos bons amis il y a longtemps. A la faveur du concert et de la bonne
compagnie qu’il y aura, nous ferons petit à petit connoissance.
Cela est le mieux pensé du monde, mais ce serait prendre trop de liberté d’en user si familièrement
pour la première fois.
Monsieur, c’est sans façons ; vous nous ferez un vrai plaisir à mon frère, à ma cousine et à moi.
Je me rends à vos offres, elles sont faites de si bonne grâce qu’on ne peut pas les refuser.
Je suis persuadée, monsieur, que vous n’étiez pas si farouche que cela dans votre jeune temps.
Non, assurément, mademoiselle. J’ai toujours fait profession d’estimer, d’aimer et d’honorer le beau
sexe et de rendre aux dames tous les services dont j’étois capable. Vous en direz ce qu’il vous plaira,
mais les hommes étoient, de mon temps, plus civils, plus honnêtes et plus galants qu’ils ne sont
aujourd’hui. J’ai été pendant dix ans d’une société aussi jolie qu’il y en eût à Paris. Mme Morineau
en étoit, la belle Mme Trousser, Mlle Belin, fille d’esprit, s’il y en eût jamais, M. Oudry, monsieur,… monsieur… Hé, là ! le secrétaire de ce Maître des Requêtes qui étoit si riche, dont le fils a
épousé la fille de monsieur… aidez moi… ce gros partisan, qui a une si belle maison ici auprès de
Paris… Eh ! mon Dieu, à ce village où tout le monde va se promener ?…
A Auteuil ?… à Saint-Cloud ?…
Non, c’est ce village où on mange de si bonnes fraises.
A Montreuil ?…
Non.
A Nogent sous le bois ?…
Non.
{{personnage| MLLE DE L’ÉTANG.|c}}
A Bagnolet ?…
Justement. Il n’est pas que vous n’ayez vu cette maison-là ?
C’est une maison où il y a quantité de fontaines et un grand bois dé haute futaye ?
C’est cette maison-là même.
Nous y avons été plus de vingt fois. C’est une promenade que nous aimons plus qu’aucune autre.
Nous nous y sommes bien diverties.
{{personnage|MLLE DUPRÉ.|c}}
Il nous arriva une fois l’aventure du monde la plus plaisante par la bêtise d’un laquais… Mais où en
étions-nous, et par où sommes-nous venus dans cette maison de campagne ?
Je n’en sais rien.
Ni moi non plus. Ah ! je me souviens ! C’est que cette maison appartenoit au beau-père du fils du
Maître des Requêtes, dont un galant homme de notre société étoit le secrétaire. Quoi qu’il en soit,
nous passions le temps comme des rois, et je n’ai point regret à ma jeunesse. Je veux vous entretenir
ce soir des bons tours que nous faisions, puisque vous voulez bien que mes enfans et moi
ayons l’honneur de souper avec vous. Ainsi, je vais vous dire adieu jusqu’au revoir.
Nous vous attendrons, monsieur, et votre compagnie, avec impatience.
ACTE III
Scène I
{{acteurs|MLLE DE L’ÉTANG, MLLE DUPRÉ.}}
Est-il possible que tu n’ayes pu voir encore le pauvre Duvivier pour lui faire des excuses de ma
brusquerie ? Je t’avoue qu’il m’a fait pitié et que je suis inconsolable du chagrin que je lui ai donné.
Tu es bien fille ! Ce matin tu ne le pouvois souffrir, et te voilà toute inquiète de ne pas le voir. Que
veux-tu que je te dise ? Il étoit outré de douleur, et je ne crois pas qu’il remette jamais les pieds
céans.
J’en serais au désespoir, car il faut que je te dise la vérité, le chagrin que j’avois contre lui ne venoit
point tant du peu d’agrément de sa conversation que de ce qu’on m’avoit dit qu’il en aimoit une
autre ; mais je viens d’apprendre qu’il n’y a rien de plus faux et qu’on avoit pris plaisir à me donner
cette alarme.
Je te promets que je n’oublierai rien pour le faire revenir et vous remettre tous deux bien ensemble.
Mais écoute ce qui m’est arrivé.J’étois sortie pour faire une visite dans le quartier ; deux hommes, à
quatre pas de moi, ont mis l’épée à la main pour se battre ; je me suis jetée à corps perdu dans la
première maison que j’ai rencontrée, c’étoit justement la maison de M. Jérôme, où j’ai trouvé
d’abord, face à face, M. Deslandés qui accourait au bruit qu’on faisoit dans la rue. Il a tressailli
en me voyant, et je crois qu’il a été aussi effrayé de me voir que je l’ai été de voir des épées nues ;
cependant, comme le plus fort en étoit fait, et qu’il n’étoit plus question de complimens ni de
révérences, il s’est un peu remis et m’a dit fort galamment qu’il ne pouvoit être fâché de cet
accident, quelque frayeur qu’il m’eût donnée, parce qu’il étoit cause du bonheur qu’il avoit de me
voir. Je suis la plus trompée du monde si je ne lui ai touché le cœur.
Si tu en es bien persuadée, cela est vrai. Mais ne nous trompons point là-dessus. On nous fait
plaisir quand on nous dit qu’on nous aime ; mais pour l’ordinaire on ne nous apprend rien de
nouveau.
Je lui ai dit que nous faisio ns notre compte de l’avoir ce soir à souper. Il m’a dit que-son père l’en
avoit averti et qu’il en avoit la plus grande joie du monde.
Tu peux te vanter d’avoir fait un miracle, car n’en est-ce pas un d’avoir fait, en moins d’un quart
d’heure, d’un homme fort sauvage un homme fort galant ? Tu dois être fière d’une telle
métamorphose.
Il faut voir ce que cela deviendra.
Scène II
Je ne sais pas à qui en veut M. Duvivier, il s’est acharné sur moi de la plus étrange manière du
monde… Il ne m’a pas abandonné un moment’depuis que je vous ai quittées. Il n’y a rien que je
n’aye essayé pour m’en défaire, mais inutilement. Je suis entré chez un de mes amis, feignant
d’avoir quelque chose d’importance à lui dire, en sortant j’ai trouvé M. Duvivier sur le pas de la
porte qui m’attendoit et qui a recommencé à me fatiguer de ses nouvelles et surtout de ses
protestations d’amitié qu’il a réitérées plus de cent fois et en cent manières différentes ; je l’ai eu sur
le corps toute la journée.
Voilà, mon frère, ce que c’est que d’être si aimable : le grand mérite a ses incommodités aussi bien
que ses avantages. Il est bien fâcheux assurément de s’entendre louer sans cesse et de se voir
accablé de marques d’amitié, de respect et d’estime. Il faut une grande vertu pour soutenir
courageusement et de bonne grâce le poids d’une telle affliction.
{{personnage| M. DE L’ÉTANG.|c}}
Oh ! oh ! j’entends la raillerie et j’avoue franchement que je l’ai bien méritée ; mais raillerie à part,
nous avons tous deux tort. M. Duvivier est un fort honnête homme qui s’est donné à nous, qui fait
tous ses efforts pour nous plaire et pour gagner notre amitié ; et nous, parce que ses manières ne
reviennent pas aux nôtres qui sont peut-être pires que les siennes, car nous avons l’un et l’autre un
air fier et une brusquerie qui, apparemment, ne plaisent pas à bien du monde, nous le traitons du
haut en bas et nous nous fâchons de ce qu’il nous aime. Nous ferions bien de nous corriger de cette
impertinence et de cette injustice.
Mademoiselle votre sœur n’est pas moins repentante que vous du péché dont vous vous accusez ;
mais il y a un moyen de réparer tout : M. Jérôme, M. Deslandes et M. Duvivier viennent souper
céans aujourd’hui.
M. Jérôme ! et par quelle aventure vient-il souper céans ?
Il est venu nous voir cette après-dînée, on s’est mis à parler de nos aimables petites voisines, M.
Jérôme a témoigné une si grande envie de les entendre, que ma cousine, ayant dit qu’elles venoient
souper céans, en a aussi prié M. Jérôme et sa famille, ce qu’il a accepté avec sa franchise
ordinaire.
J’en ai bien de la joie : mais avez-vous bien donné ordre à tout ?
Nous avons le plus joli souper du monde, vous en serez content. La compagnie n’a qu’à venir
quand il lui plaira.
{{personnage|M. DE L’ÉTANG.| c}}
Surtout un Oublieux, Mlle Louison ne me le pardonnerait pas.
Scène III
La voilà elle-même et mademoiselle sa sœur.
Soyez les très-bien venues, mes belles demoiselles. Nous vous sommes bien obligés, et à madame
votre bonne maman qui a bien voulu vous laisser venir. Asseyons-nous, s’il vous plaît. J’ai chanté
toute la nuit le petit air à boire que vous chantâtes hier au soir.
Il est admirable. Je n’ai jamais rien ouï qui m’ait tant plû.
Ce qui me charme, c’est d’entendre Mlle Louison chanter la basse.
Si vous voulez, nous vous la chanterons tout à l’heure.
Vous ne sauriez nous faire un plus grand plaisir.
{{scène| IV}}
Mme la marquise de Bergerac est là bas dans son carrosse qui vous prie de vouloir bien descendre.
Je suis bien misérable ! Je commence à prendre un peu de plaisir, et cette maudite chicaneuse vient
m’en arracher impitoyablement. Il n’y a que moi au monde à qui cela arrive. Je reviendrai bientôt
ou je ne pourrai.
Nous ne l’aurons d’une heure. C’est une vieille plaideuse qui prend plus de plaisir à entendre parler
de procès que nous n’en prenons à entendre de la musique. Cependant ne laissons pas de continuer.
Recommençons, s’il vous plaît, le petit air à boire.
Scène V
Nous voici, mademoiselle, rendus à vos ordres.
Et où est M. Du vivier ?
C’est un libertin qui n’est presque jamais chez moi. J’ai donné ordre que s’il revenoit on l’envoyât
ici.
Si vous voulez bien prendre des sièges et donner audie nce, vous entendrez quelque chose qui vous
plaira assurément. Mesdemoiselles, le petit air que vous chantiez, s’il vous plaît.
Cela est beau, cela est harmonieux. J’admire la nature qui a bien voulu donner à cette jeune
demoiselle ce qu’elle n’accorde qu’aux mâles les plus mâles. On est agréablement surpris de voir
sortir d’une belle petite bouche une voix qui ne sort d’ordinaire que d’une bouche bien grande et
bien barbue. Cela me ravit.
J’entends un Oublieux.
Écoutons.
Oublies ! oublies ! ho ! ho ! ho ! hay !
{{personnage|MLLE DUPRÉ.|c}}
C’est l’Oublieux lui-même, il le faut appeler… Babet !
Plaît-il, mademoiselle ?
Allez appeler l’Oublieux. Eh bien, mademoiselle Louison, vous allez voir un Oublieux.
Je n’en ai point vu encore. Je les entends tous les soirs qui crient : Où sont-ils ? Où sont-ils ? Ho, ho,
hayl Ils me font peur quelquefois ; mais je crois que je n’aurai pas peur en si bonne compagnie.
{{scène| VI}}
Oh ! oh ! voilà un joli Oublieux. C’est un vrai Oublieux pour les dames. Tu es bien propre, mon ami ?
Pargué, monsieur, il faut bien que je soyons un peu propre, puisque j’avons l’honneur de hanter
quelquefois les bonnes compagnies, comme par exemple. Je ne sommes pas magnifique, mais,
comme dit l’autre, pauvres gens ne sont pas riches.
Gagne-t-on encore sa vie au métier d’Oublieux ?
Là, là, tellement, quelle ment. Il faut bien que tout le monde vive, larrons et autres. Il y a toujours
des provinciaux, des clercs de procureur et de notaire, des garçons de boutique. J’allons aussi dans
les auberges, où il y a toujours des Allemands de toute sorte de pays.
Que veux-tu dire, des Allemands de toute sorte de pays ?
Il y en a d’Angleterre, de Pologne, de Danemark, que sais-je, moi ? Je n’entends point leur
baragouin, mais ils ont de borines pièces de quinze sols et de trente sols que je boutons fort bien
dans notre escarcelle.
Tu es grand causeur, mon ami.
{{personnage| L’OUBLIEUX.|c}}
Dame, l’on me demande et je réponds.
Ton corbillon est-il plein ?
Il est si plein qu’il s’en va par dessus.
Il faut que Mlle Louison joue contre l’Oublieux.
Je ne sais pas le jeu.
Je vous dirai quand vous aurez gagné. Vous n’avez qu’à bien remuer les dez.
Vous êtes là en grande conférence avec mon fils, vous l’avez bien apprivoisé ?
{{personnage|MLLE DUPRÉ.|c}}
Je lui suis bien obligée de la complaisance qu’il a de vouloir bien s’entretenir avec moi.
Je ne sais s’il a eu la force de vous dire les sentimens qu’il a pour vous, mais je sais qu’il vous
estime infiniment, il me l’a déclaré tantôt ; je souhaiterais bien, mademoiselle, que vous pussiez
avoir quelque bonne volonté pour lui.
Ce me sera toujours beaucoup d’honneur et un grand avantage d’avoir quelque part dans les bonnes
grâces de M. Deslandes.
Mon père me fait bien du plaisir de parler comme il fait, et jamais il ne m’a été si bon père.
Voyez comme il est devenu galant auprès de vous. Or ça, mademoiselle, il n’y a qu’un mot qui sert.
Vous savez ma franchise. Peut-il espérer de vous être agréable ? C’est une affaire faite si vous le
voulez bien.
Avec la même franchise je vous dirai, monsieur, que rien ne me saurait être plus agréable, pourvu
que mon cousin, qui est mon tuteur, comme vous savez, le veuille bien.
Je suis sûr qu’il ne vous en dédira pas, et que…
L’Oublieux est un galant homme ; il nous a vidé tout son corbillon et il nous donne encore des
macarons par dessus.
Cela est fort bien, mais ce n’est pas assez ; il faut qu’il dise la chanson,
{{personnage| L’OUBLIEUX.|c}}
Qu’à ça ne tienne. Je ne l’ai jamais chantée de si bon cœur que je vais la chanter. Il me faut un plat
et une assiette.
Quand une dame est bien jolie, je me laisse aussitôt charmer, Et pour peu qu’elle me veuille aimer
Jamais je ne l’oublie. Oublies, oublies ! ho ! ho ! ho ! hayl Charlotte, m’appelez-vous ?
Bien souvent c’est une folie De laisser prendre ainsi son cœur ; Mais pour peu qu’elle ait eu de
douceur Jamais je ne l’oublie. Oublies, oublies ! ho ! ho ! ho ! hay ! etc.
J’oubliois, monsieur, à vous dire que je ne puis accepter l’offre que.vous me faites, que vous ne
m’ayez accordé une chose que je vais vous demander.
{{personnage| M. JEROME.|c}}
Vous n’avez qu’à dire : si elle est en mon pouvoir, je ne vous refuserai pas assurément.
Elle est tout à fait en votre pouvoir. C’est que vous trouviez bon que l’Oublieux que voilà épouse
ma cousine.
Voilà deux choses que je ne comprends pas, l’une que votre cousine épouse un Oublieux, et l’autre
qu’elle ait besoin pour cela de mon consentement. Expliquez-vous, s’il vous plaît.
Il n’est pas nécessaire que je m’explique, il ne s’agit que de vouloir bien que ma cousine épouse
l’Oublieux.
Je le veux de tout mon cœur, si elle le veut bien. Voilà un ragoût bien étrange pour une demoiselle,
que de vouloir épouser un Oublieux. Mais quoi, il y a des fantaisies de toutes les couleurs, et
comme dit le proverbe espagnol : De gustibus non est disputandum.
Il est bon, monsieur, que vous connoissiez l’Oublieux, qui vous a tant d’obligation. Regardez-le
bien de près, et voyez s’il ne vous souvient point de l’avoir vu quelque part.
Que vois-je ! c’est mon fils. Que veux-tu dire, malheureux, de te déguiser de la sorte ?
Ne le querellez point, s’il vous plaît. Il aime ma cousine, il y a déjà longtems. Elle lui avoit
défendu de la voir pour des raisons qui ne valent guères, et lui, pour la voir sans contrevenir
ouvertement à ses ordres, il s’est avisé de se travestir en Oublieux.
Je lui sais bon gré, et il ne tiendra qu’à mademoiselle que tout le monde ne soit content.
Si tu en es d’accord, nous épouserons aujourd’hui les deux fils de monsieur, toi le cadet et moi
l’aîné.
Si mon frère y consent, comme je n’en doute pas, j’en suis très-satisfaite.
Allons souper, il en est temps. M. de l’Étang sera revenu avant que nous soyons à table. Entrez, s’il
vous plaît, monsieur, nous vous suivons.
Et pour peu qu’elle me veuille aimer Jamais je ne l’oublie. Oublies, oublies ! ho ! ho ! ho ! hay ! Etc.