Le Voyage dans la Lune/Texte entier
sur le Théâtre de la Gaîté,
le 26 octobre 1875
À la Gaîté | Au Châtelet | ||
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VLAN | MM. | Christian. | Christian. |
COSMOS | Tissier. | Tissier. | |
QUIPASSEPARLA | Habay. | Habay. | |
MICROSCOPE | Grivot. | Guillot. | |
CACTUS | Laurent. | Courtès. | |
COSINUS | Scipion. | Jacquier. | |
PARABASE | Legrenay. | Beuzeville. | |
PHICHIPSI | Colleuille. | Colleuille. | |
RECTANGLE | J. Vizentini. | Guimier. | |
OMÉGA | Mallet. | Auguste. | |
COEFFICIENT | Chevallier. | Prudhomme. | |
A-PLUS-B | Henry. | Panot. | |
UN GARDE | Scipion. | Jacquier. | |
UN BOURGEOIS | J. Vizentini. | Jacquier. | |
UN POÈTE | Chevalier. | Chevalier. | |
UN FORGERON | Barsagol. | Thuillier. | |
GROSBEDON | Chevallier. | Prudhomme. | |
Un marchand d’esclaves |
Van-de-Gand. | Gillot. | |
CAPRICE | Mmes | Zulma-Bouffar. | Zulma-Bouffar. |
FANTASIA | N. Marcus. | Louise Lynnès. | |
POPOTTE | Cuinet. | Marcelle. | |
FLAMMA | Blanche Méry. | Noel. | |
ADJA | Maury. | Géron. | |
PHOEBÉ | Dareine. | Lévy. | |
STELLA | Davenay. | Régnault. | |
UNE FORGERONNE | Z. Bied. | Rébecca. | |
HYPERBA | Baudu. | Durand. | |
MICROMA | Blount. | Capiglia. |
265 rue Saint-Honoré.
ACTE PREMIER
Scène PREMIÈRE
CHŒUR.
Quelle splendide fête C’est charmant, PREMIÈRE FEMME.
Que c’est joli ! que c’est coquet, DEUXIÈME FEMME.
Jamais ici l’on n’avait fait REPRISE DU CHŒUR.
Quelle splendide fête, |
Ah ! voici M. Microscope le grand savant du roi…
Vi…
Ne criez pas !… J’ai besoin de me recueillir. Allez, allez ! !! (Tirant sa montre.) Voyons… quatre heures… Ce n’est qu’à cinq heures que le prince Caprice, (Se découvrant.) l’unique rejeton de notre bien-aimé roi Vlan IV, doit revenir du grand voyage qu’on lui a fait entreprendre pour compléter son éducation… J’ai donc soixante bonnes minutes devant moi et je vais en profiter pour aller dire un petit bonjour à Cascadine… une jeune personne qui joue les rôles à maillot dans un théâtre de genre… Des jambes superbes !… Que voulez-vous ?… on a beau s’appeler Microscope, être tout simplement le plus grand savant, le plus grand mécanicien, le plus grand métallurgiste, le plus grand ingénieur de son époque et posséder toute la confiance de son souverain, on n’en appartient pas moins à l’humanité par quelques petits côtés… Donc je suis du dernier bien avec Cascadine… Pauvre chérie !… Je suis sûr qu’elle attend ma visite avec impatience. Hier, je devais aller la prendre à la sortie de son théâtre, mais elle m’a envoyé ce mot : « Mon bon lapin, ne te dérange pas, je suis obligée de passer la nuit auprès d’une tante qui est très malade. » C’est une bonne nature : elle a le culte de la famille… Pourtant, il y a une chose qui m’étonne : elle ne m’avait jamais parlé de cette tante-là… Enfin ! ne perdons pas de temps et volons au bonheur… volons au…
Le roi !…
Sapristi ! le patron !
Scène II
Vlan, Vlan, I
Dans le dur métier de roi, II
Ainsi moi, c’est entre nous, |
Vive Vlan !…
Oui, mes enfants, c’est moi, c’est votre bon Vlan… Vous êtes heureux de me voir, n’est-ce pas ? Moi aussi… et sur ce, allez-vous en, qu’on me laisse.
Qu’on le laisse.
Vlan ! Vlan !
Etc.
Scène III
Je crois que voilà le moment…
Où vas-tu ?
Chez Casc… (Se reprenant.) dans mon cabinet de travail !… Où voulez-vous qu’aille un savant comme moi, sinon dans son cabinet de travail ?… Ah ! l’étude, la science, l’industrie ! c’est ma vie, à moi… Vous permettez !… j’ai justement quelque chose sur le feu.
Attends.
Fichtre !… quatre heures un quart.
Microscope, tu vois un homme bien ému…
Je comprends ça… après deux heures… (Se reprenant.) après deux ans… revoir votre fils, ce cher prince Caprice !…
Oui, d’abord… mais ce n’est pas seulement ça…
Il y a encore autre chose ?
Tu l’as dit… Pour le vulgaire, cette fête est une fête ordinaire… Pour moi, c’est un événement capital… c’est la réalisation d’un plan longuement mûri.
Ah ! bah ! (À part.) Quatre heures vingt !…
Voilà bientôt trente ans que je suis sur le trône. — J’ose me flatter que mes sujets n’ont pas lieu de s’en plaindre… mais moi, entre nous, je commence à en avoir assez… je me sens fatigué, bref, je crains de ne plus être à la hauteur.
Comment, vous vous en apercevez ? Eh bien ! ce n’est pas pour vous faire un compliment, mais il n’y a pas beaucoup de gens capables de se juger ainsi eux-mêmes.
Alors, tu trouves que j’ai raison ?
Raison, de quoi faire ?
Mais de me retirer, de passer la main…
Hein ? Vous voulez ?
Je veux frapper un grand coup… Tout à l’heure, quand Caprice sera arrivé, je profiterai du moment où l’enthousiasme sera à son comble et, en présence de mon peuple, je lui poserai sur la tête la couronne que j’ai fait redorer à cette intention. (S’interrompant.) On l’a rapportée ?
Oui, voici la facture.
Eh bien ! qu’est-ce que tu dis de cela ?
Ce que j’en dis ? c’est une grande idée… sans parler des capacités de votre fils, qui sont absolument nulles…
C’est toi qui as fait son éducation.
Il a tout pour lui : la légèreté, la jeunesse, l’inconséquence, la prodigalité… Enfin, c’est une grande idée.
N’est-ce pas ?
Ah ! mais sapristi… je songe à une chose… Le prince Caprice est jeune. En arrivant au pouvoir, il est capable d’y apporter des projets de changement.
C’est possible.
Il va vouloir tout bouleverser, s’entourer d’hommes nouveaux…
Je le lui conseillerai.
Eh bien ! alors et moi ?
Toi, tu feras comme moi, tu iras planter tes choux !
Mais permettez ! Ça change la thèse… ce n’est plus une grande idée du tout !… Que vous vous retiriez des affaires vous, je comprends ça… votre pelote est faite… mais moi… c’est à peine si j’ai vingt-cinq pauvres mille livres de rentes.
Vingt-cinq mille livres de rentes ! Et tu ne gagnes que douze cents francs par an !
J’ai fait des économies.
Ça se voit !…
Heureusement, tout espoir n’est pas perdu… ce n’est pas pour rien qu’on a donné à votre fils le nom de Caprice… Il est bizarre, fantasque, original. Rien ne dit qu’il acceptera votre trône.
Allons donc ! Est-ce qu’on refuse ces choses-là ?… À son âge, on est ambitieux… et puis, c’est mon fils, il a l’ambition dans le sang… D’ailleurs, n’ai-je pas fait redorer la couronne ? (Changeant de ton.) On l’a rapportée ?
Je viens de vous donner la facture.
C’est juste !
Cinq heures moins cinq ! Cascadine doit s’impatienter. (Haut.) Sire, je vais…
Tu vas rester ici… j’ai besoin de toi pour chauffer ma proclamation.
Mais…
Pas d’observations.
Je m’incline. (À part.) Oh ! Les maîtres !…
Cinq heures !… voilà mon fils qui fait son entrée…
J’irai chez Cascadine après la cérémonie.
Scène IV
Gardes (travestis), puis Caprice.
CHŒUR.
Rataplan ! rataplan ! VLAN.
Oui, c’est lui, mon fils, ô bonheur ! MICROSCOPE.
Dans mes yeux, je sens un pleur ! VLAN.
Après une telle absence ! MICROSCOPE.
Le revoir, ah ! quelle chance ! CAPRICE, arrivant.
COUPLETS
Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu ! I
Tu m’avais dit : Mon enfant, II
Tu m’avais dit : En chemin |
S’est-il dégourdi, ce gamin-là ! déjà blasé !
Tiens, papa, veux-tu mon opinion ? Le monde ça n’est pas drôle.
Eh bien ! avec celui-là, je suis sûr de mon affaire. Je n’en ai plus pour longtemps.
Caprice, mon enfant, j’ai à te parler sérieusement. Et vous, mes fidèles sujets, écoutez aussi… la communication que je vais faire à mon héritier vous intéresse également. (Bas à Microscope.) Chauffe-moi ça !
Vive le roi Vlan !
Vive Vlan !
Bien !… (À Microscope.) Maintenant, fais-moi passer la couronne. (Microscope donne un ordre. — Vlan reprend.) Je vous prierai de remarquer la façon dont j’ai prononcé ce mot héritier… Il n’est pas employé ici dans le sens ordinaire de rejeton, fils, progéniture… non ! C’est à dessein que je m’en suis servi dans son acceptation propre et rigoureuse : Héritier ; du verbe hériter d’où on a fait héritage. Héritier, substantif masculin singulier, qui veut dire : qui hérite. (À Microscope.) La couronne ?
La voici !
Merci. (Haut.) Maintenant, vous voyez cette couronne, que je viens de faire redorer à neuf ; cette couronne que je porte depuis près de trente ans avec éclat et distinction ! Eh bien ! cette couronne, aujourd’hui je la sens peser sur ma tête. Je l’ôte et je la cède à mon fils, au prince Caprice !
À moi !…
Mets-toi ça sur le chef. (À Microscope.) Chauffe donc, animal !
Vive Sa Majesté Caprice !
Vive Sa Majesté Caprice !
Un instant !… Cette couronne, certainement je serais fier de la porter, mais je crains qu’elle ne soit trop lourde pour ma tête, je l’ôte et je la rends à papa qui en a plus l’habitude que moi.
Comment !
Il n’en veut pas ! quelle chance (Criant à pleins poumons.) Vive Sa Majesté Vlan IV !
Vive Sa Majesté Vlan IV !
Veux-tu bien te taire ! (À Caprice.) Tu refuses ?
Absolument !
Mais malheureux !… regarde donc comme elle reluit !…
Ça m’est bien égal !
Oh ! un pareil affront ! Devant mon peuple ! (Haut avec rage.) Allez-vous en tous !… J’éprouve le besoin de me livrer à une scène de famille. (Se promenant fiévreusement.) Un effet si bien préparé, complètement raté !… (À la foule.) Eh bien ! Vous n’êtes pas encore partis !… J’avais l’intention de faire tirer un feu d’artifice, je biffe le feu d’artifice !
Oh !
Je biffe le feu d’artifice ! vous entendez ? allez.
Je crois que voilà le moment d’aller à mon rendez-vous.
Où vas-tu ? Reste ici.
Mais…
Pas d’observations.
J’irai chez Cascadine après la scène de famille…
Scène V.
Tout à l’heure, il va pleuvoir des démissions…
Il est vexé, papa…
Mais enfin, pourquoi ?
Pourquoi, quoi ?
Pourquoi, quoi !… Pourquoi as-tu refusé cette couronne ? Il n’y a peut-être au monde qu’un seul père capable de faire ce que j’ai fait pour toi.
Et il faut justement qu’il ait le seul fils capable de refuser… Ça tombe mal !… mais que veux-tu papa ? Régner, gouverner, m’occuper de politique… Non ! je ne sens pas ça. Depuis deux ans, j’ai pris l’habitude de courir le monde, d’aller et venir… je suis sûr que je ne pourrais plus rester en place… Tiens ! je viens à peine d’arriver… et je sens déjà l’ennui qui me prend là. Il me faut la liberté, le mouvement, l’air, l’espace !
La liberté, le mouvement ! tu finiras pourtant bien par te fixer, un jour ou l’autre.
Me fixer !
Par te marier ?…
Me marier !… Voyons, papa, puisque je t’ai dit que je connais les femmes.
Eh bien ?
Eh bien ! c’est assez te dire que je n’ai pas l’intention de me marier. Oh ! mais là, pas du tout !
Il est renversant, ma parole d’honneur !… Si on croirait que ça a à peine dix-sept ans… Voyons, une fois, deux fois, veux-tu ma couronne ?
Une fois, deux fois, trois fois, dix fois, cent fois… non ! non ! non !
Ah !
Dites donc…
Quoi ?
Si vous vouliez… moi !
Toi ! ce serait du joli ! (À Caprice.) Mais enfin, que prétends-tu faire ? voyager encore ?… Puisque tu as tout vu ?
C’est vrai ! Oh ! si je pouvais trouver un endroit…
Mais nom d’un petit bonhomme ! tu n’as pas le sens commun !… Car enfin un garçon de ton âge, surtout quand il a un père… suis bien mon raisonnement… (S’apercevant que Caprice n’est plus à côté de lui.) Eh bien !… c’est comme cela que tu m’écoutes ? Qu’est-ce qu’il fait ?
Oh ! la lune !
Qu’est-ce qu’il dit ?
Il dit : la lune.
La lune ! je lui parle raison et il me répond : la lune… Tu n’espères sans doute pas que je vais te la donner, la lune !
Eh bien ! pourquoi pas ?
Hein ?
Ce pays inconnu, inexploré, que je rêvais, le voilà… je l’ai trouvé…
Il divague !…
C’est de la folie galopante !…
Ô reine de la nuit, Oui, sur terre tout m’importune II
Quand ta douce clarté |
Voyons, voyons, Caprice… ce n’est pas sérieux, n’est-ce pas ? Si c’est une plaisanterie, elle est assez réussie.
Rien n’est plus sérieux.
Tu veux aller dans la lune ?
Oui ! oui !… oui !…
Mais c’est impossible !
Impossible !… C’est vous qui dites cela ? Vous le plus grand savant, le plus grand ingénieur de la terre.
C’est vrai !
Mais non ! ce n’est pas impossible. Et la preuve… c’est que je vous charge de trouver le moyen d’y aller.
Moi !
Est-ce que papa ne vous a pas pris pour tout faire ?
Oui, mais pourtant…
Écoute donc…
Ne me répétez plus que c’est impossible, ou sinon…
Sinon ?…
J’aurai le regret d’accepter votre démission.
Ma démission !… mais, prince, permettez. Après tout, la lune, ce n’est pas ma partie… moi, je ne m’occupe que de mécanique… Ça regarde l’Observatoire… c’est lui qui est chargé des relations avec le ciel.
C’est vrai, au fait, il a raison… Allons à l’Observatoire.
Maintenant, je cours voir Cascadine.
Comment ! tu veux ?
Venez avec nous…
Mais je…
Pas d’observations !
J’irai chez elle en sortant de l’Observatoire. (Haut.) Pourtant…
Pas d’observations !
Oui, sur terre tout m’importune,
Et dans les cieux
Je serai mieux,
Papa, papa, j’aurai la lune !
Scène PREMIÈRE
Les cieux…
Curieux…
Bolides…
Splendides…
Ardents…
Brillants…
Planètes…
Comètes…
Flambeaux…
Très beaux…
Nous sommes
Les astronomes,
Les yeux fixés sur l’éther !
Vous voyez des hommes
Qui vivent le nez en l’air ! (Bis.)
Scène II
Enfin !… nous y voici.
Voilà les astronomes…
Voyons ne perdons pas de temps et interrogeons-les. (Allant aux astronomes.) Messieurs…
Chut ! Chut !
Que vois-je ?… Des étrangers qui se sont introduits… (D’un ton impoli.) Qu’est-ce que vous venez faire ici ?
Eh bien ! il est aimable, celui-là.
Nous voudrions voir l’Observatoire.
Avez-vous des cartes d’entrée ?
Non, mais nous voudrions…
On ne visite qu’avec des cartes.
Mais il ne s’agit pas de cela.
Nous venons pour consulter.
Consulter l’observatoire ! Adressez une demande au grand factotum, qui la renverra au chef du personnel, qui la renverra à l’employé principal, lequel la renverra à un autre bureau… et dans six mois…
C’est trop fort. Insolent, parler ainsi à papa… au roi.
Le roi !… je suis perdu !… (Tombant à genoux.) Grâce, j’ignorais… si j’avais su que vous n’étiez pas du public. J’aurais été poli…
Eh bien ! je te pardonne, parce que tu es malhonnête, mais tu vas dire à ces messieurs que nous voulons leur parler à l’instant même.
Oh ! ce ne sera pas long !… Messieurs, le roi !…
Le roi !…
Relevez-vous, Messieurs.
Et arrivons au fait… Nous venons vous soumettre une question des plus graves…
Une question des plus graves ! Parabase, apporte des télescopes à ces messieurs.
Oui monsieur le président.
Des télescopes ? Est-ce qu’ils veulent nous faire travailler ?
Voilà !
Fort bien ! (Aux savants.) Et maintenant, messieurs, à vos places, pour entendre la communication ! (Les savants se rangent en demi-cercle autour de lui.) Y êtes-vous ?
Oui.
Une, deux, trois !…
Ah ! je comprends les télescopes !
Oui, ils sont à deux fins.
La séance est ouverte. Prince, nous vous écoutons.
Messieurs les savants, le motif qui nous amène est d’une simplicité tellement grande qu’il me semble inutile… Pourtant quelques explications préalables…
Sire, ce que vous dites est très clair, mais je ne comprends pas très bien !
Oui ! il patauge !… Tu patauges, papa !… Allons droit au but. — Messieurs, nous venons tout simplement vous prier de nous indiquer un moyen de nous rendre dans la lune.
Dans la lune ? Prince, vous plaisantez…
Pas le moins du monde et j’exige que vous examiniez sérieusement la question et que vous y répondiez sur l’heure.
C’est bien, prince, vous serez obéi… Messieurs, la question à résoudre est celle-ci : Croyez-vous qu’il soit possible d’aller dans la lune ? (Silence.) Monsieur Coëfficient, vous avez la parole.
Messieurs ! à cette question : Peut-on aller dans la lune ? je réponds : non ! et je me base sur des faits indiscutables qui sont ceux-ci : si on pouvait aller dans la lune, il y a longtemps qu’on y serait allé !
Bravo !
C’est évident !
Parbleu !
Vous ne savez pas ce que vous dites.
Pardon ! qu’est-ce qu’il a dit ?
Il fallait écouter.
Merci, monsieur.
M. Oméga a la parole.
Je n’en veux pas !
Je la prends… La proposition que je vais avoir l’honneur de formuler est de ne point conclure et de déclarer qu’il n’est pas impossible que ce soit possible, mais qu’il est possible que ce soit impossible.
Bravo ! bravo !
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Vous m’embêtez.
Bravo ! bravo !
La conclusion de M. Rectangle est adoptée à l’unanimité.
Mais on n’a pas conclu !
Pardon, on a conclu qu’on ne conclurait pas.
C’est une plaisanterie !
Vous enterrez la question.
Attendez… il y a un moyen de tout arranger, c’est de nommer une commission.
Une commission !
Voyons, calme-toi. (À Cosinus.) Il me semble que plusieurs de vos collègues n’ont pas donné leur opinion… (Montrant Phichipsi.) Celui-ci par exemple… il est donc moins instruit que les autres ?
Lui, au contraire… c’est le fameux Phichipsi, le plus fort de tous… seulement il est sourd comme un pot.
Ah ! c’est donc ça.
Qu’est-ce qu’il a dit ?…
Il a dit que vous étiez sourd comme un pot.
Bravo ! bravo !
Il est complet.
La séance est levée.
Comment la séance est levée… mais je m’y oppose ! vous êtes tous des ânes !
Des ânes !…
Et tu paies ces gens-là sur ta cassette !
Il faut les biffer !
C’est ça ! je les biffe !… je vous biffe entendez-vous ? Vous allez me rendre vos télescopes, j’en ferai des sièges de jardin.
Quant à vous, Monsieur Microscope, puisqu’on est en train de biffer, je vous biffe par la même occasion… votre démission est acceptée.
Ma démission !… mais prince…
Vous ne me rendez pas plus de services que tous ces messieurs.
Oh !
Vous dépensez un argent fou avec tous vos engins et toutes vos machines qui ne servent à rien.
Mais prince !…
Êtes-vous ingénieur, oui ou non ?
Certes… mais…
Alors, trouvez-moi le moyen que je vous demande.
Mon pauvre Croscope !…
Oh ! mais, il m’ennuie, ce petit-là… si je pouvais me défaire de lui… Oh ! quelle idée ! Cette machine à laquelle je travaille depuis trois ans ! Ô balistique ! viens à mon aide. (Haut.) Eh bien, soit ! ce moyen, je vous le fournirai.
Hein ?
Je l’ai trouvé.
Quel est-il ?
Vous le saurez quand il sera temps.
Et combien vous faut-il de temps ?
Huit jours.
Soit.
Il faut aussi de l’argent, beaucoup d’argent.
On vous fournira tout ce qu’il faudra… Seulement prenez garde… si dans huit jours vous n’avez pas tenu parole, ce n’est plus votre démission que je vous demanderai, c’est votre tête !
Brrr !… ma tête !… Il n’est que temps de m’en débarrasser
(Se remettant.) Soit, je vous donne rendez-vous dans huit jours, dans ma forge.
Voilà ce pauvre Croscope qui est devenu fou aussi.
Vous allez vous mettre immédiatement à l’œuvre.
Pardon… Auparavant, je voudrais faire une petite visite.
Vous n’avez pas le temps.
Allons, il est écrit que je ne verrai pas Cascadine aujourd’hui.
Et vous, hors d’ici.
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Scène PREMIÈRE
Au changement, les forgerons et les forgeronnes travaillent avec ardeur.
CHŒUR.
À l’ouvrage ! à l’ouvrage ! QUELQUES FORGERONS, se détachant.
Mais c’est une folie, LE CHŒUR.
Frappons, LES FORGERONS, idem.
On se moque de nous, LE CHŒUR.
Tapons ! REPRISE
À l’ouvrage ! à l’ouvrage ! |
Allons, chaud ! les enfants ! chaud, ne flânons pas !
Ouf ! je n’en puis plus !
Voilà huit jours que nous travaillons sans nous arrêter.
On n’est pas de fer !
On a beau être solide, il n’y a pas moyen de résister.
Voyons un dernier effort… quelques minutes seulement nous séparent du moment où vous pourrez vous reposer. À onze heures tout doit être terminé et il est onze heures moins dix. Ainsi, chaud ! les enfants, chaud !
Oui ! oui !
Moment de vacarme étourdissant.
C’est égal, c’est beau l’industrie…C’est ici mon cabinet de travail… voilà quelques années que je m’occupe de mécanique et de fonderie… C’est grâce à cela que je vais pouvoir expédier le prince Caprice dans une autre planète d’où je suis bien sûr qu’il ne reviendra pas… si même il y arrive… C’est peut-être indélicat ce que je fais là. Mais il me demandait ma démission ! Ah ! non.
M’sieu, c’est-il vrai que c’est pour aller dans la lune ce que nous fabriquons là ?
Oui, oui… allez travailler… c’est égal ! je ne serai pas fâché d’avoir fini… Il y a plus de huit jours que je n’ai pas vu Cascadine, heureusement, elle m’a fait dire que sa tante était encore malade… ça l’occupe toujours un peu, pauvre chérie !
M’sieu… je pourrai-t-il y aller aussi dans la lune ?
Non… vous m’ennuyez… C’est un crampon que cette petite industrielle.
Onze heures !
Allons déjeuner !
Scène II
Le roi… le prince Caprice !
Ils sont exacts.
Nous voici, mon bon Microscope.
Eh bien ! Vous êtes prêt ?
Mais certainement, prince… dans un instant.
Allons donc… Pauvre ami, va !…
Parole d’honneur !… je suis prêt.
Tu entends, papa.
Ah ! ah ! Mais un instant, mon garçon, ça change la thèse… tant que j’ai cru que ça ne se pourrait pas… j’ai fait ce que tu as voulu… mais maintenant, il s’agit d’être sérieux… J’espère bien que tu as renoncé à ce voyage absurde.
Si j’y ai renoncé ?… Mais au contraire, je n’en dors plus… J’en rêve !
Monde charmant que l’on ignore |
Il est désespérant.
Voyons votre moyen !
C’est vrai, je ne vois rien. Nous sommes ici dans une forge. C’est assez gentil… je ne dis pas le contraire… Mais ce n’est qu’une forge.
Une forge où l’on a fabriqué la machine qui doit permettre au prince votre fils d’aller dans la lune.
La machine ?… Quelle machine ?
Oh ! mon Dieu, une machine bien simple… un canon.
Un canon !
Un canon qui a vingt lieues de longueur.
Ah ça ! est-ce que par hasard tu voudrais faire partir mon fils en canon ?
Pourquoi pas ?
Comment ! pourquoi pas ? mais parce qu’on ne part pas en canon… ça n’est pas dans les habitudes.
Dame, il n’est pas dans les habitudes non plus d’aller dans la lune.
Ma foi ! il a raison ! et je veux…
Une minute ! (À Microscope.) Avec quoi chargeras-tu ton canon ?
Avec de la poudre… 300 mille kilogrammes suffiront, vous comprenez… Nous nous mettrons bien en face de la lune, nous visons, nous mettons au point. On part, et en peu de temps… on est arrivé à destination.
Et comment y entre-t-on dans ce canon ?
J’ai tout prévu. Par une tabatière placée sur la culasse et communiquant avec un obus en acier fondu…
Mais on y étouffera dans cet obus.
J’y compte bien un peu.
Le petit a raison, on y étouffera.
Erreur !… au moyen d’un appareil spécial, on pourra renouveler l’air à volonté.
Et combien mettra-t-on en route ?
Dame ! un peu plus, un peu moins… vous le saurez en arrivant… Pour faire quatre-vingt-seize mille sept cents lieues, il faut du temps. (Montrant les forgerons qui traversent la scène en poussant des brouettes chargées de paquets et de colis.) D’abord l’obus contiendra des provisions en quantité suffisante. Vous voyez on est en train de les embarquer, de l’eau, du vin, du pain, du biscuit, de la viande, des saucissons, des jambons, des poires, des pommes, beaucoup de pommes.
Beaucoup de pommes !
Enfin, il ne manque rien.
Mais, pardon ! En arrivant… au débarcadère… il y aura un tamponnement !
Dame, ça ne me regarde pas, si vous vous arrêtez aux questions de détail ! Je vous ai promis un moyen d’aller dans la lune, mais il n’a pas été question de tamponner, ou de ne pas tamponner.
Il a raison.
Comment ! tu le soutiens ?
Certainement et je suis prêt à partir.
En canon, tu es fou ! je m’y oppose. On ne part pas en canon ! Que le canon parte, lui, parfait, c’est son métier, mais toi !…
Moi, je partirai aussi…
Voyons, Caprice, je t’en prie !
Oh ! non, ma résolution est bien prise !
Eh bien, puisque tu veux partir…je ne veux pas que tu t’en ailles seul.
C’est d’un bon père. D’ailleurs, j’ai fait préparer tout ce qu’il faut pour le cas où plusieurs personnes…
Plusieurs personnes ! Eh bien, tu vas partir avec lui.
Hein ?… vous dites…
Papa a raison ! De deux choses l’une, ou vous avez une certaine confiance dans votre moyen, et alors, je ne vois pas pourquoi vous hésiteriez à me suivre ; ou vous n’y croyez pas du tout, et alors, il est tout naturel que vous soyez puni de me l’avoir proposé…
J’y crois, j’y crois !
Eh bien, alors ?
Pincé !… ma foi, au petit bonheur… (Regardant Vlan.) Toi, tu vas me le payer, attends. (Haut à Vlan.) Vous savez, il y a encore une place.
Tant mieux, vous ne serrez pas trop serrés.
Pourquoi donc ne viendriez-vous pas avec nous ?
Mais c’est vrai, papa… nous t’emmenons.
Permets ! permets. Tu oublies que je suis roi, et les affaires ?…
Avec cela qu’elles ne marcheraient pas toutes seules.
Oh ! bien mieux.
Possible… seulement, il y a autre chose, je me connais, je suis très nerveux, j’aurais le mal de mer.
Mais vous êtes son père !
Tu es mon père et tu ne peux pas me laisser seul courir au-devant d’une mort possible, probable.
Oh ! tu peux dire certaine !
Non ! probable seulement.
Tu vois, tu ne peux pas faire autrement.
Gredin ! va, avec ton invention… (Haut.) Ah ! une idée, si on l’envoyait tout seul en avant pour essayer.
Oh ! papa !… Enfin, partons…
Et cette pauvre Cascadine !… Bah ! j’irai chez elle en revenant de la lune. Oh ! quel éclair ! Du moins comme cela nous ne serons pas tout à fait séparés…
(Il va prendre quelque chose dans un coin de la forge. — Revenant.) Là, je suis prêt ! Tout le monde sur le pont !…
Mes enfants, triste nouvelle ! mon fils part !
Oh !
Cet imbécile part aussi.
Ah !
Et moi aussi, je pars.
Vive Vlan !
Jamais je n’ai été si populaire !
Maintenant au canon !
Au canon !…
En route pour la lune, MICROSCOPE.
Qu’on fasse entrer messieurs les artilleurs. VLAN.
Comment, des artilleurs ? MICROSCOPE.
Entrez, messieurs les artilleurs. Arrivée des artilleurs de toutes les tailles.
CHŒUR DES ARTILLEURS.
Nous sommes les artilleurs, VLAN.
Mais pourquoi faire MICROSCOPE.
Dame, écoutez donc, TOUS.
Au lieu de chauffeurs
REPRISE DU CHŒUR
Nous sommes les artilleurs, VLAN.
Allons, il n’y a plus à dire non : CAPRICE, VLAN et MICROSCOPE.
Les voyageurs pour la lune, en canon ! VLAN.
Et maintenant, TOUS
Vlan ! Vlan ! |
ACTE DEUXIÈME
À gauche une construction qui doit s’écrouler à un moment donné.
Scène PREMIÈRE
Oh !
Ah !
C’est un point noir,
Et pour le voir
Il n’est pas besoin de lunettes.
Ah ! ce point noir,
De désespoir
Va nous faire perdre la tête !
C’est inouï !
Le mal a encore fait des progrès depuis hier.
Je crois bien ; ce n’était d’abord qu’un tout petit point noir et maintenant c’est une montagne qui va tomber sur nous et nous réduire en poussière.
Nous sommes perdus !
C’est la fin de la lune !
C’est la fin de la lune !
Scène II
Vous êtes tous des imbéciles !…
Le roi !…
Oui, votre roi Cosmos qui n’est pas content de vous.
Pas content du tout.
Comment ! parce qu’un petit point se montre à l’horizon, la lune entière est à l’envers ! Depuis hier, dans cette ville seulement, il y a eu trois cent neuf cas de folie et sept cent quarante-neuf suicides… Est-ce que c’est une vie je vous le demande ?… une pareille pusillanimité me navre. Elle me navre, moi et mon excellent conseiller intime et ami, Cactus. (À Cactus.) Réponds franchement, est-ce que tu n’es pas navré ?
Navré.
Vous voyez, je n’ai pas opéré de pression.
Pourtant il y a bien de quoi avoir peur.
Je crois bien !
Et dire que c’est à ces gueux d’habitants de la terre que nous devons ça.
Comment ?
Dame, je me suis laissé dire que ce point noir que nous voyons à l’horizon est tout simplement un fragment de la boule terrestre qu’ils ont détaché dans le but de nous exterminer tous.
Oh !
Quand je vous le disais que vous êtes tous des imbéciles. Comme s’il était permis d’ignorer que la terre n’a pas d’habitants. Et cela, pour une raison bien simple… (Cherchant dans ses poches.) Où est ma carte de la terre ? Il faut vous dire que depuis plusieurs jours, j’ai étudié tout ce que nos savants les plus illustres ont écrit sur la terre… (Cherchant toujours.) J’ai compulsé, comparé. (À Cactus.) Où diable ai-je fourré ma carte ? (Cactus qui la porte sous son bras, la lui tend gravement.) Ah ! merci ! (Il déploie la carte. Les cinq parties du monde y sont représentées sous des formes étranges et fausses.) La voilà, la terre… Je la connais à présent comme si j’y avais été. Eh bien, il suffit d’y jeter un coup d’œil pour se faire une conviction, qui est maintenant celle de tous les hommes de science : c’est que la terre est complètement inhabitable.
Pourquoi cela ?
Pourquoi cela ? pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et je suis certain que tel est aussi l’avis de mon excellent conseiller intime et ami Cactus. (À Cactus.) Cactus, réponds franchement, est-ce ton avis ?
C’est mon avis !
Vous voyez je n’ai pas opéré de pression…
À ce moment on entend un sifflement épouvantable. Le ciel s’obscurcit.
Ah !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
CHŒUR.
Ah ! grand Dieu ! COSMOS, à la foule.
Quel est ce tintamarre ? CACTUS, même jeu.
Ah ! pourquoi trembler ainsi ? COSMOS, à part.
La peur de moi s’empare CACTUS, même jeu.
J’en suis transi ! COSMOS, à la foule.
Un danger vous menace, CACTUS, même jeu.
Nous voulons notre part ! COSMOS, avec énergie
Eh bien, vidons la place, CACTUS, même jeu.
Beaucoup plus tard. REPRISE
Ah ! grand dieu ! |
Scène III
puis COSMOS, CACTUS et Les Habitants.
Je crois que nous y sommes.
Nous y sommes ?…
Oui !… la lune !… tous les voyageurs descendent de voiture ! (Appelant.) Caprice !
Père !…
Descends !… nous y sommes…
Comment !… Nous sommes dans la lune ! Eh bien ! par exemple, c’est assez curieux.
As-tu le parapluie ?
Oui !…
Alors nous sommes au complet. Ah ! mes enfants, quel voyage !
Quel charmant voyage !
Dans un obus qui fend l’air, TOUS TROIS.
Ah ! comme cela va faire CAPRICE.
Plus de gare Plus de guichets TOUS TROIS.
Ah ! comme cela va faire CAPRICE.
Dans l’espace, TOUS TROIS.
Dans l’espace CAPRICE.
Cela supprime ENSEMBLE.
Ah ! comme cela va faire |
Voyons, il s’agit maintenant de nous orienter.
Ah ! voici le hic.
Ça je m’en charge.
Vraiment ?
Oh ! je ne suis pas embarrassé… Voyons… où est ma carte de la lune ? Vous comprenez bien que depuis que nous sommes en route, je n’ai pas perdu mon temps, j’ai lu tout ce que les savants les plus illustres ont écrit sur la planète que nous allons visiter. J’ai comparé, compulsé, et tel que vous me voyez, je connais la lune comme ma poche.
Toi, papa ?
Oui, moi.
Eh bien, dans quel quartier sommes-nous ?
Ici ?… Attends… (Ouvrant sa carte.) Nous devons être dans la partie australe de la lune.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire dans le large espace que circonscrivent au nord la mer des Nuées, au sud l’océan des Tempêtes et le lac de la Mort.
Diable !
Ah ! dame, mes enfants, il ne faut pas nous attendre à quelque chose de bien gai. N’oublions pas que nous foulons aux pieds une planète désolée et refroidie.
Mais alors, comment ferons-nous pour nous nourrir ?
Eh bien, nous avons des provisions.
Des provisions ! Ah ça ! est-ce que nous n’avons pas mangé en route ? D’abord, plus de viande.
Eh bien, nous mangerons des légumes.
Oh ! les légumes… il ne reste qu’un sac de haricots secs.
Eh bien, nous mangerons des fruits.
Oh ! les fruits, il ne faut pas y compter.
Comment ? Les oranges ?
Mangées !
Les prunes ?
Mangées également… nous n’avons plus que des pommes.
Eh bien ! nous voilà gentils !… c’est la famine… Nous n’avons qu’à nous dévorer les uns les autres… on commencera par toi.
Ah ! permettez…
Mais, papa, ça n’a pas l’air si désolé que tu le disais, ici… nous sommes dans une ville.
Une ville !… impossible ! La lune n’est pas habitée. Et cela pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et quand je vous dis qu’il n’y a pas d’habitants dans la lune, c’est qu’il ne peut pas y en avoir !
Ah !
Oh !
Quoi ? (Apercevant les Sélénites.) Il y en a !
Ils ont de mauvaises figures. (Cosmos fait un pas vers lui. Microscope recule en poussant un cri.) Ah !
Qu’est-ce que ces gens-là ?
Connais pas !
Il s’agit de leur parler.
Je vais les aborder.
Habitants de la lune…
Silence !
Il n’a pas l’air commode.
Savez-vous bien devant qui vous êtes ?
Non.
Vous êtes devant le souverain du royaume lunaire, le grand, l’illustre, le majestueux Cosmos, et on ne fait pas de phrases avec lui.
Bravo ! Bravo !
Quelle est cette singulière façon d’entrer dans un pays ? Vous avez démoli deux maisons qui n’étaient pas encore expropriées. Répondez, pourquoi ?
Oui, pourquoi ?
Écoutez donc, quand on vient de si loin on ne regarde pas trop où on met le pied.
Et d’où venez-vous, s’il vous plait ?
Puissant monarque, nous arrivons d’un petit endroit dont vous avez peut-être entendu parler, et qui s’appelle la terre.
La terre !…
Nous produisons notre effet.
Tu as entendu !… (Cactus sourit dédaigneusement. Cosmos revient à Vlan.) Il me semble pourtant que je n’ai pas l’air d’un imbécile ?
Je n’ai jamais dit le contraire.
Alors pourquoi me racontez-vous des histoires à dormir debout ?… comme si nous ne savions pas aussi bien que vous que la terre n’est pas habitée ?
Ah ! bien, elle est bonne, celle-là ! Puisqu’on vous dit que nous en venons, mon brave homme.
Vous en venez… laissez-moi donc tranquille. Et comment ?
Comment ?… en canon.
En canon !
Oui, en canon… l’invention est de moi… (Montrant l’obus.) Tenez, voilà la voiture.
Ah ! c’est curieux… Alors ce petit point noir que nous apercevions depuis quatre jours dans le ciel, c’était vous…
Parfaitement.
Ah ! ah !
Ça va bien.
Dis donc, le petit point noir, c’était eux.
C’était eux.
Très bien, très bien !
Ah ! vous croyez à présent ?
Parfaitement.
Ah !
Qu’on empoigne ces gens-là !
Bravo ! bravo !
Comment, nous empoigner ?
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ah ! c’est vous mes gaillards, qui nous avez causé cette jolie émotion.
Nous…
C’est vous qui vous permettez de venir de la terre quand la science a décidé que la terre ne devait pas être habitée… Eh bien, mes bons amis vous allez voir !… Allons, mon bon peuple ! allons, mes braves, avançons.
Tout le monde s’arrête.
La Reine.
Scène IV.
suite composée de Six Pages et Six Suivantes.
Eh bien ! eh bien ! quel est ce tintamarre ?
Qu’y a-t-il donc ?
Des femmes, nous sommes sauvés, je vais leur parler.
Non, pas toi… Caprice…
Mademoiselle !… (La regardant avec un grand cri et portant subitement la main à son cœur comme frappé par un choc.) Ah !
Oh !
La princesse ! qu’elle est jolie !…
Et la reine ! qu’elle est belle !
Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?
Oh ! les bonnes têtes !
Ne faites pas attention… ce n’est rien, ce sont des vagabonds, des gens sans aveu, qui viennent de la terre.
De la terre !
Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’ils mordent ?
Je ne crois pas, mais il ne faut pas s’y fier.
Comment !
C’est vrai, ils n’ont pas l’air bon.
Pourtant, le petit ne paraît pas méchant.
Oh ! non, mademoiselle, je ne suis pas méchant.
Et qu’est-ce que vous allez en faire ?
Les enfermer d’abord… ensuite…
Ensuite… (Avec un cri féroce.) Ah ! ah ! ah !
Celui-là ne parle pas souvent, mais il trouve le moyen de vous dire des choses bien désagréables.
Oh ! les pauvres gens !
Elle s’intéresse à nous.
Ne vas-tu pas les plaindre, à présent ?
Mais certainement.
Tu devais, le jour de ma fête, II
Jusqu’à présent, jamais ta fille |
Oh ! qu’elle est gentille !
Eh bien, papa ?
Leur faire grâce, qu’en dis-tu, Cactus ?
Dame ! tout de même.
Ah ! sauvés ! sauvés !
Sauvés et grâce à elle !
Ô Vlan ! ô mon roi !
Son roi !… qu’est-ce que vous dites ?
Je dis : Ô Vlan ! ô mon roi !
Vous êtes roi, vous ?
Certainement… je n’en ai peut-être pas l’air, mais je le suis. Et voilà mon fils Caprice avec mon grand savant Microscope.
J’ai bien l’honneur.
Allons donc… vous êtes roi… Prouvez-le.
À l’instant !… Microscope, passe-moi le parapluie. (Microscope le lui passe.) Tenez, voici mon sceptre monté sur soie… En voyage, c’est très commode quand il pleut…
Un collègue… Pourquoi ne le disiez-vous pas ?
Vous ne me laissiez pas placer un mot.
Touchez là.
Avec plaisir.
Voulez-vous permettre.
Comment donc !… (Ils se serrent la main.) Mais vous parlez bien peu.
Je réfléchis.
Dites donc, maintenant que la glace est rompue, voulez-vous une prise de tabac ?
Une prise de tabac. (À part.) Je ne sais pas ce que c’est, mais n’ayons pas l’air. (Haut.) Volontiers. (Il prend une prise de tabac et la met dans sa bouche. — Poussant un cri.) Ah !
Qu’est-ce que vous faites ? Il renverse tout mon tabac. Mais ça ne se mange pas !
Dame ! je croyais.
Sont-ils arriérés dans la lune ! (Pendant ce temps un pied de tabac est sorti du sol et pousse à vue d’œil.) Ah ! qu’est-ce que c’est que cela ?
C’est votre tabac qui pousse.
Comment, mon tabac ?
Eh bien ! oui. Votre tabac qui vient de tomber, il pousse, c’est l’effet de la végétation.
Comment, si vite ?
Mais certainement. Tout pousse instantanément.
À la minute !
Vraiment ? Alors on sème…
Et on récolte tout de suite après.
Étrange !
Inouï !
Mais voyez donc : la plante, la fleur. (Tirant un cigare de la plante.) et le fruit… (À caprice.) Qu’est-ce que tu dis de ça ?…
Moi, je trouve ça très curieux, très… (À part.) Qu’elle est gentille !
La splendide créature !
Qu’est-ce qu’il a donc à m’examiner comme ça, le petit étranger ?
Eh bien ! et le vieux !… Il me fait des yeux…
Et maintenant, mon cher collègue, il faut que je rentre, les affaires me réclament. Il va sans dire que vous venez avec moi. Tant que vous serez ici, vous serez mes hôtes.
Quelle chance ! je pourrai la voir, lui parler…
Vous savez, quand vous viendrez sur terre, à charge de revanche…
Holà ! qu’on m’amène ma monture.
On amène un dromadaire sur lequel monte Cosmos. — Cortège. — Sortie.
Salut à notre bon roi,
Au grand Cosmos notre père,
Qui tient sous sa puissante loi
La lune toute entière !
Scène PREMIÈRE
Scène II
Donnez-vous la peine d’entrer. C’est ici la grande salle du conseil.
Il me semble que la reine et la princesse Fantasia nous ont quittés ?
Oh ! certainement ! les femmes ne mettent jamais les pieds ici.
Ça ne m’étonne pas alors que Caprice ne soit pas avec nous.
Cette salle est réservée aux affaires sérieuses.
Et embêtantes.
Tout à l’heure, mon cher collègue, vous allez assister à mon conseil. Mais comme nous avons encore quelques instants devant nous, si vous voulez bien, nous allons causer un peu (Cactus leur offre des sièges. Ils s’assoient.) Alors vous êtes roi ? Ça doit bien vous ennuyer.
Mais non, c’est très amusant.
Alors ce n’est donc pas un mauvais métier chez vous ?
Mais pas mauvais du tout.
Eh bien, vous avez de la chance. Ici, c’est bien ennuyeux.
C’est d’un dur !
Alors, pourquoi l’êtes-vous ?
J’ai été forcé.
Comment forcé ?
Oui, quand le trône est vacant, comme personne n’en voudrait, on choisit au hasard, parmi les habitants dix des plus riches et des plus lourds.
Alors vous avez été élu au poids ?
Oui, je pesais deux cent quatre-vingts, j’ai été pincé.
Je l’ai échappé de trente-cinq grammes.
L’emploi est donc bien mauvais ?
C’est-à-dire que je ne connais rien de plus pénible… jamais un instant de liberté, je pioche du matin au soir. Impossible de prendre un instant de repos… Voyez les murs de mon palais.
Ah ! mais !… ils sont en verre !
Bonté du ciel ! je n’avais pas remarqué.
Ça doit être gênant.
Parbleu ! à tout instant, les passants s’arrêtent pour me surveiller et s’assurer que je ne perds pas mon temps. Tenez.
En effet, j’en aperçois quelques-uns.
Et en voilà d’autres.
Hein ?
Oui, vous entendez ?… ils grognent parce qu’ils trouvent que je flâne.
C’est l’opposition.
Il parait qu’il y en a partout.
Vite, Cactus, il faut nous mettre au travail… Qu’on fasse entrer mes conseillers !
Mouvement de satisfaction dans la foule.
Scène III
Allons, messieurs mes conseillers, vite à la besogne. (Ils se sont assis autour de leurs tables.) Expédions d’abord les affaires du jour. (Ils ont tous pris des plumes et écrivent fiévreusement, Cosmos feuillette une liasse de papiers.) Ah ! voici quelque chose de très pressé.
Que faites-vous donc là ?
Une expédition, je copie en double un arrêté d’hier.
Comment vous copiez !… Mais alors que font vos employés.
Nos employés… Nous n’en avons pas.
Ils n’ont pas d’employés !
Eh bien, ce n’est pas comme chez nous. Pour une place, il y a toujours au moins un titulaire et un suppléant.
Le titulaire qui n’a généralement rien à faire.
Et le suppléant qui est chargé de l’aider.
Là ! les entendez-vous ? ils grognent encore… (Il se remet fiévreusement au travail, puis se lève, un papier à la main.) Que vois-je ? (Avec sévérité.) Monsieur l’intendant chargé de mes finances, approchez, s’il vous plait ? Le conseiller se lève tout confus et vient à lui.
Je parie qu’il n’est pas en règle, celui-là.
Le compte que vous me présentez est inexact, monsieur…
Là ! qu’est-ce que je disais ?
Mais…
Je vous dis que ce compte-là n’est pas exact ! Comment se fait-il que vous ayez en caisse plus d’argent que vous n’en avez reçu ?
Hein ?
Dame, je…
Dame, je… dame, je… je vois ce que c’est ; malheureux que vous êtes ! Vous aurez encore remis de l’argent de votre poche dans mes coffres.
Mais…
C’est scandaleux !
Oui, c’est scandaleux ! un homme qui a de la famille !… Vous finirez par mettre tous les vôtres sur la paille. (Murmures.) Le peuple murmure et il a raison… Mais un pareil scandale ne peut durer… Monsieur Capultos, approchez. (À l’intendant.) Rendez-moi la clef de ma caisse, vous n’en êtes plus digne. (À Capultos.) Prenez-la, vous, et ne suivez pas l’exemple de votre prédécesseur, ne remettez jamais d’argent dans mes coffres.
Oh ! je crois qu’avec celui-là il peut être tranquille. Il a une figure rassurante…
Allez !
Il ne l’a pas volé.
Hein ?
Renversant ! il faut venir dans la lune pour voir ça.
Ah ! après cette exécution pénible, il est doux d’avoir à décerner une récompense… Qu’on fasse entrer le lauréat du dernier concours de poésie.
Oh ! Ce plastron !
Si jeune !
J’ai lu vos vers, jeune homme… ils m’ont fait plaisir… Venez recevoir la juste récompense de votre beau talent.
Oh ! merci, grand roi !
Jeune homme !
Oh !
Vous appelez ça le récompenser ?
Certainement.
Mais vous venez de lui ôter…
Eh bien, oui.
Je ne comprends pas.
C’est pourtant bien simple. Ici, en naissant, on a toutes les décorations de la lune. À mesure qu’on fait une action d’éclat, on vous enlève une décoration. Quand comme moi on arrive à ne plus en avoir du tout, cela vous distingue des autres et on jouit de la considération générale.
Moi, j’en ai plus qu’une et je la cache.
Oh ! ça, par exemple !
Ça ne réussirait pas sur terre.
Et pourtant, ce n’est pas déjà si bête, mais ça ne réussirait pas. (On entend une sonnerie.) Oh !…
Ah ! voilà le signal de la récréation.
Mais non, c’est…
Quoi ?
Rien, rien ! vous avez raison. (À part.) C’est mon appareil électrique ; la réponse à ma dépêche… motus !
La séance est levée, nous pouvons nous retirer. Allons messieurs.
Scène PREMIÈRE
Voilà une heure que je me promène inutilement dans le palais. Ah ! si je pouvais retrouver cette délicieuse petite princesse que je n’ai entrevue qu’un moment et que j’aime déjà comme un fou… Voyons…
Enfin seul !… je suis seul… je vais pouvoir prendre connaissance de la réponse de Cascadine. Cher ange !… où l’ai-je fourrée ? (Il cherche dans ses poches.) Ah ! la voici… Lisons… (À ce moment, Caprice le heurte.) Le prince !
Microscope !
Quel ennui !
Quelle contrariété !
Je vous dérange ?
Du tout, c’est moi, au contraire… Tu lisais quelque chose… continue donc.
Comment, vous permettez ?
Fais donc, fais donc… (À part.) Pendant ce temps je vais faire le guet.
Tant pis, je grille de lire. (Lisant.) « Mon bon lapin » Ah ! « T’aime plus encore qu’avant » — Comment alors ? « Tante malade. » Ça, ça m’est égal. « Envoie argent. » Déjà !… ah ! elle m’ennuie ! Enfin, je vais télégraphier à mon banquier.
Scène II
Fantasia !
Tiens, le jeune homme de la terre.
Enfin, me voilà seul avec elle… (Il s’approche et la regarde.) Dieu ! qu’elle est jolie !…
Mais, monsieur, qu’avez-vous donc à me considérer ainsi ?
Vous voulez le savoir ?
Mais certainement.
Eh bien !…
Je regarde vos jolis yeux, II
Je regarde ce pied coquet |
Il est gentil.
Ah ! mademoiselle !
Quoi donc ?
Vous me promettez de m’écouter ?
Mais certainement… est-il drôle !… Quand on me parle, j’écoute toujours.
Et vous ne vous fâcherez pas ?
Mais non !
Elle n’a pas l’air de s’effaroucher… Je me risque.
Allez donc, qu’est-ce que vous voulez me dire ?
Eh bien ! je voulais vous dire que vous êtes si jolie, si charmante, que je n’ai pas pu vous apercevoir sans me sentir attiré vers vous de toutes les forces de mon âme.
Ah ! mon Dieu !
Depuis ce temps, je n’ai plus soif, je n’ai plus faim.
Pauvre jeune homme !
Elle me plaint !… achevons (Haut.) Enfin, charmante Fantasia, que pourrais-je vous dire ? Je vous adore, vous m’avez charmé et je dépose mon amour à vos petits pieds.
Votre amour ?
Oui, mon amour. On dirait que vous ne comprenez pas.
Mais non, monsieur, je ne vous comprends pas.
Comment ! vous n’avez jamais entendu parler d’amour ?
Jamais.
Mais ce n’est pas possible !
Je vous assure.
Allons donc ! mais l’amour est partout. Quand on ne vous en parle pas on le devine…
Eh bien, monsieur, je ne l’ai pas deviné du tout. Si vous voulez me dire ce que c’est…
Mais certainement que je vais vous le dire, ce que c’est l’amour !… Mais l’amour, c’est… attendez, il y a mille manières de l’expliquer… Ainsi, par exemple, vous me suivez bien ? L’amour, c’est…
C’est ?
C’est l’amour.
Ah ! ah ! ah ! vous voyez, vous ne pouvez pas me le dire vous-même. (Riant.) Mais c’est vous qui ne savez rien, mon petit ami !… Et c’est pour ça que vous me faites perdre mon temps ! On n’est pas fort sur la terre !
Scène III
Ah ça ! voyons… voyons… qu’est-ce qu’elle dit ? Est-ce que vraiment dans la lune ?… Oh ! ce serait trop fort !
Ah ! te voilà, enfin !… Il y a une heure que je te cherche !
Ah ! papa, si tu savais !
Eh bien, qu’as-tu ? Qu’est-il donc encore arrivé ?
Ah ! Papa, la petite princesse ?
Eh bien ?
Je l’aime ! je la veux !…
Tu la veux !… tu m’ennuies… cela ne me regarde pas… Certainement, la bêtise d’un père est immense, mais elle a des limites… J’ai tout fait pour toi : tout ce que tu as voulu, je te l’ai donné. Tu m’as fait quitter mon royaume, mes sujets. Tu as voulu la lune, je t’ai donné la lune !… en voilà assez. Fais-lui la cour à ta princesse.
Mais elle ne peut pas m’aimer !… L’amour n’existe pas dans la lune.
Qu’est-ce que tu dis ? Tu entends, Microscope, il dit que l’amour n’existe pas.
Patron, je me roule !
Nous nous roulons !
Vous riez ! vous riez ! quand vous me voyez furieux.
Aussi ce que tu nous dis est si invraisemblable.
C’est plus fort que nous !
Ah ! c’est comme cela ! ah ! vous vous moquez de moi ! Eh bien ! vous avez tort, parce que c’est sérieux, très sérieux.
Mais…
La première femme que j’aime !… Ah ! vous verrez ce que je vais faire.
Caprice !
Vous verrez ! laissez-moi !
Scène IV
Où va-t-il ?… (Courant après lui.) Caprice !
Il est loin !
Pauvre gamin ! il n’était pas content !… Aussi c’est une absurdité que la raison humaine se refuse à admettre, et je ne l’admets pas.
Moi non plus !…
Qu’est-ce que vous n’admettez pas ?
Savez-vous ce que mon fils vient de me dire ? — Que dans la lune on ne sait pas ce que c’est que l’amour ?
Chut !
Silence !
C’est parfaitement exact, heureusement…
Comment ?…
J’en ai entendu parler par des savants. Il parait que c’est un mal horrible.
Épouvantable !
Oh !
On en a observé dans le pays un ou deux cas, il y a très longtemps. Des gens qui s’étaient mis dans un courant d’air, à ce qu’on m’a dit… mais comme on s’en est débarrassé séance tenante, le mal n’a pas eu le temps de se répandre, et jamais il n’a reparu depuis…
Jamais !
Ils veulent nous faire poser.
Ils tombent mal ! (Haut.) Eh bien ! Et la population ?
Comment ?
La lune est peuplée, n’est-ce pas ?
Évidemment.
Je le tiens (À Cosmos.) Ainsi, vous, vous avez eu un père ?
Oui !
Et moi aussi.
Une mère aussi peut-être ?
Oui.
Et moi aussi.
Ah ! Eh bien ?
Eh bien ! qu’est-ce que ça prouve ?
Ça prouve tout.
Comment ça ?… On m’a fait venir de là-bas comme les autres.
De là-bas ?
Oui, du pays des enfants.
Du pays des enfants ! qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est un pays qui se trouve très loin, très loin, au-delà des mers et où viennent au monde tous les futurs habitants de la lune.
Tous ?
Tous !
Alors, vous autres…
Nous autres, nous ne nous en occupons pas autrement. Il y a là-bas de pauvres gens dont c’est la spécialité.
Alors, quand vous désirez avoir un fils ou une fille, vous n’avez qu’à faire ce voyage ?
Pas même… nous ne nous dérangeons pas… Deux fois par an, on nous amène les moutards ici, sur de grands vaisseaux. Chacun se rend sur le port, on fait son choix et, le lendemain, on donne aux parents et amis un grand dîner de réjouissance.
Et voilà tout ?
Oui.
Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?
Rien… C’est très ingénieux. (À Microscope, bas.) Mais c’est égal, on aura beau dire, pour ma part, j’aime encore mieux notre vieille routine…
Eh bien alors, les femmes ? Si l’amour n’existe pas, pourquoi y en a-t-il dans la lune ?
Pourquoi ? Mais elles nous sont indispensables. Les unes s’occupent des soins du ménage : elles cousent, raccommodent, et cætera… ce sont des femmes utiles. Les autres sont des objets d’art qui ornent notre maison de leur jeunesse et de leur beauté… Ainsi, par exemple, la reine Popotte, que vous avez vue, femme utile ; la princesse Fantasia, femme de luxe !
Et c’est tout ?
Mais oui.
Il y a donc autre chose ?…
Non ! non !… (Bas à Microscope.) Eh bien ils sont d’un arriéré…
Scène V
Me voici, mon ami.
Qu’elle est belle, la reine ! Ah ! si elle avait pu me comprendre ! (La lutinant.) si vous aviez pu me comprendre !…
Monsieur !…
J’aurais résilié avec Cascadine.
Le dîner est prêt ?
Oui… et tous vos invités sont là.
Vos invités, c’est donc un grand dîner ?
Mais certainement… en votre honneur… Et il y aura après une petite fête dans le parc.
Ah ! très bien !
Pour le dîner, nous avons une purée d’araignées et un plat de mouches rôties.
Oh !
Des mouches !…
C’est délicieux !
C’est ça qui nous engraisse.
Eh bien, si ça vous est égal, je vous demanderai la permission d’apporter mon plat ?
Ne vous gênez pas… (Éclats de rire dans la coulisse.) Tenez, qu’est-ce que je vous disais ? Voici toutes les dames du palais. Êtes-vous connaisseur ?
Je crois bien.
Connaisseur et amateur !
Eh bien, vous m’en direz des nouvelles.
Ne jamais rien faire TOUTES.
Ne jamais rien faire, FLAMMA.
À notre toilette Sourire avec grâce, ADJA.
Sur notre visage REPRISE
Ne jamais rien faire |
Voyez donc, voyez comme on rit, comme on danse, POPOTTE.
Tous les jours, oui, ça recommence, MICROSCOPE.
Ça vous picote dans les jambes, VLAN.
Les vieilles deviennent ingambes LES FEMMES.
En avant joyeux quadrilles ! D’AUTRES.
Les bras autour des belles filles TOUS.
En avant ! REPRISE GÉNÉRALE
Ne jamais rien faire COSMOS.
Allons, à table, mes amis, CHŒUR.
À table ! à table ! |
Scène PREMIÈRE
Eh bien ! il va joliment être attrapé, papa… Ah ! il s’est moqué de moi !… Eh bien, je lui prouverai que j’ai du caractère ! je vais me tuer, là !… Et puis, après tout, j’en ai assez de la vie… Ça n’est pas si drôle !… Rien ne me réussit !… Pour une fois que je suis amoureux, il faut que je tombe sur une femme incapable de m’aimer… Allons, allons, finissons-en !… oui, mais comment vais-je me tuer ? me brûler la cervelle ?… oui… mais ça me défigurerait ! Me noyer ?… Brrr… Et puis, il faudrait une rivière… Je crois que ce qu’il y a de mieux, c’est de me pendre… Ça me portera peut-être bonheur ! (Il fait un nœud à son mouchoir, et s’arrête subitement.) Tiens ! oh ! c’est singulier… J’ai faim ! Ça ne m’étonne pas, je n’ai rien pris depuis ce matin… Ah ! mais c’est grave ! Faut-il me pendre avant de manger ? Ou manger avant de me pendre ?… Bah ! mangeons d’abord, c’est plus sûr… il doit rester quelques provisions dans mon sac de voyage. (Il l’ouvre.) Du pain et des pommes… c’est maigre… Bah ! quand on a de l’appétit !
Scène II
Ah ! le voilà !
Ciel ! Fantasia !
Eh bien ! monsieur, mais on vous cherche partout. Pourquoi n’êtes-vous pas venu dîner ?
Oh ! je souffre trop pour pouvoir manger.
Ça se voit. — Tiens, qu’est-ce que vous tenez donc là ?…
Ça ?
Oui !
C’est une pomme.
Une pomme ? Qu’est-ce que c’est que ça, une pomme ?
Allons, bon ! vous ne savez pas ce que c’est qu’une pomme, à présent ?
Mais non !
Mais vous ne savez donc rien de rien ! C’est un fruit qui vient de la terre.
Un fruit qui se mange ?
Vous voyez.
Tiens c’est gentil… ça doit être bon ! oh ! je meurs d’envie d’y goûter.
Dame ! si le cœur vous en dit.
Oh ! oui… c’est bon ! c’est bon ! c’est bon !
Elle y prend goût.
Ah !
Quoi donc ?
Mon Dieu, qu’ai-je ressenti-là ? CAPRICE.
Votre cœur… FANTASIA.
Comme il bat. CAPRICE.
Il bat ! FANTASIA.
Il bat ! Il se trémousse. CAPRICE.
Il se trémousse ! |
C’est votre vilain fruit !
Ô ciel ! est-il possible !
Mon cœur devient sensible ! CAPRICE, à part.
Eh quoi ! Se pourrait-il donc faire FANTASIA.
Ô l’étrange mystère CAPRICE.
De l’amour ! FANTASIA.
CAPRICE.
Curieuse ! FANTASIA.
Pourquoi ? Pourquoi cela ? CAPRICE.
Vous venez de mordre à la pomme ! FANTASIA.
À la pomme ! CAPRICE.
Vous venez de mordre à la pomme ! FANTASIA.
Ah ! parle, car je puis t’entendre, CAPRICE.
Oui ! tu peux enfin m’entendre FANTASIA.
Je connais l’amour ! |
Tu connais l’amour ! ENSEMBLE.
La pomme, la pomme, CAPRICE.
Ô doux fruit de la terre ! FANTASIA.
Ô divine lumière ! CAPRICE.
Adorable mystère ! FANTASIA.
Délicieux tourment ! ENSEMBLE.
Ah ! ah ! |
Voici la nuit ! CAPRICE.
Nuit pleine de mystère ! FANTASIA.
Ne faisons pas de bruit, CAPRICE
Vous le voulez ? FANTASIA.
Oui ! je le veux ! CAPRICE.
Soit ! taisons-nous, que vos cheveux |
Est-ce bien comme cela ! CAPRICE.
Plus près encore ! FANTASIA.
Plus près, plus près, m’y voilà ! CAPRICE.
Je t’aime ! FANTASIA.
Je t’adore ! |
Enfin, mes yeux s’ouvrent au jour ! CAPRICE.
Elle sait m’aimer à son tour ! ENSEMBLE.
Ah ! ah ! |
Scène III
Vous savez, mon cher Cosmos, votre dîner… Enfin je compte me rattraper sur la fête…
Un instant… D’abord, je veux savoir ce qu’est devenue la princesse Fantasia.
C’est vrai… je ne la vois pas… Eh bien, et Caprice ? Il a disparu aussi ?
Votre fils n’est pas là… ô mon Dieu ! je tremble ! Où peuvent-ils bien être ?
Ah ! si vous saviez ce que je viens de voir !… La princesse et le prince, je les ai rencontrés se souriant !… s’embrassant !
Miséricorde ! à tout prix il faut les rattraper ! Courons.
Mais la fête ?
Il s’agit bien de cela ! je veux rattraper ma fille, entendez-vous ? Allons, venez avec nous !… courons, courons !
En voilà une fête !
ACTE TROISIÈME
Scène PREMIÈRE
puis FLAMMA et Les Dames du Palais.
LE GARDE.
Je suis le garde LES DEUX GARDES, entrant.
Nous sommes les deux gardes QUATRE AUTRES GARDES.
Nous sommes les quatre gardes HUIT AUTRES GARDES.
Nous sommes les huit gardes LES DAMES, paraissant après eux.
Oui, voici les huit gardes |
Allons, mesdemoiselles, entrons chez la princesse.
On ne passe pas.
On ne passe pas !
On ne passe pas.
Mais nous sommes les demoiselles d’honneur de la princesse.
On ne passe pas !
Mais la princesse a peut-être besoin de nos soins.
Possible.
On dit qu’elle est malade.
Très malade… fectivement.
En bien, laissez-nous entrer… mon petit garde.
Mon petit garde.
Vous serez si gentil.
Si aimable !
Si charmant !
Si mignon !
Mon petit garde !…
Voyons ! laissez nous passer !…
Oui, oui, laissez-nous passer !
On ne passe pas !
Quel dommage ! j’aurais tant désiré voir la princesse !
Et moi donc !
Et nous donc !
Il parait qu’elle est tout à fait amoureuse… Il n’y a plus d’espoir.
Et c’est pour cela que le roi l’a fait enfermer ici ?
Dame ! il y a de quoi…
Est-ce qu’elle souffre beaucoup ?
Oh ! beaucoup… Figurez-vous un mal qui la rend à la fois gaie, triste, bavarde, silencieuse, douce et violente ; qui ne lui laisse pas un moment de repos, qui la fait rire, pleurer, crier, s’agiter…
Cela doit être affreux !
Mais tu l’as donc vue ?
Certainement, cette nuit, à travers la porte, pendant que les gardes dormaient.
Et que disait-elle ?
Ce qu’elle disait…
Elle disait : viens je t’implore TOUTES.
Viens près de moi !… FLAMMA.
Prince Caprice, je t’adore TOUTES.
Jamais que toi ! FLAMMA.
Et j’entendis jusqu’à l’aurore TOUTES.
Elle entendit jusqu’à l’aurore II
FLAMMA.
Nous serons bien heureux ensemble, TOUTES.
Son cher amant ! FLAMMA.
Mon cœur palpite, ma main tremble TOUTES.
Même en dormant ! FLAMMA.
Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte TOUTES.
Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte FLAMMA.
C’est tout ce qu’à travers la porte TOUTES.
C’est tout ce qu’à travers la porte |
Ah ! que c’est gentil !
Ah ! que c’est gentil !
Allons regarder !
Oui ! oui !…
On ne passe pas !
On ne passe pas…
Scène II
Eh bien ! qu’y a-t-il ?…
Ce sont ces demoiselles qui veulent forcer la consigne.
Oh ! les curieuses… cette pauvre Fantasia a pourtant bien besoin de repos… Enfin ça la distraira peut-être… (Aux dames.) Allez !… (Elles entrent chez Fantasia. Les gardes se retirent à l’exception d’un seul.) Au moins, a-t-on rattrapé ce petit gueux de prince Caprice ?
Non !… impossible de mettre le grappin sur lui…
Eh bien ! Cosmos doit être d’une jolie humeur. Ah ! le voici…
Scène III
Je suis furieux !
Moi aussi !
Pas tant que moi !
Plus que vous !
Je vous le défends !
C’est différent !
Votre fils est un drôle !…
Je ne dis pas le contraire.
Un polisson !
C’est mon avis.
Se permettre de rendre ma fille amoureuse !…
Ça n’a pas de nom !
Si je le tenais je lui ferais passer un mauvais quart d’heure.
Et que vous auriez raison ! (Très gaiement.) Seulement, vous ne le tenez pas.
C’est vrai… mes imbéciles de gardes n’ont pas pu le prendre… Ils ne m’ont ramené que ma fille.
Et lui, il a filé, c’est un malin ! (Lui tapant sur l’épaule.) Elle est bonne… Riez donc !
Heureusement que vous êtes là vous…
Hein ?
Si on ne le retrouve pas, vous paierez pour lui.
Moi !
Dame ! elle est bonne… Riez donc…
Ah ! non ! permettez…
Il faut que je fasse un exemple… Depuis hier ma fille est méconnaissable… Voulez-vous que je vous dise ce qu’il m’a forcé de faire votre fils, le voulez-vous ?…
Oui.
Il m’a forcé… (Voyant le garde, il l’entraîne au milieu.) il m’a forcé… vous allez frémir… il m’a forcé de convoquer les médecins… (Montrant la chambre de Fantasia.) Ils sont là en ce moment.
Ciel !
Ah ! nom de nom !
Les médecins ! les médecins, ici !…
Eh bien ! est-ce que ça n’arrive pas tous les jours ?
Tous les jours !…
Ah ça ! est-ce que vous croyez qu’on les laisse se promener dans les rues ?
Pour qu’ils répandent partout une foule de maladies !
Ah ! ben ! ah ! ben !
Pourtant, permettez… Puisque vous me dites qu’ils sont là…
Oui, parce que j’ai pris sur moi de les faire sortir et avec des précautions énormes.
Ils sont donc enfermés ?
Je vous prie de le croire !… dans un bâtiment cellulaire.
Où on ne va les visiter qu’avec une autorisation spéciale.
Eh bien ! vous avez une singulière façon de les traiter. Ce n’est pas comme chez nous. Ainsi, moi, j’ai une gastrite, eh bien ! dès que je sens un tiraillement, j’envoie chercher mon médecin, il déjeune avec moi et, au bout d’un quart d’heure, ça va mieux.
Il déjeune avec vous ?
Oui, et même il mange ce gaillard-là, il n’y a pas trois mois il s’est flanqué une indigestion ! J’ai été obligé de le soigner. Je lui ai fait du thé…
Ah ! vraiment vous recevez les médecins chez vous ?… Et vous leur serrez la main ?
Certainement.
Mais alors, ils doivent vous donner toutes les maladies qu’ils viennent de soigner ?
Non… ils nous en donnent d’autres, voilà tout. (Bruit de vaisselle cassée.) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça, c’est Fantasia qui casse mes porcelaines… Encore une crise de nerfs.
Scène IV
Je suis nerveuse, |
Voyez ! la malheureuse !… dans quel état !…
Scène V
Seigneur ! seigneur ! si vous saviez !…
Quoi donc ?
La princesse…
Eh bien ?
Elle vient de gifler la faculté !
Tu as fait ça… toi ?
Oui… oui… j’ai fait ça, moi…
Et tous les médecins se sont sauvés !…
Les médecins en liberté ! Nous voilà bien !… mais ils vont se répandre dans la ville !…
Quelle catastrophe !
Il faut les rattraper ! Allons, courons.
Scène VI
Ah ! ah ! ah ! m’envoyer des médecins pour me soigner, me guérir… comme s’il pouvait y avoir pour moi un autre médecin que…
Fantasia !
Caprice ! vous ici !
Silence !… Oui, Microscope et moi, nous sommes parvenus à nous cacher.
Chez qui ?
Chez les gendarmes.
Hein ?
Oui, naturellement ils nous cherchent partout excepté chez eux. Pendant ce temps, moi, j’ai trouvé un moyen infaillible de désarmer votre père.
Est-il possible !
Quel est le crime qu’il nous reproche ? — c’est d’être amoureuse… par conséquent, s’il devenait amoureux à son tour, il n’aurait plus rien à dire.
C’est vrai.
Eh bien ! cette pomme qui a éveillé votre cœur, je suis parvenu à en extraire un élixir d’un certain effet. (Il lui montre une fiole.) Le voici… il faut que le roi en boive, et nous serons sauvés !
Oui, mais comment ?
Je ne sais pas… mais soyez tranquille, je trouverai bien un moyen, et avant qu’il soit longtemps…
Ah ! le voici ! cachons-nous.
Scène VII
Enfin ! On a pu les rattraper tous.
Oui, excepté un petit… mais il n’est pas bien dangereux.
Et vous pouvez bien dire que c’est à moi que vous le devez… si je n’avais pas été là… Je vous ai donné un fier coup de main… Ah ! C’est qu’un médecin ne me fait pas peur !…
Oui, mais avec tout ça, voilà une consultation qui n’aura servi à rien.
Comme toutes les consultations, du reste…
Cette pauvre Fantasia est bien décidément incurable… Et le pis, c’est que j’ai peur que son contact ne gâte toutes mes autres femmes.
C’est si susceptible, les femmes !
Aussi mon parti est pris… je vais m’en défaire…
Comment ! vous en défaire ? vous allez la…
Non… je vais la vendre.
Comment, la vendre ?
Au marché… c’est l’habitude… Quand une femme a cessé de plaire, on la vend.
Me vendre !
Eh bien ! vous avez de drôles de mœurs, vous.
Personne ne sait ce qui lui est arrivé ; en me dépêchant j’en trouverai encore un bon prix.
On ne perdra pas trop dessus.
Allons ! il s’agit de la préparer à cette séparation douloureuse. Viens avec moi, Cactus.
Scène VIII
Me vendre, c’est une indignité ! oh ! je m’y opposerai…
Au contraire, ma chère Fantasia, il faut laisser faire…
Caprice ! la princesse !
Oh ! ne t’étonne pas, nous n’avons pas le temps… (À Fantasia.) Quant à vous, ma chère Fantasia, ne vous inquiétez pas, et laissez-moi agir.
Comment ?
On va vous vendre, mais c’est quelqu’un à moi qui vous achètera… De mon côté, je serai au marché, et grâce à mon élixir je vous réponds de Cosmos… Rentrez vite, tout va bien !… (À Vlan.) Et toi, viens avec moi…
Où m’emmènes-tu ?
Au marché !…
Comment, au marché !… mais explique-moi…
Nous n’avons pas le temps ! viens… (Il l’entraîne.) À nous deux, mon bon Cosmos !
Scène PREMIÈRE
CHŒUR.
C’est le marché, |
Place ! place ! TOUS.
Regardons, REPRISE DU CHŒUR
C’est le marché |
J’achète !
Je vends !
Quel vacarme, mon Dieu !… c’est à devenir fou !… oh ! la spéculation ! la spéculation !… La plaie de notre époque…
Circulez, messieurs, circulez !
Cent quinze femmes fin courant, avec prime, j’offre !…
Je prends !
Cinquante ! avec report !
Cent ! je liquide !
Circulez ! que diable ! vous avez bien le temps de vous ruiner !
Les cent quinze femmes, fin courant !…
Je les reprends ! je les reprends.
C’est la hausse… c’est la baisse… vingt pour cent !… Impossible !… ah !… oh !… liquidons, vendons,… etc.
Circulez ! circulez !…
Scène II
Faites donc attention !…
Pardon… (À part.) Ouf ! j’ai couru… C’est qu’il s’agit de reconnaître les lieux… Mon jeune maître m’a chargé de venir acheter la princesse Fantasia… C’est une mission délicate et qui demande à être conduite avec précaution… Voyons… (Allant au bourgeois.) Un mot, s’il vous plait ?…
Je vous écoute, monsieur.
Il a une bonne tête, ce bourgeois… (Haut.) Où suis-je ici ?
Où vous êtes ? (Cris.) Malheureux, vous ne le voyez donc pas ? Mais vous êtes dans l’antre de la spéculation ! vous êtes à la Bourse.
À la Bourse ?
Et voici la corbeille ! Ah ! la spéculation ! la spéculation ! La plaie de notre époque. (Les cris recommencent.) Là ! les entendez-vous ?
Comment, c’est la Bourse, où l’on se dispute comme ça !… ah ! sapristi ! je me suis trompé alors… Moi qui cherchais le marché aux femmes…
Eh bien, vous y êtes…
Mais vous venez de me dire…
La Bourse ou le marché aux femmes, c’est tout un…
Monsieur, bien obligé ! (À part.) Comment c’est sur les femmes qu’on spécule… Drôle de valeur… Enfin, j’en connais de plus mauvaises…
Voilà encore un pauvre niais qui va se faire plumer… oh la spé…
Ô mon Dieu, monsieur, qui est-ce qui arrive donc là-bas ?
Qui ? parbleu ! c’est le fameux Quipasseparla, le roi de la Bourse !
Scène III
Le prince Quipasseparla ! Accourez, je n’vous dis que ça ! |
(Parlé.) Oh ! les femmes !…
J’en vends, j’en achète, |
Bravo ! bravo !…
Ah ! mes amis ! quelle journée ! quelles émotions !… Je viens de boire un de ces bouillons !… Ce matin, je me dis : il y a quelque chose à faire avec les femmes bleues… j’achète, j’achète, et puis, patatras ! Une baisse formidable… Elles sont à rien, les femmes bleues ! On les donne !… c’est à mourir de rire ! ah ! ah ! ah !
Ô cynisme !…
Heureusement, j’ai de quoi me refaire… je viens d’apprendre que dans quelques instants on va mettre en vente la charmante princesse Fantasia.
Comment !
Un objet unique, une occasion hors ligne, c’est tout à fait mon affaire. Ah ça ! j’espère que personne ne s’avisera de me la disputer ?
Parbleu !…
Un concurrent ! Fichtre… comment faire pour… (Allant à Quipasseparla.) Pardon, monsieur, vous dites que vous venez pour acheter la princesse Fantasia…
Oui…
Et vous y tenez beaucoup à la princesse ?
Sans doute… Pourquoi ?
C’est que si vous n’y aviez pas tenu spécialement, je vous aurais prié…
De quoi ?
De me la laisser… j’ai ordre de l’acheter à tout prix… Alors, vous comprenez, nous allons nous contrecarrer l’un l’autre bien inutilement… Il vaudrait peut-être mieux s’entendre.
Ah ! bah !… Voilà un individu dont il faut que je me débarrasse ! (Haut.) Mais comment donc, cher monsieur, du moment que cela peut vous obliger…
Alors vous consentez ?
À m’entendre avec vous, mais pourquoi pas ?… Du moment que cela peut vous être agréable… Venez donc, prendre quelque chose… nous causerons de cette affaire-là…
Volontiers.
Toi, si tu es ici pour la vente, tu auras de la chance !
C’est un bon enfant, ce Quipasseparla.
Oh ! des charlatans !…
Des charlatans, à la Bourse !… c’est impossible !
Scène IV
Ah ! quelle musique
Magnifique !
Quel bataclan
Retentissant !
Ohé ! ohé ! les badauds !… Tous écoutez I
Ce n’est pas pour l’appât vulgaire II
À peine au sortir du collège, |
Bravo ! bravo !
Caprice, tu n’es pas raisonnable… moi, ton père, me forcer à jouer le rôle d’un simple Vert de Gris ! Si l’on me voyait de là-bas.
Tais-toi donc, papa, il le faut. En avant la musique. (À part.) Je ne vois pas encore Cosmos… il ne tardera pas. (Bas à Vlan.) Comment les occuper ?
Laisse-moi faire. (Haut.) Maintenant, mesdames et messieurs, permettez-moi d’appeler votre attention sur une découverte aussi précieuse qu’utile… Depuis que je suis sur le trô… (Se reprenant.) depuis que j’exerce sur les places publiques, (À part.) un peu plus j’allais me couper ! (Haut.) depuis dis-je, que j’exerce sur les places publiques, je n’ai encore rien vu de semblable… Avez-vous un vieux chapeau ? oui, n’est-ce pas ? (Désignant le bourgeois qui est au milieu de la foule.) J’aperçois justement monsieur qui en a un d’une malpropreté repoussante… Passez-moi le chapeau de monsieur !…
Mais…
Horrible, votre chapeau, monsieur… je ne comprends pas que vous osiez sortir avec un chapeau pareil.
Monsieur !…
Enfin, n’importe… pour quatre francs, je vous en rendrai un neuf. Passez-moi les quatre francs de monsieur…
Mais…
Passez moi les quatre francs de monsieur !… (On fouille le bourgeois et on lui prend de l’argent qu’on fait passer à Vlan.) Merci… À présent regardez bien ce que je fais du chapeau… (Il l’aplatit, le déchire et le foule aux pieds, après quoi il le rend gracieusement au bourgeois.) Monsieur…
Mais ce n’est plus un chapeau !… vous m’en aviez promis un neuf.
Un neuf… c’est juste… (Tirant un œuf de sa poche.) Un œuf à monsieur, voilà.
Ah ! le charlatanisme !…
Ah ! j’aperçois, Cosmos… à mon tour ! (Haut.) Allez la musique !
Scène V
Tiens ! des charlatans !…
Avant de prendre congé de vous, mesdames et messieurs, il nous reste à vous présenter une eau magique, incomparable, inestimable, inappréciable et complètement inconnue jusqu’à ce jour… (Vlan accompagne tous ces adjectifs d’un roulement de tambour. — Caprice continue.) Cette eau, mesdames et messieurs, possède toutes les propriétés, toutes les vertus, toutes les qualités. Elle guérit les rhumes de cerveau, les rages de dents et les cors aux pieds. Elle ôte les taches, remplace le cirage, et fait couper les rasoirs… elle fait pousser les cheveux et tomber la barbe ou pousser la barbe et tomber les cheveux, à volonté. Elle fait engraisser les gens maigres et maigrir les gens gras.
Maigrir…
Maigrir !
Enfin, elle fait tout, elle sert à tout, elle est bonne à tout…
À tout !…
Malheureusement, il ne m’en reste qu’une bouteille… cette bouteille, vous comprenez bien que je ne veux pas la vendre, je la donne… mais à qui la donner ?
À moi ! à moi !
Un instant ! ne parlez pas tous à la fois !… À qui la donner cette bouteille ? Un roi seul est digne de posséder un pareil trésor…
Oui, un roi seul !… y a-t-il un roi dans la société ?
Un roi… présent !…
Si j’avais eu trente-cinq grammes de plus !
Très bien, passons la bouteille à monsieur.
Tiens ! c’est gentil… ça a une couleur. (À Caprice.) Est-ce que ça se boit ?…
Goûtez-en ! Goûtez-y ! et vous m’en direz des nouvelles…
Voyons…
Allez la musique !…
Eh bien ?
Eh bien ! oui, c’est assez… c’est même très…
Encore ?… Allez la musique !…
Donnez-m’en un peu.
Non, c’est trop bon ! (Changeant de ton.) Ah !
Quoi ?
C’est étrange, on dirait que… (Avec un grand cri.) Ah ! ah ! (Portant la main à son ventre.) Je suis empoisonné !…
C’est bien fait.
Ah mais !… ce n’est pas l’effet que j’ai voulu produire !…
Je crois bien !… c’est tout simplement le cidre que tu as inventé là !…
Du cidre ? c’est vrai !… Nous voilà bien…
Veux-tu que je te dise ? Nous n’avons plus qu’à déguerpir. (Haut.) Mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier. Si vous avez été contents, envoyez-nous vos familles.
Scène VI
Adieu notre compagne, FANTASIA
Ô doux espoir ! REPRISE
Adieu notre compagne, CACTUS.
Qu’on fasse silence, TOUS.
La vente commence ! POPOTTE, montrant Cactus.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, CACTUS.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, LE BOURGEOIS.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, Désignant un autre. C’est lui qui va présider le marché. |
C’est lui !
C’est lui !
Mais où est donc le commissaire ? TOUS.
Le voici, le commissaire ! POPOTTE.
Venez, monsieur le commissaire : TOUS.
D’être commissaire priseur ! |
La princesse que voilà, CACTUS.
Messieurs, faites votre prix ! UN ACHETEUR.
Trois pièces d’or ! LE COMMISSAIRE.
Monsieur veut rire. UN AUTRE.
J’en donne quatre ! UN AUTRE.
Cinq ! LE COMMISSAIRE.
|
C’est vraiment beau ! très beau ! PREMIER ACHETEUR.
Dix. DEUXIÈME ACHETEUR.
Vingt. TROISIÈME ACHETEUR.
Trente. QUATRIÈME ACHETEUR.
Quarante. PREMIER ACHETEUR.
Quarante-cinq. TROISIÈME ACHETEUR.
Cinquante. CACTUS.
Nous avons marchand à cinquante ! LE COMMISSAIRE.
À cinquante. QUATRIÈME ACHETEUR.
Cent. TROISIÈME ACHETEUR.
Deux cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Trois cents. PREMIER ACHETEUR.
Quatre cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Cinq cents. TROISIÈME ACHETEUR.
Six cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Sept cents. PREMIER ACHETEUR.
J’en donne mille. |
Ah ! l’imbécile CACTUS.
Nous avons acheteur à mille ! QUIPASSEPARLA, au dehors.
Qu’on arrête la vente ! CACTUS.
Eh bien ! voyez la dame… QUIPASSEPARLA.
Elle est charmante ! FANTASIA, à Quipasseparla. — Bas.
Vous êtes envoyé par lui ? QUIPASSEPARLA.
Qui lui ? FANTASIA.
Vous savez bien. QUIPASSEPARLA.
Oui, oui ! FANTASIA.
Vous allez me conduire à lui ? QUIPASSEPARLA.
Qui lui ? FANTASIA.
Toujours le même ! QUIPASSEPARLA.
TOUS.
Dix mille pièces d’or ! QUIPASSEPARLA.
Dix mille pièces d’or : |
Personne ne dit mot ?
Personne ne dit mot ?
Adjugé ! QUIPASSEPARLA, allant à Fantasia.
FANTASIA.
Partons promptement. QUIPASSEPARLA.
Pardonnez-moi car le temps presse, TOUS.
Il a raison il a dit vrai, QUIPASSEPARLA.
Je cours, je me dépêche, TOUS.
Il a raison, il a dit vrai : |
Quipasseparla sort vivement, emmenant Fantasia. Tout le monde les suit.
Scène PREMIÈRE
Par ici ! par ici… Nous allons nous arrêter quelques instants dans cette auberge. (Aux dames.) Dépêchez-vous d’aller vous reposer, car nous n’avons pas beaucoup de temps. C’est aujourd’hui même que l’hiver doit succéder à l’été, tout à coup et sans crier gare… et, si les almanachs disent vrai, comme c’est leur habitude, le froid sera terrible cette année… Il se peut que d’un instant à l’autre il fasse cinquante degrés au-dessous de zéro. Il s’agit donc de ne pas se laisser surprendre. Entrez là et attendez-moi ; je vais prendre les précautions nécessaires pour continuer notre route.
Comment, nous allons nous arrêter ici ? mais je m’y oppose !… Je ne m’arrêterai que lorsque nous aurons rejoint Caprice.
Écoutez, ma belle enfant, je me reprocherais de vous laisser plus longtemps dans l’illusion. C’est pour moi que je vous ai achetée.
Pour vous !
Oui, pour moi, pour ma collection, dont vous allez faire le plus bel ornement, adorable princesse !
Ah ! c’est indigne ! Mais je vous échapperai, je saurai bien trouver le moyen de fuir, de le rejoindre… Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu !…
Bah ! bah ! cela se passera. Entrez toujours là… Et maintenant je vais m’occuper des préparatifs.
Scène II
Que d’aventures, mon Dieu ! que d’aventures ! Ce gueux de Quipasseparla !… Ah ! si je le rattrape !… Il m’avait endormi… J’arrive au marché… Crac ! tout est fini ! La princesse vendue, enlevée !… Je veux rattraper mon voleur… Patatras ! qu’est-ce que je rencontre ? la reine Popotte. Dans quel état ! Cosmos avait bu le fameux élixir. D’abord, il parait que ça lui a fait un effet… Enfin un drôle d’effet !… Mais la pomme ne perd jamais ses droits… Le malheureux est devenu amoureux de sa femme… et pour se faire comprendre d’elle il l’a fait boire aussi… Ça a été un coup de foudre… Seulement à ce moment-là, j’arrivais et c’est à mon cou qu’elle s’est jetée… Quelle situation ! moi qui cours après mon filou, la reine qui court après moi et le roi qui court après la reine !… Ah ! la voici… quel ennui !… Car c’est curieux ; je l’aimais cette femme, elle ne m’aimait pas. Elle m’aime, je ne peux plus la souffrir… Ô cœur humain !…
Scène III
Enfin, vous voici, mon ami… (Se pendant à son bras.) Nous ne nous quitterons plus !
Hein ?… (Haut.) Permettez, madame… Je comprends la passion que je vous inspire… Elle me flatte, mais elle me gêne. Raisonnons… Vous avez un mari.
Je ne l’aime pas !
Je le comprends, mais votre devoir est de l’aimer.
Il est laid !
Je le sais, mais votre devoir est de le trouver beau.
Eh ! le devoir ! Que m’importe le devoir ! c’est vous que j’aime, c’est vous que je trouve beau et je ne vous quitterai plus !…
Oui, j’aime, enfant, ton doux sourire, II
Quand tu me touches, je frissonne, |
Oh ! les chaînes ! les chaînes !…
Scène IV
Voyons !… Grosbedon, aubergiste… Nous sommes dans une auberge.
Le prince ! sapristi !…
Microscope ! ah ! te voilà, toi !… Eh bien ! tu as joliment travaillé ! tu as laissé acheter Fantasia par un autre !
Mais, prince, ce n’est pas ma faute ; on m’avait endormi.
Oh ! ne l’accusez pas !
Heureusement que j’ai pu retrouver ses traces… Elle est dans ce pays, j’en suis sûr. Allons, papa…
Un instant ; j’ai faim, je suis éreinté. Voilà une auberge, je m’installe.
Tu n’y penses pas ! quand Cosmos est à nos trousses !…
Ah ! mais, dis donc, je ne suis pas de fer ! Ohé ! l’aubergiste !
Scène V
Que désirent ces messieurs ?
Oh ! ces ventres, Croscope…
Oh !
Que nous sommes bêtes !… On nous a prévenus… c’est ici dans le pays des ventrus…
Mais oui !… le pays où on choisit les rois de la lune !… Tout s’explique alors… cette végétation truculente…
Cette architecture ventripotente…
Le pays des ventrus !
Regarde donc celui-là ; ce doit être Grosbedon.
En personne.
Dites-moi, mon brave homme, vous n’auriez pas vu un homme qui voyage avec une troupe de femmes ?
Quipasseparla, le fameux collectionneur ? justement !
Mon filou ! il est ici !
Oh ! papa ! oh ! Microscope !… elle est ici…
Qui ça ?
Fantasia.
Ça m’est égal… allons à la cuisine d’abord… Allons l’aubergiste.
Scène VI
Elle est ici !… Pourvu qu’elle entende ma voix. Fantasia ! Fantasia !
Cette voix ! c’est lui !…
Fantasia !
Caprice !
Ils s’embrassent, Microscope !
Non ! madame ! non ! ils ne s’embrassent pas…
Ah ! Microscope ! vous ne m’aimerez donc jamais ?
Si ! peut-être !… quand vous ne m’aimerez plus !…
Allons, allons, ne nous arrêtons pas. Cosmos doit être sur nos traces, il faut fuir.
Fuyons !…
Fuyons !… (Caprice et Fantasia sortent gaiement, voyant que Microscope ne bouge pas.) Eh bien ! Microscope !
Oui, madame. J’attends le roi et je vous suis.
À bientôt, alors ?
À bientôt !… (Elle sort. — Resté seul.) Oui… compte là-dessus !
Scène VII
Merci ! merci ! je porterai bien ça tout seul (En scène.) Ils ont une drôle de façon de nourrir ici… Je n’ai trouvé que des hannetons à la broche… enfin pourvu que j’aie de quoi me soutenir… Eh bien ! où sont les autres ?…
Ils ont filé, nous ferons peut-être bien d’en faire autant…
Avant d’avoir dîné ! jamais !
Qu’est-ce que c’est que ça ? (Il regarde au fond.) Ah ! grand Dieu ! Cosmos…
Oui, le roi qui cherche des fugitifs et qui passe tous les habitants en revue, maison par maison…
Ah ! sapristi.
Filons !…
Ah ! par ici des gardes ! Par là, des gardes ! encore des gardes, partout des gardes !
Nous sommes cernés.
Mais dans ce pays de ventrus on va nous reconnaître tout de suite.
Viens ! j’ai une idée… (À Grosbedon.) Suivez-nous, l’aubergiste…
Ils rentrent dans l’auberge. — Arrivent Cosmos et Cactus avec des gardes.
Cactus !
Grand prince !
Combien de pulsations ?
Quatre cent quinze, grand prince !
Horrible !… oh ! les gueux ! dans quel état ils m’ont mis avec leur élixir !… Mon sang bouillonne, ma tête éclate… j’aime ma femme à présent… Et elle m’a quitté pour ce Microscope… Ô Popotte ! il faut que je te retrouve et que je me venge !…
Grand prince !
Eh bien, malheureux ! que fais-tu ? Cette bouteille…
Oh ! moi, ça ne me fera rien… c’est pour maigrir !…
Nature calme !… enfin… on a exécuté mes ordres ? le pays est cerné ?
Oui, grand prince !
Très bien… il ne nous reste plus que cette auberge à visiter… S’ils y sont, ils ne m’échapperont pas… seulement nous n’avons pas de temps à perdre, car nous approchons de l’hiver et il s’agit de les rattraper le plus vite possible… Dans ce pays de ventres ils ne seront pas difficiles à pincer… Holà, les gens de l’auberge !…
Nous voici, grand roi !
Commençons l’inspection. (À Cactus.) Je t’autorise à m’aider dans mes recherches !
Que de remerciements !
Tous les ventrus se sont rangés sur une ligne pour l’inspection.
Allons (À Grosbedon.) allons, approchez-vous…
Avec plaisir. (Cosmos lui donne un vigoureux coup dans le ventre, celui-ci raisonne comme un tonneau vide.) Oh ! le son est bon… à un autre !
À mon tour. (Un ventru s’approche de lui, frappant de toutes ses forces) Oh !
Tu t’es fait mal ?… À un autre !…
La revue continue.
Scène IX
Vlan et Microscope se sont travestis d’une façon burlesque… Ils ont de fausses barbes et des ventres monstrueux.
Glissons-nous dans la foule, je te dis qu’ils ne nous reconnaîtront jamais.
C’est égal, je ne suis pas rassuré, mon ventre me gêne.
Tu t’y feras… surtout du sang-froid et de l’aplomb !
Oh ! oh ! voilà deux solides gaillards !
N’est-ce pas ?
Il tousse.
Quel creux ! (À Vlan.) Vous n’avez rien à déclarer ?
Quelques cigares, voilà tout…
Approchez-vous.
Voilà le moment. (Cosmos frappe.) Oh !
Quoi ?
Rien…
Au petit… ah ! il est moins solide.
Oh ! oh ! c’est à moi…
À ton tour… frappe !…
Tiens ferme.
Mon Dieu ! mon ventre !
Eh bien ?
Il glisse !
Rattache-le.
Attendez.
Oh ! pas de ça !
Pas de ça !
Microscope se débat, sa ceinture se déroule, un oreiller s’en échappe.
Qu’est-ce que c’est que ça ? un oreiller !…
Du faux !
Imbécile !
Et celui-là ! (Il lui arrache sa barbe.) Vlan !! c’est Vlan ! Enfin ! nous les tenons !
Ô rage !
Ô désespoir !
Et votre fils ? et ma femme et ma fille, qu’en avez-vous fait ?
Ah ! eux ! Ils sont loin, par exemple !
Comment loin ?
Qu’y a-t-il ?
Grand prince !… il est temps de défiler… le vent s’élève, et dans un instant, nous allons être surpris par la neige.
La neige !
Comment, la neige ?
Oui, l’hiver qui succède à l’été…
Si vite que ça !
Mais certainement !
N’importe ! Nous ne rentrerons pas avant d’avoir repris le prince et la princesse.
Oh ! vous ne les rejoindrez pas !
C’est ce que nous verrons ! (À ses gardes.) En avant !
En avant.
Courons à leur poursuite,
Il faut les rattraper,
Courons, oui, courons vite
Ou bien ils vont nous échapper !
Scène X
QUIPASSEPARLA.
Les voici. (Bis.) COSMOS.
Ah ! que viens-je d’entendre ? QUIPASSEPARLA.
Et quant à la princesse, POPOTTE, FANTASIA et CAPRICE, entrant.
Ah ! nous sommes transis, CAPRICE.
Pauvre Fantasia ! COSMOS.
Chère Popotte, te voilà ! La neige commence à tomber.
CAPRICE, frissonnant.
Il neige ! il neige ! FANTASIA.
Bon ! la neige, à présent ! CHŒUR.
Il neige ! il neige ! VLAN.
La neige à présent ! CHŒUR.
Il neige ! il neige ! CAPRICE.
COUPLETS
Il neige ! I
La fâcheuse aventure ! FANTASIA.
Brrr ! brrr ! brrr !… TOUS.
Il neige ! La neige, CAPRICE.
II
Doucement je veux prendre TOUS.
Il neige ! COSMOS.
Allons, partons, sans plus attendre CHŒUR.
Il s’agit de nous en aller. COSMOS.
Vite au palais, il faut nous rendre CHŒUR.
Si nous voulons ne pas geler. TOUS, grelottant.
Brrr ! brrr ! brrr ! brrr ! |
ACTE QUATRIÈME
Scène PREMIÈRE
Allons ! que chaque fillette,
Ici tende son panier !
Achevons notre cueillette,
Dépouillons chaque pommier !
Ces fruits si bons, ces fruits charmants CHŒUR.
Mordons-y tous à pleines dents ! ADJA.
En avant, garçons et filles ! TOUTES.
En avant, garçons et filles, II
FLAMMA.
Aujourd’hui, nous savons charmer, CHŒUR.
La femme est faite pour aimer ! FLAMMA.
En avant, garçons et filles !… |
Ah ! que c’est bon de croquer des pommes ! Il me semble que je n’étais née que pour ça…
Et moi aussi… j’en croquerais tout le temps !
Et moi donc !…
Et moi ! et moi !…
Qui en veut encore ? j’en ai plein mon panier…
Moi ! moi !
Allons ! ça marche ! ça ! marche !
Vous trouvez !… quand Caprice est en prison…
Oui, avec mon cher Microscope… mais ça ne fait rien, j’ai bon espoir.
Comment cela ?…
Innocente, qui n’a pas compris !… c’est pourtant bien simple… L’obus arrivé de la terre contenait encore des pommes en quantité… La curiosité des femmes a fait le reste… elles ont dévalisés l’obus et maintenant les pommes ont produit des pommiers, les pommiers ont produit des pommes et les pommes ont produit — ce que vous voyez…
Eh bien ?
Eh bien ! maintenant que nous avons les femmes pour nous, nous pouvons être tranquilles.
C’est vrai… quel bonheur !…
Scène II
Que vois-je !
Le roi !
Le roi !
Papa !
Que signifie tout cela ? Répondez, madame ! répondez, mesdemoiselles !…
Oh ! mon Dieu, c’est bien simple, ces demoiselles et nous…
Nous cueillons des pommes.
Des pommes ! Et l’on chante !… et l’on s’embrasse !…
Dame ! c’est si gentil !
Oh !
Qu’est-ce qui a dit : c’est si gentil ?
Moi !
Moi !
Moi !
Moi !…
Ne nous grondez pas…
Mon bon Cosmos.
Mon bon petit Cosmos !
Cristi ! sont-elles jolies…
Mon ami…
Son ami… ah !
Cela ne vous tente donc pas ?
Oh ! si ! oh ! si !… Mais je lutte, madame, je lutte !… oh ! cela me coûte beaucoup, mais je suis roi avant d’être homme, et mon royaume est mis en danger par le fléau… À tout prix, je veux l’endiguer, et je l’endiguerai !…
Mais…
Je l’endiguerai, mademoiselle !… Et, pour commencer, je vais faire un exemple… Les trois misérables qui sont cause de tout le mal vont être extraits de leur prison, et on va les juger à l’instant.
Les juger !
Ah !
Ici même, sous ces arbres, qui témoignent de leur crime.
Ah !
Mon Dieu !
La cour !
Les voici, on les amène.
Scène III
puis VLAN, MICROSCOPE et CAPRICE.
Voici le tribunal,
Il est joyeux, original,
D’humeur bouffonne,
Et folichonne,
Allons y donc gaîment
D’un petit jugement !
Les accusés !
Vous entendez ?… les accusés… Ah ! je suis bien inquiet…
Pas moi… je te dis qu’il y a malentendu, et voilà tout… Il n’est pas possible qu’entre confrères… je vais dire deux mots à Cosmos, et…
Ah ! papa, elle est là !
Caprice !
Fantasia !
Mon Microscope !
Oh ! merci !
Huissier, faites faire silence.
Silence !
Asseyez-vous !
Tout va s’arranger… parle papa.
J’ai deux mots à dire à mon collègue… (Se levant et se dirigeant vers lui.) Mon cher Cosmos…
Parlez-moi de votre banc.
Ah !… de mon banc, humiliation ! (Il s’assied.) Mon cher Cosmos… j’ai une proposition à vous faire…
Avantageuse pour tout le monde.
Vous allez voir que tout peut s’arranger.
Parlez…
Après tout, que s’est-il passé ?
Rien du tout.
Absolument rien.
C’est vrai !
Taisez-vous, ma fille ! (À Vlan.) Ah ! vous trouvez ça, vous ?
Il a fait son devoir de jeune homme.
Rien de plus.
Mais il est prêt à en subir les conséquences, et j’ai l’honneur de vous demander la main de votre fille pour mon fils.
Ah !
Bravo, papa.
Bravo ! bravo !
Allez vous asseoir.
Je vous l’avais bien dit, l’affaire est arrangée, il accepte.
Je ne répondrai même pas à une proposition dont messieurs les juges ont sans doute déjà apprécié la haute inconvenance…
Hein ! voyons, mon cher collègue…
Taisez-vous et commençons.
Ah ça ! on va donc vraiment nous juger ?… sous des pommiers ?
Et au milieu de toutes ces petites femmes.
Ce n’est pas sérieux !… ce n’est pas sérieux !
Vous allez voir !… Commençons !…
Un instant ! on ne peut pas nous juger, nous n’avons pas d’avocat.
Rassurez-vous, vous en aurez un.
Oh ! mais, nous ne voulons pas du premier venu.
Ne craignez rien. On vous donnera le meilleur… Il n’y en a qu’un. Ainsi…
Comment ! Il n’y a qu’un avocat dans la lune !
Allons donc !
Ah ça ! est-ce que vous croyez qu’on va laisser les avocats pulluler ici ?… ce serait trop dangereux… Et si même on pouvait ne pas en avoir du tout…
Ça, c’est assez juste…
Mais a-t-il du talent, au moins, votre avocat ?
Un talent énorme. Il est d’une éloquence… du reste, vous le connaissez, c’est…
Monsieur l’avocat !
Ah ! le voici ! (Entre Cactus.)
Comment ! Lui ?
Scène IV
Pardon ! je suis un peu en retard…
Lui avocat !
Un homme qui ne parle jamais !
Oui, dans la vie privée.
Je me ménage.
Voyez-vous ça !
Comme il cachait son jeu ! Eh bien, nous allons vous expliquer notre cause en deux mots…
Inutile… je n’étudie jamais mes affaires.
À la bonne heure, il est franc, il l’avoue, lui !…
Maintenant, nous pouvons commencer. (À Cactus.) La parole est à la défense.
Dites donc, soyez éloquent…
N’ayez pas peur… (Mouvement d’attention prolongé, avec la plus grande volubilité.) Messieurs, la rapidité, la spontanéité, et la volubilité de ma parole alerte et vertigineuse suffiront à peine pour énoncer dans tous ses points, creuser, scruter, disséquer les phases extraordinairement multiples et ondoyantes de cette cause qui vous passionne, vous remue, vous excite et vous émeut ! (Bravos dans la foule. Il s’essuie le front et reprend.) Au moment d’aborder un pareil sujet, je l’avouerai moi-même, messieurs, je suis ému, bien ému…
C’est magnifique !
Quel talent ! Il n’en a jamais tant dit.
Grand orateur, merci !
Oui, je suis bien ému, car j’en ai la conviction intime, mes clients ne sont pas coupables, et je le prouve.
Ah ! Il le prouve… écoutez ceci.
C’est assez !
Comment c’est assez ?
Je le prouve.
Je vous dis que c’est assez… regardez donc votre sablier, vous avez fini votre temps.
Ah ! pardon… c’est juste… plus de sable, je m’arrête… (Il quitte sa place.) La loi est formelle…
Comment, comment… c’est une mauvaise plaisanterie, votre sablier.
Une très mauvaise plaisanterie.
Maintenant la parole est à l’accusation.
Messieurs…
Hein ! permettez !
Il y a erreur.
Monsieur est notre avocat.
Eh bien ?
Eh bien, il vient de nous défendre, il ne peut pas nous accuser…
Au contraire… il n’a qu’à retourner son plaidoyer… (À Cactus.) Vous pouvez commencer.
Messieurs, ce que vient de dire mon honorable contradicteur est absolument faux, et je le prouve…
Hein ?…
Les trois misérables que vous voyez devant vous ont mérité les supplices les plus affreux, et c’est avec confiance, messieurs les juges, que j’appelle sur eux toute votre impartiale sévérité…
Non ! je ne permettrai pas ça ! C’est monstrueux !
On ne se conduit pas comme ça !
Je ne reviendrai plus me faire juger dans la lune !…
Ah ! vous n’êtes pas contents ! Eh bien ! soit, je clos les débats, et je prononce le jugement moi-même.
Comment ! sans délibération !
C’est inutile, il était fait d’avance… (Lisant.) Attendu que… etc, etc. La peine de mort n’existant pas dans la lune…
C’est toujours ça…
« Les nommés Vlan, Caprice et Microscope ne sont condamnés qu’à passer cinq ans dans l’intérieur d’un volcan éteint. »
Fichtre !
C’est raide !
Enfin, heureusement qu’il est éteint.
« Où ils seront absolument privés de toute espèce de nourriture. »
Comment, privés de nourriture !
Et vous dites que la peine de mort n’existe pas ?
Oui… Mais c’est un biais.
Oh ! Caprice, je ne t’abandonnerai pas !
Mon Microscope, je te vengerai.
Qu’on emmène les prisonniers !
Scène PREMIÈRE
Entrez là… Tout à l’heure on va vous descendre.
Nous descendre !
Il dit cela tranquillement, lui…
Et par où nous descendra-t-on ?
Par là… Voici le système.
Ah ! oui ! j’aperçois la mécanique… Voyons… C’est que ça me connaît, les mécaniques…
Dieu ! que c’est profond !
Oui… et voilà le panier qui va nous mener en bas. Vois-tu le panier ?… (Se retournant vers le garde.) Merci, mon ami… c’est très gai, tout ça…
Vous avez cinq minutes pour vous recueillir…
Scène II
Eh bien ! mes enfants, recueillons-nous…
Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! quel avenir !
Ma carrière brisée !…
Voyons, voyons, papa, un peu de courage… Fais comme moi, du moment que je ne puis pas avoir Fantasia, tout m’est égal, et, ma foi, à tout prendre, je ne serai pas fâché de voir un volcan.
Oui, mais voir un volcan pendant cinq ans.
Et sans aucune espèce de nourriture.
Bah ! nous nous y ferons peut-être…
Ô désespoir !
Ô abîme de désolation !
Pourquoi sommes-nous venus dans la lune ?
C’est ta faute…
Comment !
Certainement, c’est toi qui as inventé le canon.
Mais permettez…
Tais-toi, ta seule excuse, c’est que tu n’as pas inventé la poudre…
Allons ! allons ! Pourquoi récriminer… Après tout, je ne regrette pas d’être venu ici, moi, cela nous a fait voir du pays…
Un joli pays…
Et des femmes.
Parlons-en, des femmes !… tu vois où elles nous ont menés…
Oh ! j’aime encore mieux celles de la terre… (À part.) Ô Cascadine ! Cascadine ! comme elle doit s’ennuyer là-bas… Sans compter que sa tante n’est peut-être plus malade… Elle n’a plus rien à faire. (À ce moment, on entend une sonnerie. — Avec un cri.) Ah ! une dépêche !
Une dépêche…
Qu’est-ce que tu nous chantes ?…
Oui, une dépêche d’elle, de Cascadine… car vous ne savez pas, j’ai une petite liaison, sur terre, une artiste lyrique.
À ton âge !
Eh bien ?
Eh bien ! pour ne pas être tout à fait séparé d’elle, j’avais emporté un petit appareil télégraphique.
Tu avais un télégraphe dans ta poche et tu ne me l’as pas dit, animal ! Nous aurions pu avoir des nouvelles… Voyons, ta dépêche ?
C’est que c’est peut-être tout intime… enfin… (Il ouvre sa dépêche et lit.) « Mon bon lapin, affaires vont mal » Ah ! diable, elle va encore me demander de l’argent. (Reprenant.) « Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan perd couronne. »
Hein ?
« Si roi Vlan perd couronne, toi perds position, si toi perds position, moi lâche toi. — Un baiser. — Cascadine. » Ah bien ! ah bien !
Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan perd couronne !… Eh bien ! elle est gentille, ta dépêche !
Revenir !… comme si c’était facile !…
Je m’en chargerais bien encore… Seulement il faudrait être libres et nous avons nos cinq ans de volcan à faire…
Scène III
Les cinq minutes sont écoulées, on va vous descendre. Voici le roi.
Cosmos !…
Oui, mes amis… je vais descendre avec vous pour vous installer… ah ! seulement, moi je remonterai, tandis que vous…
Un instant, mon cher collègue, j’aurais deux mots à vous dire. Je viens de recevoir une dépêche de la terre… Des affaires très graves me rappellent chez moi et je vous demande un petit congé.
Un congé !
Oh ! je reviendrai… le temps d’aller et de venir.
Ah ! ah ! ah ! vous êtes gais, vous !
Mais non, c’est très sérieux.
Excessivement sérieux !
Tenez, voici la dépêche… « Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan… »
Oui, oui… je vous crois, mais en attendant vous allez descendre. Le panier est tout prêt.
Mais…
Pas d’observations ! Je vous dis que le panier est prêt.
Y tient-il à son panier !
Allons, allons…
Passe, Microscope.
Après vous.
Ne fais donc pas de manières. (Microscope passe.) À toi, Caprice.
Ah ! ma foi ! à la grâce de Dieu !
Là ! les voilà embarqués… Il ne reste plus qu’à les faire descendre… Bonne chance !… C’est égal, ils ne vont guère s’amuser là-dessous ! Cré nom ! j’aime mieux que ce soit eux que moi !
Scène PREMIÈRE
Ohé ! là-haut !… Encore un peu ! (Le panier descend encore et arrive à toucher le sol.) Stop ! (Sortant du panier.) Messieurs, si vous voulez prendre la peine… nous sommes arrivés…
Voyons, mon cher Cosmos, je vous assure que mes affaires me rappellent sur terre…
Oui, oui, vous me l’avez déjà dit… commencez par faire votre temps et puis nous verrons.
Oh !
Du reste, de quoi vous plaignez-vous ? Vous serez très bien ici… c’est grand, il y a de quoi se promener… Tenez, là-bas, ça me parait très-gentil.
Gentil ! Il appelle ça gentil !
Le fait est qu’à première vue, ce n’est pas trop mal.
Veux-tu bien te taire ! Ne vas-tu pas lui donner raison !… ma parole d’honneur, je comprends qu’on aime le pittoresque, mais il y a des limites…
Sur ce, mes bons amis, je vous dis adieu… amusez-vous bien, moi je remonte au grand air. (Criant.) Ohé ! là-haut ! y êtes-vous ?
Oui !
Attention, vous allez me remonter… (À ce moment, la corde qui tient le panier est coupée en haut et tombe avec bruit.) Hein ? qu’est-ce que c’est que ça ?
On a coupé la corde !…
Oh ! elle est drôle !
Une lettre !… qu’est-ce que ça veut dire ? (Regardant la lettre.) L’écriture de Popotte ! (Il ouvre la lettre et lit.) Vous avez voulu faire périr mon Microscope, j’ai juré de le venger, je le venge, c’est moi qui viens de couper la corde…
Ah ! ah ! ah ! vous ne vous attendiez pas à ça !
Ce bon Cosmos !
Cet excellent Cosmos ! Eh bien, écoutez, elle a du bon, votre femme, elle est aimante… et, ma foi, sans Cascadine…
Mais c’est une indignité !… (Appelant.) Madame !
Voyons, voyons ! De quoi vous plaignez-vous ? vous serez très bien ici…
C’est grand, il y a de quoi se promener…
Tenez, là-bas, c’est très gentil…
Je vous conseille de rire…
Bah ! bah ! vous verrez que nous finirons par nous arranger ici une petite existence assez confortable… Pour ma part, je ne regrette qu’une chose, c’est d’être séparé de ma chère Fantasia.
Scène II
Mais je suis là, mon ami.
Ah !
Fantasia !
Caprice !
Comme on se rencontre dans un volcan !
Ma fille ici !… mademoiselle, voulez-vous bien vous en al… mais non ! elle ne peut pas !
Mais comment se fait-il ?
J’ai corrompu les gardes et j’ai pu descendre avant vous. (À Cosmos.) Ah ! tu as voulu qu’il meure ! Eh bien, je mourrai avec lui.
Là ! c’est bien fait !
Mais c’est impossible ! il doit y avoir une issue… cherchons !… Venez avec moi, et si nous parvenons à nous tirer de là, je vous promets votre grâce…
Notre grâce ?
Et la main de Fantasia ?
Oui, mais d’abord il faut sortir d’ici… cherchons. Tenez, là, dans cette galerie…
Moi, je vais de ce côté…
Le premier arrivé attendra les autres.
En route, alors !
En route !
Scène UNIQUE
Microscope ! ohé !
Ohé ! Microscope !
Me voici ! me voici !…
Avec tout ça, je n’aperçois pas d’issue.
Oh !
Avez-vous entendu ?
Ce doit être l’écho… Voyons donc ! (Il crie.) Oh ! oh !
Ah !
Ah ! mais, ça, ça n’a pas l’air du tout d’être l’écho !
Dites donc ! dites donc, Cosmos ?… êtes-vous bien sûr qu’il est éteint, votre volcan ?
Parfaitement sûr… Entre nous, je crois même qu’il ne s’est jamais allumé…
Mais on dirait que ça bouillonne, là-dedans… (Se mettant à tousser.) Ah ! pouah !… ça vous prend à la gorge !… (Le grondement a continué en grossissant, il se penche encore.) Mais oui… il y a du feu…
Ah !
J’ai peur !…
La lave !… Elle monte !…
Oh ! mon Dieu !… Caprice !
Sauvons-nous !
Sauve qui peut !…
Nous sommes perdus !
Une issue !… ah ! si je pouvais… à moi…
Scène UNIQUE
Mon Dieu ! où suis-je ?… Et Fantasia ?…
Caprice !
Ah ! vivante !
Vivant !
Ouf !
Holà !
C’est vous, Vlan ?
Oui… C’est vous, Cosmos ?
Oui… Vous n’avez rien ?
Je ne sais pas, je me tâte… Non, je ne crois pas. Voyons, mes enfants, faisons l’appel pour nous assurer que nous sommes au complet. (Appelant.) Caprice !…
Présent !
Fantasia !
Me voilà !
Microscope !… eh bien !… (Appelant encore.) Microscope !
Microscope !
Ah ! je l’aperçois ! eh bien ! il est joli !…
Holà ! holà ! prenez garde, je suis moulu !
Eh bien, mon garçon, je t’ai cru fricassé… Quand je t’ai vu sauter en l’air, je me suis dit : c’est fini !… Comment as-tu fait ton compte ?
Vous savez, un savant se tire toujours de tout.
Présent !
Vlan ?… (Silence. — Avec inquiétude.) Vlan ?… eh bien, il ne répond pas !… Mes enfants, nous avons eu la douleur de perdre un des nôtres !…
Mais papa, c’est toi…
C’est vous !
Ah ! c’est vrai… Dame, écoutez donc, après une secousse pareille, on ne sait plus ce qu’on est ou ce qu’on n’est pas… enfin, nous y sommes tous, c’est une chance.
Ah ! les voici ! les voici !
Eh bien, maintenant, mon cher Cosmos, vous savez ce qui est convenu ? Nous sommes libres.
Parfaitement.
Microscope, tu entends, il faut songer au départ.
Ah !… mais…
Pas d’observation !
Dame ! ça prendra peut-être un peu de temps… (Par réflexion.) Au fait, si je suis embarrassé, j’enverrai une dépêche sur terre.
Tenez, la voici qui se lève, la terre.
Terre ! terre !
Nous te saluons, ô terre !
Ô bel astre argenté !
Toi dont la lumière
Éclaire l’immensité !