Poèmes antiques/Hylas
C’était l’heure où l’oiseau, sous les vertes feuillées
Repose, où tout s’endort, les hommes et les Dieux.
Du tranquille sommeil les ailes déployées
Pâlissaient le ciel radieux.
Sur les algues du bord, liée au câble rude
Argô lavait plus sa proue au sein des flots amers ;
Et les guerriers épars, rompus de lassitude,
Songeaient, sur le sable des mers.
Non loin, aux pieds du mont où croît le pin sonore,
Au creux de la vallée inconnue aux mortels,
Jeunes reines des eaux que Kyanée honore,
Poursuivant leurs jeux immortels ;
Molis et Nikhéa, les belles Hydriades,
Dans la source natale aux reflets de saphir,
Folâtraient au doux bruit des prochaines cascades,
Loin de Borée et de Zéphir.
L’eau faisait ruisseler sur leurs blanches épaules
Le trésor abondant de leurs cheveux dorés,
Comme au déclin du jour, le feuillage des saules
S’épanche en rameaux éplorés.
Parfois, dans les roseaux, jeunes enchanteresses,
Sous l’avide regard des amoureux Sylvains,
De nacre et de corail, enchâssés dans leurs tresses,
Elles ornaient leurs fronts divins.
Tantôt, se défiant, et d’un essor rapide
Troublant le flot marbré d’une écume d’argent,
Elles ridaient l’azur de leur palais limpide
De leur corps souple et diligent.
Sous l’onde étincelante on sentait leur cœur battre,
De leurs yeux jaillissait une humide clarté,
Le plaisir rougissait leur jeune sein d’albâtre
Et caressait leur nudité.
Mais, voici, sous les feux pourprés du crépuscule,
Beau comme Endymion, l’urne d’argile en main,
Qu’Hylas aux blonds cheveux, cher compagnon d’Hercule,
Paraît au détour du chemin.
Nikhéa l’aperçoit : — Ô ma sœur, vois, dit-elle,
De son urne chargé, ce bel adolescent ;
N’est-ce point, revêtu d’une grâce immortelle,
De l’Olympe un Dieu qui descend ?
Des cheveux ondoyants où la brise soupire
Ornent son col d’ivoire ; ignorant du danger,
Sur les fleurs et la mousse, avec un doux sourire,
Il approche d’un pied léger.
Beau jeune homme, salut ! Sans doute une déesse
Est ta mère. — Kypris de ses dons t’a comblé.
Salut, bel étranger, tout brillant de jeunesse !
Heureux cet humble bord d’être par toi foulé.
Quel propice destin t’a poussé sur nos rives,
Quel soleil a doré tes membres assouplis ?
Viens, nous consolerons tes tristesses naïves,
Et nous te bercerons sur nos genoux polis.
Reste, enfant ! Ne vas plus sur les mers vagabondes :
Éole outragerait ta sereine blancheur.
Viens, rouge de baisers, dans nos grottes profondes,
Puiser l’amour et la fraîcheur. —
Mais Hylas, oubliant son urne demi-pleine,
Et penché sur la source aux mortelles douceurs,
Écoutait, attentif, suspendant son haleine,
Parler les invisibles sœurs.
Riant, il regardait dans la claire fontaine…
Soudain, par son cou blanc deux bras l’ont attiré ;
Il tombe, et murmurant une plainte incertaine,
Plonge sous le flot azuré.
Là, sur le sable d’or et la perle argentée
Molis et Nikhéa le couchent mollement,
Mêlant à des baisers sur leur lèvre agitée
Le doux nom de leur jeune amant.
Il s’éveille, il sourit, et tout surpris encore,
De la grotte nacrée admirant le contour,
Sur les fluides Sœurs que la grâce décore,
Son œil s’arrête avec amour.
Adieu le toit natal et la verte prairie
Où, paissant les grands bœufs, jeune et déjà pasteur,
Pieux, il suspendait la couronne fleurie
À l’autel du Dieu protecteur !
Adieu sa mère en pleurs dont œil le suit sur l’onde,
Et de qui le Destin à son sort est lié,
Adieu le grand Hèraklès et Kolkhos et le monde !…
Il aime et tout est oublié !