née à Tonneins en 1773, morte à Paris le 25 août 1807.
CLAIRE D’ALBE, in-12, 1799. — Cinq romans sont sortis de la plume de Madame Cottin : on les lut avec avidité au moment où ils parurent ; réimprimés plusieurs fois, on les relit avec un plaisir toujours nouveau. Une analyse détaillée de ces romans n’aurait rien de neuf pour le public, qui les a lus tant de fois ; aussi ne nous engagerons-nous pas dans un travail que nous croyons inutile ; mais nous pensons qu’il ne sera pas sans intérêt de présenter quelques considérations morales sur des ouvrages aussi attachants, et de retracer l’impression qu’ils laissent dans l’âme, lorsque la curiosité n’entre plus pour rien dans le plaisir que leur lecture fait éprouver. — Le caractère distinctif des romans de Mme Cottin est une sensibilité rare, profonde, et qui porte toujours le langage du cœur. Ce fut sans doute le spectacle de nos dissensions civiles, dont Mme Cottin fut témoin pendant sa jeunesse, qui contribua à développer en elle cette sensibilité, à l’exalter peut-être. Les impressions funestes, les secousses terribles qu’elle éprouva, donnèrent d’abord à son esprit une teinte un peu sombre. Fatiguée de ce qui se passait autour d’elle, elle sentit le besoin de se retirer dans un monde idéal : elle composa des romans ; mais son imagination, fatiguée de scènes terribles, ne pouvait lui fournir que des tableaux lugubres. C’est dans cette disposition d’esprit que Mme Cottin écrivit Claire d’Albe, son premier ouvrage, dont elle employa le prix à une bonne action. La lecture de Werther paraît avoir inspiré à Mme Cottin l’idée de Claire d’Albe ; car, à quelques nuances près, elle a donné à Claire le caractère de Werther. Malgré les éloges que mérite cette première composition, on regrette que Mme Cottin ait fait choix d’un pareil sujet. L’auteur de Werther avait encouru de justes reproches pour avoir présenté avec des couleurs trop séduisantes les égarements de la passion dans un jeune homme, et il était encore plus contraire aux convenances de prêter à une femme les mêmes erreurs. Ce qui excuse Mme Cottin, c’est qu’elle était fort jeune quand elle composa cet ouvrage ; elle ne sentit pas, et peut-être ne pouvait-elle pas sentir alors, qu’un auteur de son sexe se nuit à son insu, en peignant, même dans un but moral, un sentiment coupable avec trop de vivacité. Il est pourtant vrai de dire que l’intérêt dans Claire d’Albe n’est pas excité par la faute de Claire ; on la plaint, mais on la condamne. Sans chercher à l’excuser, l’auteur a trouvé le secret de la rendre intéressante malgré sa faiblesse. Claire d’Albe est subjuguée par degré et sans s’en apercevoir ; aussitôt qu’elle a découvert dans son cœur un penchant qu’elle désapprouve, elle éloigne celui qui en est l’objet ; surprise par son amant, elle ne succombe que lorsque la mélancolie et le chagrin ont épuisé ses forces et troublé sa raison. Elle meurt accablée sous le poids de sa faute. Ainsi Mme Cottin a réellement mis beaucoup d’art dans son roman, et elle a réussi, jusqu’à un certain point, à racheter, par la combinaison des moyens, l’inconvenance inhérente au fond du sujet. Cependant on ne peut se dissimuler qu’il ne lui soit échappé quelques traits d’une vérité trop franche qui alarment la morale, et que la critique voudrait effacer. Le moment où Claire devient coupable, offre le tableau sur lequel tombe plus particulièrement ce reproche. Quant à la mort de Claire, c’est un morceau achevé ; la morale n’y trouve rien à reprendre, et la critique n’a qu’à louer : on se sent profondément ému du pathétique de la situation, de l’élévation des sentiments, de la sincérité du repentir.
MALVINA, 4 vol. in-12, 1801. Dans quelques-unes des éditions postérieures à la première, on a supprimé le chapitre intitulé Préface, où Mme Cottin, sous le nom de mistress Clara, faisait au public une confidence naïve de ses sentiments sur les femmes auteurs. — Lorsque des jours plus calmes eurent succédé aux jours orageux, le cœur de Mme Cottin n’étant plus froissé par d’affligeantes réalités, ses fictions devinrent moins sombres ; tranquillisé par le retour et le maintien de l’ordre, son esprit put trouver des couleurs plus douces pour peindre les affections de l’âme, et ces affections, savamment développées, heureusement opposées, lui fournirent une infinité de détails attachants. Ainsi, dans Malvina, elle nous présente un combat presque continuel entre l’amour le plus vif et la plus tendre amitié : quelle est intéressante cette Malvina partagée entre sa passion pour Edmond Seymour et le serment qu’elle a fait à son amie mourante de servir de mère à sa fille ! Malvina s’est retirée dans un château solitaire de l’Écosse ; c’est là qu’elle veut, loin du monde, se consacrer à la fille de l’amie qu’elle a perdue. Ces lieux, qui semblent retentir encore des chants mélancoliques d’Ossian, sont bien en harmonie avec la tristesse de son cœur. Les aspects que présente l’antique Calédonie, les souvenirs qu’elle rappelle, sympathisent bien avec sa douleur. Mais c’est au fond de cette retraite que, jusqu’alors étrangère à l’amour, Malvina doit devenir accessible à ce sentiment. Elle retrouve dans cette solitude les soucis, les travers et les ridicules de ce monde qu’elle a fui ; elle y trouve aussi les consolations de l’amitié, et des bienfaits à répandre. Après avoir exprimé avec des couleurs vraiment locales les beautés sauvages de l’Écosse, et dessiné avec franchise le caractère original de M. Prior, dont l’austérité s’adoucit à la vue de Malvina, avec quelle flexibilité de talent Mme Cottin sait nous remettre sous les yeux les scènes de la société ! Avec quelle profondeur est représentée, dans mistress Birton, une de ces femmes qui, sous les dehors de la sensibilité, cachent le plus orgueilleux égoïsme ; pour qui une sévérité affectée est un dernier moyen de ressaisir la considération publique, pour qui la bienfaisance est un calcul et la haine un besoin ! Avec quel abandon elle se complaît à tracer le portrait enchanteur de Malvina ! Ce caractère passerait pour idéal, si l’on savait qu’il n’est point une simple création de l’esprit : le modèle existe ; ce portrait est l’hommage le plus délicat que le talent puisse rendre à l’amitié. Ce tableau n’est pas le seul qui ait prêté à l’allusion : dans mistress Clara, devenue auteur par bienfaisance, toujours modeste au milieu de ses succès, le public a reconnu Mme Cottin peinte par elle-même, et ce qui ajoute à ce que l’application a de flatteur, c’est qu’on ne lui a pas supposé l’intention de se peindre. Mme Cottin n’a pas moins de supériorité dans le développement des situations, toujours naturellement amenées par le jeu des caractères, que dans l’exposition des caractères mêmes. La rencontre inattendue d’Edmond Seymour avec Malvina, qu’il croit perfide parce qu’il la trouve au lit de mort de Louise, tête à tête avec M. Prior ; la peinture si vive, et en même temps si décente, des soins que Malvina prodigue à son amant, lorsque, introduite auprès de lui, sous les habits d’une garde-malade, elle le veille sans en être connue ; la conception aussi forte que neuve de cette scène où M. Prior, s’avançant à l’autel pour unir deux époux, voit arriver Malvina conduite par Seymour, sent, au déchirement qu’il éprouve, qu’il nourrissait une passion coupable, et en triomphe à la voix de Malvina ; ces situations, et beaucoup d’autres encore, sont des beautés du premier ordre, que ne dédaigneraient pas les plus grands écrivains. « Depuis l’inoculation de l’amour dans la Nouvelle Héloïse, dit Chénier, il n’est point de situation mieux conçue, mieux développée, plus pathétique en tous ses détails, que celle de Malvina, s’introduisant déguisée dans le château d’une famille qui la persécute, y devenant la garde-malade d’Edmond, son amant ; et là, muette, impénétrable autant qu’active et vigilante, l’arrachant, à force de soins, à la mort qui semblait déjà le saisir. »
*AMÉLIE DE MANSFIELD, 3 vol. in-12. Il y a en tête de cette édition une préface très-bien écrite, qu’on ne retrouve pas dans la plupart des éditions subséquentes. — Dans ce roman, Mme Cottin a voulu montrer à quel excès de malheur peut conduire l’amour, même le moins coupable, et à quel point l’orgueil peut endurcir le cœur ; mais pour faire ressortir ces deux grandes vérités, elle a mis parfois de l’exagération dans plusieurs de ses tableaux, et s’est écartée souvent de la vraisemblance. Tout ce qui concerne le premier époux d’Amélie est peu attachant, c’est comme l’avant-scène du drame ; mais dès qu’Ernest a paru, les émotions se succèdent avec un progrès rapide. Jusqu’au jour où les deux amants sont renfermés dans le même tombeau, on les aime et on les regrette ; on plaint avec effroi Mme de Woldmar, mère d’Ernest et très-digne baronne allemande, qui laisse mourir de chagrin son fils unique, de peur qu’il n’épouse Amélie, fille d’une haute naissance, mais veuve d’un mari qui avait le malheur de n’être pas né baron allemand. C’est avec beaucoup de force que l’auteur a peint cet orgueil barbare qui ne cesse d’être inflexible que par des maux irréparables, et se borne à gémir en vain sur les tombeaux qu’elle a creusés. On a reproché avec raison à Mme Cottin l’indécision de la plupart des caractères des personnages de ce roman ; mais sans s’aveugler sur quelques défauts, on doit convenir qu’elle les rachète par la magie des couleurs, par une foule de scènes attendrissantes, et par des détails enchanteurs. Est-il, en effet, rien de plus touchant que le moment où Ernest, surpris par une avalanche, est sauvé d’une mort certaine par Amélie ? Ici, Mme Cottin, puisant dans son cœur les nobles sentiments qu’elle veut exprimer, écrit d’inspiration, se montre vraiment éloquente, et nous peint bien l’impression que doit laisser une belle femme qu’anime tout ce qu’il y a de divin dans la charité. Peut-on être insensible au charme de cette amitié vive et pure, de cette tendre confiance qui règne entre Amélie et le noble et vertueux Albert, son frère ? Quelle flexibilité de talent dans la peinture légère des aimables travers de la vive et sensible Blanche de Geysa, et dans le portrait énergique de l’austère et farouche Adolphe de Reinsberg ! — La partie la plus brillante d’Amélie Mansfield est, sans contredit, le style, qui, dans ce roman en lettres, doit son charme à son extrême variété.
MATHILDE, ou Mémoires tirés de l’Histoire des Croisades, 6 vol. in-12, 1805. — Cet ouvrage mit le comble à la célébrité de Mme Cottin, et l’on put dès lors regarder l’auteur de Mathilde et de Malvina comme le premier de nos romanciers dans le genre qu’elle avait adopté. L’action se passe à la fin du XIIe siècle, durant la croisade de Philippe-Auguste et de Richard Cœur de Lion. Quelques formes lourdes et guindées en déparent le commencement ; mais bientôt l’auteur s’échauffe avec son sujet, la diction devient naturelle, alors l’intérêt commence, et quelquefois il acquiert une haute énergie. Philippe ne paraît qu’un moment ; Richard n’occupe guère plus d’espace ; Lusignan, roi de Jérusalem, est fort maltraité ; Montmorency, terrible dans les combats, timide auprès des dames, rival généreux, a toutes les qualités de l’antique chevalerie ; la tendre et soumise Bérengère est le modèle des épouses chrétiennes ; Saladin, sans être méconnaissable, est inférieur à sa renommée. Malek-Adhel est le personnage d’élite : bon, généreux, tendre, passionné, vaillant, invincible, régnant par l’amour sur les sujets de son frère, forçant les guerriers dont il est la terreur à l’admirer, et les ministres d’un dieu dont il est le plus redoutable ennemi à chérir ses vertus, il unit au plus haut degré toutes les qualités aimables et toutes les vertus chevaleresques. Mathilde, sœur de Richard, chez qui l’amour le plus vif peut s’allier à toute la piété d’une sainte, à toute la pureté d’une vierge, est digne du héros musulman. Son amour pour Malek-Adhel est gradué, motivé avec art ; on est fortement ému, soit lorsque, seule avec lui au milieu de l’ouragan du désert, elle attend la mort qui la menace, soit lorsque, affrontant sans crainte les sables brûlants de l’Afrique, elle relève par son exemple le courage des vieux guerriers chrétiens qui l’accompagnent, soit lorsque, arrivée au terme de son pèlerinage, elle est sauvée par Malek-Adhel au moment où elle allait devenir la proie des farouches Bédouins, soit lorsqu’elle accourt sur un champ de bataille, devenu l’autel, le lit nuptial et le tombeau de son amant, qui expire en invoquant le dieu de Mathilde. La liaison des faits se trouve on ne peut plus heureusement combinée dans ce roman ; les situations y sont toutes bien amenées et décrites avec le plus grand intérêt.
ÉLISABETH, ou les Exilés en Sibérie, suivi de la prise de Jéricho, 2 vol. in-12, 1806. — Dans ses précédents ouvrages, les pinceaux de Mme Cottin ne s’étaient pas encore exercés à peindre l’amour filial et les tendre sollicitudes de l’amour maternel ; son cœur n’eût point été satisfait si elle eût laissé incomplète cette riche collection de tableaux touchants : elle fit Élisabeth, et dans ce roman, où les tristes beautés de la Sibérie, les misères de l’humanité, la charité du pauvre, la clémence des rois, et les affections les plus pures, sont décrites avec des couleurs toujours vraies, toujours brillantes, Mme Cottin prouva que son âme n’était étrangère à aucun sentiment vertueux, et son talent à aucun des secrets de l’art d’écrire. Les détails de ce petit roman historique respirent une simplicité touchante, que l’on retrouve aussi dans l’histoire véritable de l’héroïne, publiée par M. Xavier de Maistre, sous le titre de la Jeune Sibérienne. (Voyez Xavier de Maistre.)