Napoléon le PetitOllendorftome 7 (p. 169-170).


iii
LENTEUR DU PROGRÈS NORMAL.

Ce que sont, ce qu’étaient ces quatre obstacles, même sous la République de Février, même sous la Constitution de 1848, le mal qu’ils produisaient, le bien qu’ils empêchaient, quel passé ils éternisaient, quel excellent ordre social ils ajournaient, le publiciste l’entrevoyait, le philosophe le savait, la nation l’ignorait.

Ces quatre institutions énormes, antiques, solides, arc-boutées les unes sur les autres, mêlées à leur base et à leur sommet, croisant comme une futaie de grands vieux arbres leurs racines sous nos pieds et leurs branches sur nos têtes, étouffaient et écrasaient partout les germes épars de la France nouvelle. Là où il y aurait eu la vie, le mouvement, l’association, la liberté locale, la spontanéité communale, il y avait le despotisme administratif ; là où il y aurait eu la vigilance intelligente, au besoin armée, du patriote et du citoyen, il y avait l’obéissance passive du soldat ; là où la vive foi chrétienne eût voulu jaillir, il y avait le prêtre catholique ; là où il y aurait eu la justice, il y avait le juge. Et l’avenir était là, sous les pieds des générations souffrantes, qui ne pouvait sortir de terre et qui attendait.

Savait-on cela dans le peuple ? S’en doutait-on ? Le devinait-on ?

Non.

Loin de là. Aux yeux du plus grand nombre, et des classes moyennes en particulier, ces quatre obstacles étaient quatre supports. Magistrature, armée, administration, clergé, c’étaient les quatre vertus de l’ordre, les quatre forces sociales, les quatre colonnes saintes de l’antique formation française.

Attaquez cela, si vous l’osez !

Je n’hésite pas à le dire : dans l’état d’aveuglement des meilleurs esprits, avec la marche méthodique du progrès normal, avec nos assemblées, dont on ne me soupçonnera pas d’être le détracteur, mais qui, lorsqu’elles sont à la fois honnêtes et timides, ce qui arrive souvent, ne se laissent volontiers gouverner que par leur moyenne, c’est-à-dire par la médiocrité ; avec les commissions d’initiative, les lenteurs et les scrutins, si le 2 décembre n’était pas venu apporter sa démonstration foudroyante, si la Providence ne s’en était pas mêlée, la France restait condamnée indéfiniment à la magistrature inamovible, à la centralisation administrative, à l’armée permanente et au clergé fonctionnaire.

Certes, la puissance de la tribune et la puissance de la presse combinées, ces deux grandes forces de la civilisation, ce n’est pas moi qui cherche à les contester et à les amoindrir ; mais voyez pourtant : combien eût-il fallu d’efforts de tout genre, en tout sens et sous toutes les formes, par la tribune et par le journal, par le livre et par la parole, pour en venir à ébranler seulement l’universel préjugé favorable à ces quatre institutions fatales ? Combien pour arriver à les renverser ? pour faire luire l’évidence à tous les yeux, pour vaincre les résistances intéressées, passionnées ou inintelligentes, pour éclairer à fond l’opinion publique, les consciences, les pouvoirs officiels, pour faire pénétrer cette quadruple réforme d’abord dans les idées, puis dans les lois ? Comptez les discours, les écrits, les articles de journaux, les projets de loi, les contre-projets, les amendements, les sous-amendements, les rapports, les contre-rapports, les faits, les incidents, les polémiques, les discussions, les affirmations, les démentis, les orages, les pas en avant, les pas en arrière, les jours, les semaines, les mois, les années, le quart de siècle, le demi-siècle !


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