folle d’amour ! Mais Noun, la jeune créole, qui n’a rien su défendre contre Raymond, découvre son nouvel amour, et veut essayer sur son amant le pouvoir des plaisirs dont elle l’a si naïvement comblé ; elle va l’attendre à la maison de campagne d’Indiana, dans la chambre même d’Indiana, et, comme dernière ressource, la pauvre fille s’avise de ravir à Indiana, pour une nuit, sa toilette la plus brillante ; elle enivre Raymond de cette illusion imprévue, d’une orgie en tête à tête, de caresses et de délices ; mais l’ivresse passée, le lendemain, quand le jour vient leur montrer en quel lieu sacré ils ont fait tous deux un indigne affront à une femme si aimée de tous deux, Raymond repousse sa complice sans pitié. Noun efface les traces du désordre de la veille ; et le soir arrive Indiana. Elle découvre son amant, qui, surpris trop vite par cette arrivée, s’est caché honteux derrière un rideau du lit : elle doit croire qu’il était là en embuscade pour obtenir d’elle, malgré elle, le prix de son amour. Elle juge ce procédé infâme, le lui dit, et le chasse. Mais la colère d’Indiana ne pouvait être éternelle ; elle fit sa paix avec Raymond, elle l’aima plus que jamais, elle le lui avoua, elle revint au bonheur. Il faut lire dans ce livre comment la passion de la jeune femme s’accrut chaque jour, à mesure qu’elle s’en rassasiait, qu’elle s’affichait aux yeux du monde ; comment, par une décroissance parallèle, s’affaiblit l’amour de Raymond, par quels degrés s’éteignit sa chaleur de tête, pour ne plus lui laisser que l’ennui d’être aimé avec importunité. Il demandait une occasion de rompre, elle s’offrit. Le colonel venait d’être ruiné ; il se disposa à aller se réfugier à l’île de Bourbon pour y recommencer sa fortune. Indiana avait bien résolu de ne jamais quitter le séjour habité par son amant, et de pousser la résistance au pouvoir conjugal jusqu’à l’entier oubli de ses devoirs ; elle croyait Raymond capable aussi d’un grand sacrifice. Au moment du départ, elle s’enfuit de la maison du colonel. Un matin Raymond, rentrant du bal, la trouva dans sa chambre ; elle y était installée, elle y avait passé la nuit, elle venait lui proposer de vivre à toujours inséparables. Ce n’était pas le compte de Raymond. « C’est une imprudence incroyable, dit-il, en refermant avec soin la porte sur lui ; et mes gens qui vous savent ici ! — Je ne me suis pas cachée, répondit-elle froidement ; et quant au mot dont vous vous servez, je le crois mal choisi. — J’ai dit imprudence ; c’est folie que j’aurais dû dire. » Devinez, d’après cela, le reste de l’entretien… La pauvre Indiana vit qu’il fallait se résigner à partir pour l’île de Bourbon. Elle se dirigeait vers la porte de la chambre. « Prenez donc votre manteau et votre boa, lui dit Raymond en l’arrêtant. Il est vrai, répondit-elle, ces traces de ma présence pourraient vous compromettre. » Indiana se retira la mort dans l’âme. —
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