Économie morale
L'économie morale ou « économie morale de la foule » est un concept dû à l'historien britannique et marxiste E. P. Thompson utilisé en historiographie, en sciences politiques et en sociologie.
Il désigne un ensemble de pratiques et de valeurs politiques, infra-politiques et culturelles communautaires qui visent à la défense des intérêts de la communauté même sur le plan économique. Ce concept a été introduit subrepticement dans The Making of the English Working Class (1963, p.68 et 222), où il écrit que les pillages de magasins en période de hausse des prix « étaient légitimés par l'affirmation d'une économie morale plus ancienne qui enseignait l'immoralité de méthodes iniques pour faire monter les prix des aliments en profitant des besoins du peuple. »
Le concept a ensuite été explicitement formulé dans le célèbre article de 1971, The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century (in Past & Present, 50, 1971, p.76-136), où E.P. Thompson le définissait ainsi: « une vision traditionnelle des normes et des obligations sociales, des fonctions économiques appropriées par les diverses parties de la communauté - ce qui, pris ensemble, peut être considéré comme constituant l'économie morale des pauvres. »
Elle est détaillée par E.P. Thompson comme reposant sur quatre principes : l’affirmation d’un droit prioritaire de la communauté sur les ressources produites localement ; l'existence d'un "juste prix", qui est celui qui permet à tous les membres de la communauté d’accéder aux subsistances ; la légitimité d'un châtiment pour ceux qui tirent profit de la situation ; la conviction d’agir en toute légalité[1].
Les manifestations de cette « économie morale » peuvent emprunter tout un catalogue de la révolte à l'entraide, la défense du juste prix à la production de remontrance.
Elle est évoquée pour décrire la résistance des communautés paysannes aux tentatives de libéralisation du commerce des grains lors de la guerre des farines à la fin de l'Ancien Régime[1].
Bien qu'E.P. Thompson ait nuancé l'utilisation de cette expression vingt ans après, dans The moral economy reviewed [2], le concept a été appelé à une belle fortune, comme le souligne Didier Fassin[3], étant repris aux États-Unis par l'anthropologue James C. Scott, qui a travaillé sur les économies morales des paysans d'Asie du Sud-Est, ainsi que dans l'épistémologie par Lorraine Daston[3].
Notes et références
modifier- Alain Bernard, La guerre des farines, Institut Universitaire Varenne. Droits fondamentaux, ordre public et libertés économiques, L.G.D.J., , p 171, 172
- in Customs in common, Londres, The Merlin Press, 1991, p.259-351
- Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales HSS, novembre-décembre 2009, n°6, p.1237-1266
Bibliographie
modifier- E.P. Thompson, « The Moral economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », in Past & Present, 50, 1971, p.76-136
- James C. Scott, The Moral Economy of the Peasant: Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press, 1976
- Lorraine Daston, « The Moral Economy of Science », in Osiris, 10, 1995, p.2-24
- Didier Fassin, « Les Économies morales revisitées », Annales HSS, novembre-, n°6, p.1237-1266
- Benjamin S. Orlove, « Meat and Strenght: the Moral Economy of a Chilean Food Riot », in Cultural Anthropology, 12-2, 1997, p.234-268
- Johanna Siméant, « Économie morale » et protestation – détours africains », in Genèses, 81, 2010, p.136-151.