La Belle au bois dormant (Grimm)

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Traduction par René Bories.
Kinder und hausmärchen, volume 1Dieterich1 (p. 251).

La Belle au bois dormant

Il y a très longtemps un roi et une reine s’alanguissaient de n’avoir pas d’enfant. Chaque jour ils se lamentaient : — « Si nous pouvions avoir un enfant ! » Mais ils ne pouvaient toujours pas en avoir.

Un jour cependant, alors que la reine était allongée dans son bain, une Grenouille coassa dans la prairie et lui parla ainsi : — « Ton vœu sera exaucé, l’an à venir tu mettras au monde une fille. »

La prédiction de la Grenouille se réalisa et la reine mit au monde une fille qui était si belle que le roi en fut rempli de joie et fit donner une grande fête. Il ne fut pas seulement invité la famille, les amis, les connaissances mais encore toutes les femmes sages du royaume pour qui l’enfant aurait de la grâce et de l’importance. Il y en avait treize dans le royaume mais comme il n’y avait que douze assiettes en or dans lesquelles elles devaient manger, l’une d’elles devrait rester chez elle. La fête fut donnée avec faste et lorsqu’elle se termina les femmes sages vinrent pour offrir leurs merveilleuses offrandes : une lui offrit la Vertu, une autre la Beauté, la troisième la Richesse et encore tout ce qui peut se souhaiter dans ce monde.

Lorsque la onzième eut prononcé son offrande, entra brusquement la treizième. Elle voulait ainsi se venger de n’avoir pas été invitée et sans saluer ni regarder personne elle prononça d’une voix puissante : — « La fille du roi se piquera avec un fuseau lors de sa quinzième année et en tombera morte. » Et sans un mot de plus, elle fit demi-tour et quitta la salle.

Tout le monde en fut atterré lorsque entra la douzième femme sage qui n’avait toujours pas prononcé son offrande. Ne pouvant lever le mauvais sort mais seulement l’adoucir elle annonça : — « Elle ne tombera pas morte mais dans un profond sommeil de cent années. » Le roi qui voulut protéger sa chère enfant fit promulguer un décret par lequel tous les fuseaux de son royaume devraient être brûlés.

Les dons des femmes sages furent pleinement exaucés car l’enfant était si belle, modeste, bonne et pleine de bon sens que tous lui témoignaient beaucoup d’amour. Arriva le jour où elle eut précisément quinze ans et durant lequel le roi et la reine se furent absentés du château où la fillette resta seule. Elle se rendit partout pour le plaisir, inspectant les pièces, les chambres et parvint finalement dans une vieille tour. Elle monta les marches en colimaçon et arriva devant une petite porte. Dans la serrure il y avait une vieille clef rouillée et lorsqu’elle la tourna la porte s’ouvrit sur une vieille femme assise dans une pièce minuscule et qui filait avec application son lin.

— « Bonjour, petite mère », dit la fille du roi, — « Que fais-tu là ? » — « Je file », dit la vieille et elle hocha la tête. — « Qu’est-ce que cette chose qui sautille joyeusement ? » questionna la fillette qui prit le fuseau et voulut aussi filer.

À peine eut-elle touché le fuseau que le sort fut accompli, elle se piqua le doigt. Dans l’instant où elle ressentit la piqûre qu’elle tomba sur le lit qui se trouvait là et plongea dans un profond sommeil. Et ce sommeil se répandit sur tout le château : le roi et la reine qui venaient d’y revenir entrèrent dans la grande salle et sombrèrent aussi dans le sommeil et toute la cour avec eux.

Les chevaux dans l’écurie, les chiens dans la cour, les colombes sur le toit, les mouches sur le mur, oui, le feu qui fasseyait dans l’âtre, tout devint tranquille et s’endormit. Le rôti cessa de brunir et le cuisinier dont l’apprenti avait fait une bêtise et qui voulait lui tirer les cheveux, s’endormit aussi. Même le vent se calma et dans les arbres auprès du château plus une feuille ne bougeait.

Autour du château, une haie d’aubépines commença à croître qui chaque année devenait de plus en plus haute et qui enfin entoura tout le château si bien que l’on ne pouvait plus rien en voir, pas même la flamme qui flottait sur le toit.

Alors il courut dans le pays, la légende de la Belle au Bois Dormant car c’est ainsi que fut nommée la fille du roi, si bien que tous les fils de roi se rendaient dans le royaume et voulaient fendre la haie vive. Mais c’était impossible car les épines avaient comme des bras qui se tenaient fortement ensemble, les jouvenceaux y restaient accrochés sans pouvoir s’en défaire pour mourir d’une fin atroce.

Bien des années plus tard vint un fils de roi qui entendit un vieil homme raconter l’histoire de la haie d’aubépine derrière laquelle se trouvait un château. Dans celui-ci, une splendide fille de roi qu’on appelait Belle au Bois Dormant y sommeillait depuis cent ans ainsi que le roi, la reine et toute la cour. Le vieil homme tenait de son grand-père que de nombreux fils de roi étaient venus et avaient tenté de franchir la haie mais ils y étaient restés accrochés pour mourir d’une triste fin.

Alors le jouvenceau déclara : — « Je ne crains rien, et je veux voir la Belle au Bois Dormant. » Le vieil homme voulut l’en dissuader mais le jeune homme ne voulut rien écouter.

Cependant les cent années s’étaient écoulées et le jour était venu où la Belle au Bois Dormant devait se réveiller. Alors que le fils du roi s’approchait de la haie d’épines, il y avait de hautes et belles fleurs qui s’écartèrent pour le laisser passer sans le blesser et qui se refermaient de nouveau en haie vive. Dans la cour du château, il vit les chevaux et les chiens de chasse à la robe tachetée, allongés et endormis, sur le toit, les colombes étaient perchées la tête enfouie sous leur aile. Lorsqu’il pénétra dans la bâtisse, les mouches dormaient collées au mur, le cuisinier tendait encore le bras pour se saisir de l’apprenti et la servante était assise devant la poule noire qu’elle devait plumer. Puis il alla dans la grande salle où toute la cour était allongée et était endormie et en haut sur le trône reposaient le roi et la reine. Il poursuivit son chemin, tout était si calme qu’il entendait sa respiration et enfin il entra dans la tour et ouvrit la porte de la petite pièce dans laquelle sommeillait la Belle au Bois Dormant…

Elle gisait là si belle qu’il ne pouvait en détourner les yeux, il se pencha et lui donna un baiser. Alors qu’il l’effleurait de ses lèvres, la Belle au Bois Dormant, battit des paupières, se réveilla et le regarda avec affection. Puis ils descendirent ensemble, le roi se réveilla, la reine et toute la cour avec et se regardèrent en ouvrant de grands yeux.

Et les chevaux dans la cour se levèrent et ruèrent ; les chiens de chasse sautèrent et remuèrent la queue ; les colombes sur le toit sortirent la tête de dessous leur aile regardèrent ça et là puis s’envolèrent vers les champs ; les mouches sur le mur bourdonnèrent à nouveau ; le feu dans l’âtre crépita et reprit sa cuisson ; le rôti repris sa brunissure ; le cuisinier envoya une taloche à l’apprenti qui se mit à crier ; et la servante finit de plumer la poule.

Enfin les noces du prince avec la Belle au Bois Dormant purent être données avec faste et ils vécurent heureux jusqu’à leurs derniers jours.

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