LASCARIS, ou les Grecs du XVe siècle, in-8, 1825. — L’empire grec descendant tout entier au tombeau avec son dernier empereur ; les Turcs étendant leur barbarie sur tout l’Orient ; les beaux-arts, conservés par des mains pures et fidèles, transplantés en Italie et refleurissant bientôt sous cet heureux climat ; Florence et la cour de Médicis ; la société tourmentée par le besoin d’une érudition moins fausse, d’une philosophie meilleure, de mœurs plus élégantes ; enfin l’imprimerie qui se découvre pour rassurer la civilisation menacée par les soldats de Mahomet ; tel est le grand tableau que M. Villemain a voulu nous offrir dans Lascaris.
Lascaris, allié à la famille impériale, élevé dans la culture des lettres grecques, est le plus célèbre entre les Grecs qui se réfugièrent en Italie. M. Villemain l’a choisi pour être le héros de son ouvrage. Cependant il ne l’a pas seul placé sur la scène : autour de lui, il a groupé savamment d’autres noms moins fameux à la vérité, mais à qui la société doit une éternelle reconnaissance ; tels sont : Gémiste Plétho, disciple enthousiaste de Platon ; Marc Théodore, évêque d’Éphèse ; Nicéphore de Chariclée, déserteur de la foi grecque au concile de Florence, mais qui revient au culte de sa patrie quand ce culte est proscrit. Il y a beaucoup d’art à M. Villemain d’avoir ainsi resserré dans un cadre étroit l’antique philosophie et la religion nouvelle de la Grèce, d’avoir opposé le fougueux platonicien au vertueux sectaire et au pénitent religieux. — Arrivés d’abord en Sicile, les nobles exilés d’Athènes et de Constantinople sont accueillis par de jeunes Italiens que l’amour de la science a conduits au pied du mont Etna, et parmi lesquels on distingue le jeune Médicis et Bembo. Cependant les Grecs ne sont point au terme de leurs maux, le peuple italien ne les regarde que comme des schismatiques dangereux : martyrs à Constantinople, ils étaient excommuniés à Rome, et ne furent sauvés de la fureur des Siciliens que par le courage de Médicis et de ses jeunes compagnons. Ils se réfugient près d’Alphonse, roi d’Aragon et de Sicile, qui cherche à les retenir à sa cour ; mais, effarouchés par l’appareil militaire qui environne ce soldat érudit, ils vont chercher à Florence un asile plus sûr et plus paisible. Là, ils retrouvent, non la patrie, car jamais on ne la retrouve, mais ces soins délicats qui adoucissent le supplice de l’exil ; l’hospitalité généreuse de Médicis tâche de leur rendre tout ce qu’ils avaient perdu, tout, jusqu’aux souvenirs du passé. Cependant ils emploient vainement tous les moyens que donne la supériorité de l’esprit pour exciter l’Europe contre les Turcs. Bientôt, à l’enthousiasme qu’avaient excité leur présence et leurs malheurs, succèdent l’indifférence et l’oubli. Ils se dispersent découragés ; les uns vont mourir dans leur patrie, les autres chez quelques petits princes qui cultivaient les lettres. Tel fut le sort de ces hommes qui contribuèrent le plus à tirer l’Europe des ténèbres de l’ignorance, et aujourd’hui à peine leurs noms sont-ils connus ! M. Villemain en explique ainsi la raison : « Ils répandirent autour d’eux l’admiration et le goût des arts ; ils agitèrent l’esprit humain ; ils sauvèrent la plus belle moitié des monuments antiques ; mais eux-mêmes ils n’ont pas créé de monuments. Ainsi, leur souvenir a disparu dans la gloire des grands hommes formés à leur exemple, et la grandeur même de leurs services en a plus rapidement fait perdre la trace. »
Cette rapide analyse fait voir qu’il ne faut pas chercher dans Lascaris l’intérêt fugitif de quelques aventures romanesques, mais ce plaisir plus durable et plus vrai qu’on trouve à d’ingénieuses pensées, revêtues des plus belles formes du langage.