Pierre-Jean de Heyder
Aucun article nécrologique n’a été fait, jusqu’à présent, sur le peintre de Heyder. Nous sommes heureux de lui consacrer ici quelques lignes : Pierre-Jean de Heyder naquit à Anvers, le 15 avril 1798. A dix-neuf ans, il était peintre décorateur et gagnait honorablement sa vie ; mais le désir de voir Paris, pour y perfectionner son talent, lui fit quitter le pays natal malgré le penchant qu’il aurait eu à rester auprès d’une famille qui l’aimait tendrement et que lui-même chérissait.
M. Lemineur, peintre-doreur, fut celui qui, dans la capitale, occupa le premier notre jeune artiste. Il n’eût qu’à se louer de l’élève qui, par la suite, devint maître et fut un de nos premiers décorateurs.
De Heyder possédait au suprême degré l’art de fasciner l’œil par des effets d’une peinture saisissante. Il exécuta des travaux importants dans divers grands hôtels à Paris, dans beaucoup de châteaux des départements, aussi bien qu’au Musée de Versailles. Quelques couleurs, posées çà et là sur sa palette, lui suffisaient pour donner naissance aux plus beaux marbres d’Italie. Il peignait avec habilité l’ornement et la grisaille. On possède de lui des fresques, des voussures, des panneaux et des médaillons. Toute la perspective d’un parc était quelquefois son œuvre de reproduction dans l’intérieur d’un salon. Enfin, c’est lui qui a donné l’élan à la peinture dire rocaille ou Renaissance, dont on abusa plus tard pour orner la devanture de boutique de certains commerçants. Il était bon fileur. Un filet à tracer sur le mur, ce n’est rien s’il est seul ; mais c’est tout une étude lorsque les filets, savamment rapprochés les uns des autres, forment, au lieu d’une taille de pierre, une moulure des plus saillantes.
C’est rue Levert, à Belleville, que de Heyder demeurait, non loin de l’habitation d’un peintre et d’un sculpteur de mérite. Je veux parler de M. Mélingue, l’artiste dramatique de la Porte Saint-Martin.
Dans sa modeste demeure, Heyder ne possédait pas de jolies statuettes comme celles de son voisin le sculpteur ; mais il avait eu la patience et le talent de donner à sa maison un aspect tout particulier.
Ainsi, par exemple, le corps de bâtiments du côté du jardin était décoré de marquises et de balcons. Sans l’aide d’aucun artisan et avec son pinceau, Heyder avait ouvert des baies, placé des croisées et posé des rideaux. Une tablette s’ajustait à l’angle d’un bâtiment rustique dans la cour, et l’on y remarquait une toile d’araignée que le balai n’aurait pu ôter. Un pot-à-eau se trouvait dehors, accroché à la fenêtre. Le volet montrait sa vétusté et ses planches disjointes. Un carreau de la croisée paraissait brisé, mais le bruit de ses éclats n’avait pas troublé le repos des locataires de la maison…
Tout était d’une imitation parfaite, tout ! jusqu’aux volubilis grimpants qui ornaient un pavillon au fond du jardin, et qui laissaient grandir devant eux la tige d’une rose trémière.
Je rappelle ces jolis détails, parce que le temps impitoyable les a détruits. Un incendie a également fait disparaître les peintures qui existaient dans la salle à manger de l’artiste. Cette salle, simplement décorée de peinture vieux-chêne, avait sa principale richesse au-dessus de la cheminée. C’était une coquille contenant des fruits d’une maturité réelle et qui semblaient inviter la main à les prendre. Le feu de la cheminée a dévoré le dessert.
Le petit musée de la même salle n’a pas été atteint, non plus que les jolis médaillons qui ornent les portes de l’appartement ; car il faut vous dire que H composait de gracieux tableaux, et qu’il a pendant longtemps enrichi nos plus grands musées d’exposition. Son genre était la nature morte. La plupart de ses œuvres ont été achetées par la Société des amis des arts. La reine Amélie, sous Louis-Philippe, fit aussi le choix d’un ravissant petit tableau. C’est, je crois, en 1851, que tout le monde artiste et connaisseur s’arrêtait dans le salon carré du Louvre pour admirer une coquille de nacre et des fleurs posées sur un marbre portant la signature : de Heyder.
Comme Meissonnier, notre artiste mettait dans ses compositions un fini sans égal. Sa peinture pouvait supporter l’examen à la loupe. On comptait les poils du gibier. La plume d’un perdreau ou d’une grive se soulevait délicatement ; celle détachée de la victime était si légère, que l’on n’osait parler en la regardant, de peur qu’elle s’envolât au moindre souffle.
L’atelier du peintre surélevait la maison. La salle s’offrait vaste, garnie d’études, de panneaux et de toiles que de Heyder appelait ses ébauches. Cela se comprend, rien pour lui n’était assez terminé. Il retouchait sans cesse à ses peintures.
C’est dans cet atelier que la mort frappa de Heyder. il y était monté rapidement deux fois de suite dans la journée, croyant y trouver son neveu. Quelques instants auparavant il se plaignait d’une grande lassitude. Une attaque d’apoplexie le renversa sur une chaise, d’où il fut transporté sur un lit de repos dans une chambre contiguë. L’accident arriva le 26 novembre 1864. Le lendemain de ce jour malheureux, et malgré les soins empressés du docteur Laloy, de Mme de Heyder et de son neveu, l’artiste expira.
Il avait fait, le 25 novembre, un petit voyage pour aller rendre visite à de bons amis. Le 26, dès le matin, je l’avais vu et je m’étais informé de ses nouvelles.
- Je vais bien, me répondit-il ; mais c’est la santé de ma femme qui me préoccupe vivement !
En temps ordinaire, il était d’une franche gaieté. Toujours vif et toujours prêt à se rendre utile, il n’aimait pas à se reposer.
Le dimanche, il allait voir M. Rouchas, un ancien littérateur.
- Pauvre ami ! disait-il, il est bien juste que j’aille au-devant de lui, il est atteint de paralysie. Ce sont mes devoirs du dimanche que je remplis.
De Heyder ne chercha jamais à paraître dévot, mais il fut bon et serviable. Sa figure, vrai type flamand, portait l’empreinte de ses qualités loyales. Toute sa vie, il s’occupa du bien-être de sa famille. Le produit de la vente de ses tableaux, il le donnait à de proches parents que la fortune délaissait. Dieu lui ayant ravi une fille qu’il adorait, de Heyder, après sa femme, n’avait plus rien à conserver.
Dernièrement, j’eus l’occasion de parler de lui à un peintre qui terminait les travaux de décoration d’une salle de bal.
- Vous me demandez, me dit-il, si j’ai connu de Heyder ? Oh ! oui, je l’ai connu, le digne maître ! C’est lui qui m’a procuré les fonds nécessaires pour échapper à la conscription.