Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.

longtemps à des choses tristes, et puis je finis par m’endormir. À la pointe du jour, je me levai. Le Rey me donna les dix écus et je repartis, non pas sans avoir bu un coup et trinqué avec lui.

Il me faut dire ici que, depuis quelque temps, lorsque je voyais un garçon et une fille se promener seuls dans un chemin, ou se parler le dimanche sur la place en se tenant par la main, et s’amitonner, ça me tournait les idées du côté de l’amour, et alors, je ne sais pas pourquoi, je me prenais à penser à la petite Lina. Je me demandais si elle était toujours à Puypautier, ce qu’elle faisait, si elle était aussi jolie qu’étant petite ; et je me disais que je serais bien heureux de l’avoir pour mie. Tout ça fit que, me trouvant de ces côtés, je fus pris d’un grand désir de la revoir : ça m’allongeait bien un peu de passer par Puypautier, mais je n’étais pas pressé. En approchant du village, assez embarrassé de savoir comment m’y prendre pour la voir sans que cela se sût, je rencontrai une drolette qui gardait ses oies, comme autrefois Lina quand je l’avais connue. M’étant informé à cette petite, elle me dit que la Lina touchait ses brebis, et qu’elle devait être dans des friches qu’elle me montra. Je m’en fus par là, et, en approchant, je la vis seulette qui faisait son bas, accotée contre un chêne de bordure, tandis que ses brebis broutaient l’herbe courte. Sans faire de bruit, je vins tout près d’elle :

— Oh ! Lina ! c’est donc toi !

  NODES