Le Droit au travail pour la femme

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Le droit au travail pour la femme

I

« Vivre en travaillant ou mourir en combattant » revendiquaient les ouvriers, en 1848.

Réclamation élémentaire. Du moment que la propriété est déclarée intangible et qu’il est défendu de prendre par la force les biens qu’autrui considère comme siens, la société protectrice de ceux qui possèdent doit assurer par le travail l’existence de ceux qui ne possèdent pas.

Ce droit, la société encore de nos jours est loin de l’assurer à l’homme. Depuis dix ans le chômage sévit à l’état endémique et en ce moment il atteint dans plusieurs pays, d’énormes proportions. Impossible de travailler, défense de voler, défense de mendier, que faire ?

On pourrait faire la révolution et les gouvernements instruits par l’histoire, le savent fort bien. C’est pourquoi les bourgeois anglais et allemands se résignent à payer des sommes formidables pour entretenir les chômeurs.

Le problème du travail féminin s’est posé jusqu’ici de façon un peu différente.

La société ne voulait connaître que l’homme. La femme vivait dans la dépendance de l’homme qui, en principe, l’entretenait.

En fait il y a toujours eu des travailleuses qui produisaient en dehors du foyer familial. Les couturières, les blanchisseuses, les modistes, etc., travaillaient pour un salaire. Mais il s’agissait de minorités restreintes ; la masse des femmes, mariées ou non, étaient entretenues par un homme ; ménagères ou courtisanes, comme disait Proud’hon.

Toutes les femmes ne peuvent être entretenues. Il y a les veuves trop âgées pour convoler une nouvelle fois ; les célibataires qui, par défaut de beauté, de santé, de relations ou d’argent n’ont pu trouver de mari.

Pour faire un sort aux veuves, la loi juive prescrivait au beau-frère célibataire de les épouser. Chez nous elles demeuraient, comme les vieilles filles, à la charge des familles, quand il y en avait une. Les couvents, autrefois, servaient d’asile à toutes ces femmes, laissées pour compte. Il y avait aussi pour elles demi-couvents dont les béguinages de la Belgique sont les restes.

Vie de dépendance et de malheur. Les parents de petite bourgeoisie acceptaient par devoir de prendre à leur charge la veuve ou la vieille fille ; mais le pain de la charité est toujours dur. Les reproches, les humiliations, les railleries ne manquaient pas à la « bouche inutile » qui s’emplissait aux dépens des autres.

La condition de la femme en puissance d’homme pour être régulière était loin d’être toujours heureuse. Le chien est heureux lorsqu’il a un bon maître qui lui donne avec des caresses d’excellentes pâtées. Mais le maître n’est pas toujours bon ; il y en a dont la main, armée du fouet, est plus portée à frapper qu’à caresser.

Pour la femme il en était de même (mutatis mutandis). Le chien ne parle pas et la femme parle, cela lui a servi dans bien des cas à améliorer son sort. Quand on parle on peut mentir, on peut ruser, on peut circonvenir un maître naïf ou aveuglé par la passion. Alors il arrive que les rôles soient renversés ; le maître devient l’esclave.

« Qui donc commande quand il aime
« Et quel empire reste au cœur
« Où l’amour met son pied vainqueur ».

Une des raisons qui rend difficile l’affranchissement féminin est que l’esclavage de la femme est spécial ; c’est un esclavage sexuel.

Or, le sexe est très puissant, Freud a montré qu’il est encore plus puissant qu’on ne croyait. En jouant de son sexe comme d’un appât qu’on promet, qu’on refuse, qu’on donne et qu’on retire : la femme peut beaucoup et elle le sait bien. Il arrive même qu’elle ne sache que cela, tout le reste, pour elle, étant accessoire. Ensorcelé, l’homme donne son argent quand il en a, son influence, son honneur, etc… Et Nana lui danse sur le ventre.

Mais Nana est jeune et belle ; on n’est pas toujours jeune et la plupart des femmes ne sont jamais belles. L’amour ne dure pas toujours, comme on le répète à satiété. Autant le maître a été empressé et charmant, autant il est indifférent et dur. La femelle est devenue pour son mâle un être qui ne lui dit plus rien. S’il est marié l’homme supporte tant bien que mal la chaîne. Quand il a de l’argent il se venge en entretenant une ou plusieurs autres femmes. Quand il n’en a pas, force lui est bien de se contenter de la légitime, insipide ragoût. La mauvaise humeur se répand en bouderies, en propos aigres-doux, en gros mots, en coups.

Décidément le mariage ne fait pas toujours le bonheur et la femme voudrait bien s’en affranchir. Mais que devenir ? Pas de métier défini. Elle est ménagère, c’est-à-dire qu’elle sait faire médiocrement un certain nombre de choses. Elle cuisine, mais pas assez bien pour être cuisinière ; elle lave mais une patronne blanchisseuse n’en voudrait pas comme ouvrière ; elle coud, mais elle ne sait pas faire une robe, elle ne peut travailler en atelier. En outre souvent il y a des enfants. Comment les fera-t-elle vivre, alors que sa vie à elle serait si difficile à assurer ?

Nana vit mieux en un certain sens. Elle a pour amants des bourgeois qui la comblent de luxe. Mais Nana ne sera pas toujours jeune. Si elle n’a pas fait d’économies, ce qui est le cas ordinaire, car de nombreux parasites la grugent de toutes manières, à quels bas-fonds ne tombera t-elle pas ? Marchande au panier, chiffonnière, mendiante, elle ira couverte de haillons et de vermine, avaler chez le bistro le petit verre qui donne un peu d’oubli. L’hôpital l’attend et à la fin, la table de dissection, sort terrible.

II

L’avénement du machinisme a inauguré l’essor de la travailleuse.

Le même travail exécuté à la main, exigerait des muscles de mâle, est devenu grâce à la machine, à la portée de la faiblesse. Aussi le capitalisme de s’écrier :

« Du travail de femme !

« Du travail d’enfant ! »

La femme court à l’usine et accepte de travailler à meilleur marché. Comment ne le ferait-elle pas ; ce travail, c’est une aubaine. Avant lui le ménage avait peine à joindre les deux bouts. Évidemment la femme ménagère cuisinait avec économie, elle lavait, raccommodait. Mais le mari buvait deux litres de vin par jour, il ne lui faut pas moins, sans compter les apéritifs, les pousse-cafés, les tournés offertes et rendues. Le marchand de vin est un salon, c’est là qu’on se rencontre, c’est là qu’on se cause ; on ne peut vivre enfermé chez soi comme un ours entre une bourgeoise qui grogne et des gosses qui hurlent. Le salaire de la femme apporte le bien être au foyer. Le loyer sera payé régulièrement, un abonnement permettra d’avoir des habits de rechange. L’épouse, coquette de son intérieur, remplacera les planches par un buffet où brillera la vaisselle.

Le ménage souffrira bien un peu des journées passées à l’usine, l’ouvrière n’ira plus au lavoir ; mais la cuisine, le balayage, le raccommodage seront à peu près assurés ; l’ouvrière y consacrera ses soirées. Car il est évident que l’homme ne peut pas y aider, cela n’est pas son affaire, il a trop de dignité pour se laisser tomber en quenouille.

Les enfants deviennent une calamité, on ne sait qu’en faire. Le bébé est placé à la crèche et retiré le soir. Des patrons aux idées modernes, comprenant qu’il fallait s’adapter aux cas de la femme, ont fait les frais d’une crèche annexée à l’usine. Une infirmière est là qui soigne les enfants ; on donne quelques instants à la mère pour y allaiter son bébé.

Après la crèche vient l’école maternelle, puis enfin l’école. Bon débarras !… On est tranquille pour la journée, surtout avec les cantines scolaires qui donnent aux écoliers le déjeuner de midi. Il y a encore un trou entre quatre et sept heures. L’enfant est livré à lui-même ; cela est gênant tant qu’il n’a pas atteint un âge raisonnable.

L’homme cherche à bannir la femme du travail. C’est une concurrente ; elle travaille à un salaire inférieur, même quand son rendement est égal. L’homme, en outre, est l’ennemi de la femme, qui le lui rend d’ailleurs. Quand il peut la faire chasser des ateliers, il n’y manque pas ; il se moque qu’elle ait ou non à manger. Il ne veut pas comprendre que toutes les femmes ne peuvent pas faire le trottoir.

Mais ce que l’homme refuse comme travailleur, il le permet comme mari, comme père d’une jeune fille. Vingt francs par jour sont bons à prendre ; avec cela on bouche bien des trous.

La dernière guerre a ouvert de larges horizons aux travailleuses ; comme d’ailleurs aux femmes en général. L’absence des hommes leur rendait le champ libre, leur travail était demandé partout.

D’un coup l’esclave entrevoyait la liberté relative que confère un argent qu’on a gagné soi-même, la certitude qu’elle pouvait en frappant à la porte d’une usine être accueillie et recevoir la somme fantastique de quarante francs pour une journée de travail.

Temps paradisiaque ! Ce n’était que bas de soie, fourrures de lapin, bijoux en fixe, eau de Cologne. On se mettait du rouge aux lèvres, on enfilait des bas de soie pour aller à l’usine. Car il fallait y aller, évidemment ; mais on ne peut pas tout avoir.

Lorsque le maître venait en permission, il trouvait sa femme teinte en jaune. Quoi, alors ? Non seulement le gouvernement l’avait pris, mais il fallait encore qu’on lui prenne sa femelle. Où est le plaisir avec une femme au visage et aux mains couleur citron. Mais la femme se redressait : « Qu’est-ce qui te prend. Ne savais-tu pas que je suis aux munitions ; c’est la mélinite.

Pour les chaussettes symboliques, elle l’envoyait promener… Il y a des trous… flanques-les aux ordures et achètes-en d’autres… Le monde renversé, quoi. Oh, cette guerre !

Des pacifistes ont vivement reproché aux femmes d’avoir consenti à fabriquer des engins de meurtre. Il y a bien des choses dans ces reproches ; de l’hypocrisie, de la misogynie, etc., il est d’ailleurs dénué de fondement. Les femmes reléguées hors la vie sociale depuis toujours, ne sauraient d’un coup se révéler pacifistes révolutionnaires. Évidemment, elles n’aiment pas la guerre qui leur prend leur homme et leur fils ; mais elles ne se croient pas en état de l’empêcher.

Les hommes directement intéressés à la guerre y allaient comme des moutons à l’abattoir. Et les heureux qui avaient réussi à échapper au front ne se refusaient nullement à fabriquer les munitions qui iraient tuer leurs camarades du prolétariat allemand.

Jamais d’ailleurs un ouvrier moyen de l’un ou l’autre sexe, une poignée d’anarchistes mise à part, ne se demande si les choses qu’il fabrique à l’usine auront une destination idoine. Ce qu’il considère uniquement, c’est le salaire. Les femmes faisaient de même ; elles pensaient que quarante francs par jour valaient mieux que sept francs cinquante par semaine que le gouvernement leur octroyait à titre d’allocation.

La guerre terminée, les hommes sont rentrés ; finie la bonne vie. L’usine, les tramways, les bureaux licenciaient les femmes ; la vie traditionnelle allait reprendre.

Certes, les très mauvais ménages mis à part, les femmes étaient contentes de voir revenir leur mari. Mais tout de même elles avaient pris goût à l’indépendance relative que donne le travail. On entendait les receveuses se lamenter dans les tramways parce qu’on allait les renvoyer. Évidemment elles ne songeaient pas à se révolter, les temps n’étaient pas révolus ; ils ne le sont d’ailleurs pas devenus.

L’après-guerre cependant n’a pas rétabli le statu quo ante. On peut dire que la guerre a précipité l’émancipation économique de la femme. Les carrières administratives ont ouvert aux femmes une porte plus large, d’autant mieux que les hommes, loin de rechercher avidement comme autrefois la situation médiocre mais assurée du bureaucrate, la dédaignaient au contraire pour courir à l’industrie privée plus rémunératrice. Le baccalauréat que très peu de jeunes filles briguaient avant la guerre est devenu général dans la bourgeoisie, au point qu’il a fallu, au désespoir des esprits rétrogrades, unifier l’enseignement secondaire des deux sexes. Avec la licence en droit, en lettres, en sciences, nombre de jeunes filles trouvent place dans les ministères, dans les cabinets des avocats et des avoués, dans les usines de produits chimiques, etc.

Les situations ne sont pas brillantes, mais elles permettent de vivre modestement sans être à la charge de personne. Si le mari vient, on le prendra ; s’il ne vient pas, on s’en passera.

Le mariage d’ailleurs n’entraîne plus ipso facto la cessation du travail. Le gain de la femme est devenu nécessaire au ménage, même dans la petite bourgeoisie. La vie a sextuplé et les traitements sont loin de correspondre toujours.

La natalité souffre évidemment du nouveau genre de vie. L’enfant devient très gênant. Mais les idées ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois. Autrefois la femme subissait la maternité parce qu’elle ne voyait pas le moyen de s’y soustraire. Maintenant les moyens lui sont connus, on peut donc prédire que les maternités nombreuses ne reviendront jamais.

Les besoins se sont accrus. Autrefois l’ouvrier ne voyageait jamais et le petit bourgeois se payait rarement le luxe de vacances au bord de la mer. Les journaux satiriques pouvaient railler le ménage plus prétentieux qu’argenté qui fermait ses volets pour faire croire qu’il était parti.

Cela est bien périmé aujourd’hui. Qui ne s’en va pas ? La vendeuse de magasin, le petit boutiquier prennent leur quinzaine ou leur mois de vacances. L’ouvrier réclame des vacances payées qu’il a d’ailleurs dans certains établissements. C’est au point que les riches, offusqués de voir les gens de rien les imiter dans leurs déplacements, envisagent l’idée de rester chez eux, trouvant que, pendant l’été, on est aussi bien à Paris qu’ailleurs.

III

Que la femme ait comme l’homme le droit de vivre en travaillant, cela est de l’élémentaire justice. La vie dans la dépendance d’un homme ne saurait lui être imposée. Cet homme, la femme le prendra ; c’est un besoin de la nature, mais elle ne doit pas y être contrainte par des nécessités économiques. Le fameux dilemme de Proud’hon : ménagère ou courtisane ne pouvait être défendu que par un homme qui voulait borner la liberté à la moitié mâle de la population.

Dans une société rationnelle tout individu quel que soit son sexe, doit trouver automatiquement contre du travail son existence assurée.

La lutte des sexes doit disparaître comme toutes les autres. Les groupes humains se sont entredéchirés depuis l’origine de l’humanité ; chaque groupe voulait se réserver le bien-être et en priver les autres. Lutte des peuples, lutte des classes.

La lutte des sexes se voit moins parce qu’elle est plus sournoise ; elle n’en est pas moins générale.

La rationalisation sociale supprime la lutte pour l’existence, elle admet que tout homme, toute femme, tout enfant a le droit de vivre.

La cellule familiale, père, mère, enfants est fortement ébranlée par la nécessité du travail féminin.

Jusqu’ici il semble que le travail, loin d’affranchir la femme mariée, ne fait que l’accabler, puisqu’elle doit être à la fois ouvrière et ménagère. La destruction du préjugé qui interdit à l’homme d’aider sa femme aux travaux de la maison n’est pas une solution ; ce serait d’ailleurs une œuvre lente et aléatoire. C’est le ménage lui-même qu’il faut transformer.

Le ménage est comparable à ce qu’était autrefois la petite industrie ; on mettait beaucoup de temps à produire peu.

Les cent fourneaux qui cuisent dans une maison le repas de cent ménages pourraient descendre au sous-sol et se fondre en un seul. En outre, pourquoi faire aller et retour des kilomètres en métro pour venir manger chez soi, encore une routine. Un restaurant installé au lieu du travail, pourrait donner le repas de midi. On y joindrait une salle de repos pour lire les journaux, causer, etc.

Le soir l’ouvrier et l’ouvrière rentrent à la maison. Cela doit être pour se reposer et se distraire et non pour travailler.

On a commencé à bâtir des maisons ouvrières aménagées pour la vie moderne, mais en cela comme en toutes les réformes on a agi avec timidité.

La maison bâtie par exemple pour mille personnes doit comprendre :

1o Des restaurants.

2o Une infirmerie pour maladies légères.

Les malades sont en général très mal soignés chez eux, surtout dans la classe ouvrière. On n’a pas le temps, on n’a pas d’argent et beaucoup d’ignorance. Le malade est souvent le jour abandonné dans le lit aux draps malpropres. Le plus souvent la chambre n’est pas chauffée en hiver. Le médecin vient, prescrit une ordonnance qu’on exécute à moitié ou pas du tout. Mettre des ventouses, dit la parente, je n’en ai pas, et je ne sais pas les mettre. Après tout est-ce bien nécessaire ? La grippe devient bronchite, congestion pulmonaire et par surcroit le malade contamine sa femme. Que de tuberculoses attrapées au lit !

Quant au célibataire malade sa situation est lamentable. Il est à la merci de sa concierge, il peut rester des jours sans nourriture et sans soins.

Pour enrayer cela, il n’est besoin que d’un local, pas très grand, pourvu d’une ou deux infirmières avec tout ce qu’il faut pour soigner une grippe ou une indigestion et le téléphone pour appeler le médecin en cas de besoin.

Le malade se rend à l’infirmerie par l’ascenseur, il est soigné convenablement et sa famille est tranquille.

3o Une équipe ménagère qui fait le ménage des locataires. Elle vient le matin pendant que les occupants sont au travail. Balais, torchons, aspirateurs font leur œuvre. En rentrant le soir, le couple trouve le logement propre ; plus de seconde journée.

4o Un service de réparation et de blanchissage.

Le samedi matin on fait un paquet de son linge sale, des bas et chaussettes trouées, des chaussures et des vêtements déchirés. Le samedi suivant on trouve tout nettoyé et réparé. Plus d’heure d’ennui passée au raccommodage des chaussettes, ce symbole de l’esclavage féminin.

5o Une garderie d’enfants avec un jardin.

Que de gens de mauvais naturel blâment aigrement les mères de traîner au cinéma leur bébé. Certes le bébé ne s’amusera pas au cinéma, il n’est pas non plus un sujet de plaisir pour les spectateurs quand il pousse des cris perçants. Mais la mère a elle aussi besoin de distraction, si elle n’a personne à qui confier son poupon, force lui est bien de l’emporter avec elle.

La garderie d’enfants pourvue de lits, de jardin pour jouer, etc., libérerait la mère. Elle pourrait aller tranquillement s’instruire ou s’amuser, certaine que ses enfants sont en sécurité.

Des lecteurs vont penser que cette maison paradisiaque ne s’élèvera que dans un communisme lointain. Point ne lui est besoin de communisme. Tous ces services peuvent être payés par les locataires et être compris dans le loyer comme on y comprend aujourd’hui, dans les maisons modernes, le chauffage.

Dans sa célèbre « Sonate à Kreutzer », Tolstoï s’élève contre la lutte des sexes. Cette lutte toute de ruses, dans laquelle la femme tâche de circonvenir l’homme. La jeune fille avec ses cheveux coquettement coiffés, son visage arrangé, ses robes excitantes, son badinage léger, vise à attirer les mâles. Si elle a affaire à un intellectuel elle feint de partager son idéal, de se passionner elle aussi pour les grands problèmes que se pose l’humanité. Une fois mariée tout tombe. L’homme s’aperçoit que l’intellectuelle ne l’est pas du tout ; seuls des intérêts mesquins occupent son esprit.

Le même sujet est traité par Alphonse Daudet dans « Femmes d’artistes ».

C’est à mon avis un point de vue faux. L’homme recherche surtout dans celle dont il veut faire une compagne l’attrait physique. Le génie d’une femme laide et difforme le laisserait indifférent.

Tant que la femme ne trouve pas sa vie par le travail, la conquête du mâle est son moyen de lutte pour la vie. L’homme étant le dispensateur de tous les biens, la femme met tout en œuvre pour l’accaparer, sa jeunesse, sa beauté, sa coquetterie sont ses armes.

D’autres auteurs ont exprimé la crainte que la femme, une fois sa vie assurée par le travail, fuirait le mâle et que celui-ci ne pourrait plus satisfaire sa sexualité.

Cette crainte n’est pas fondée. La mentalité actuelle de la femme est artificielle.

On a élevé la femme dans la croyance que l’acte sexuel, lorsqu’il n’est pas le devoir du mariage, est immoral et honteux. Les femmes mettent tous leurs soins à refouler un instinct que la société leur ordonne de détruire. Dans ces dernières années d’ailleurs, il y a eu à cet égard de grands changements dans l’appréciation des valeurs et les femmes osent ce que leurs mères n’auraient pas osé. Les romans écrits par des femmes sont pleins des désillusions de la dévirginisation, de la légitimité de l’adultère, de la réhabilitation du lesbianisme comme remplacement, etc. Nos mères n’auraient jamais osé étaler de pareilles choses, chacune gardait pour elle ses rancœurs, cherchant au besoin des consolations dans la religion.

Le travail de la femme n’a pas pour effet de l’éloigner de l’homme. Les jeunes gens et les jeunes filles sont moins séparés qu’autrefois et le mariage est plus facile. C’est au bureau, à l’atelier qu’on fait connaissance.

Le mariage il est vrai est moins durable. On ne se marie plus guère pour la vie. Le divorce permet de reprendre une liberté engagée à la légère. Faut-il le déplorer, nullement.

Le ménage d’autrefois n’était qu’une façade. Aux yeux du monde il présentait un couple uni sinon par l’amour, du moins par l’affection. En réalité les époux très souvent loin de s’aimer se détestaient ; l’homme avait des maîtresses et la femme rongeant son frein, supportait un foyer qui lui était odieux parce que ce foyer la faisait vivre.

La femme indépendante économiquement rompt plus facilement une union qui ne lui donne que du malheur. C’est un bien et non un mal. Rien ne doit obliger l’individu à vivre une vie qui lui déplait.

L’idée de la concurrence que les femmes font aux hommes dans le travail n’est que l’expression d’un égoïsme mesquin. La femme a besoin de manger et doit pouvoir le faire autrement que par la prostitution.

La guerre nous a montré que la distinction des métiers en masculins et en féminins tenait de l’usage et non de la nature. Les femmes ont montré qu’elles pouvaient conduire des tramways, porter des sacs de charbon, bâtir des maisons, etc.

On objectera qu’il n’est pas séant à une femme de montrer un visage noirci par le charbon ou blanchi par le plâtre. Si l’on pense ainsi c’est parce qu’on ne veut pas renoncer à voir en la femme l’esclave sexuelle, toujours préoccupée de plaire. Mieux vaudrait pour l’homme comme pour la femme ne pas être sali par le travail, mais la femme n’est pas plus diminuée que l’homme.

D’ailleurs nombre d’hommes font des travaux que leur délicatesse ferait plutôt ranger dans les spécialités féminines ; les coiffeurs de dames, les employés de magasins qui mesurent la soie et la dentelle, essayent les gants, etc.

C’est paraît-il dans un but sexuel que l’on a placé derrière les comptoirs ces jeunes hommes que leurs épaules carrées sembleraient désigner pour des travaux plus pénibles. Il paraît que les dames achètent plus volontiers au jeune homme aimable qui introduit délicatement leur main dans un gant qu’à une jeune fille préposée à ce même travail ; effet du « sexe appel ».

Qu’il y ait égalité absolue entre les sexes à l’égard du travail, on ne saurait l’affirmer. La faiblesse de la femme a été exagérée. Aujourd’hui les femmes montent en avion et volent quarante heures sans descendre, nombre de femmes nagent très bien, font de la course, de la bicyclette, de l’automobile, etc. Les sports et la culture physique ont fait que la jeune fille n’est plus cette fleur délicate que la moindre fatigue faisait faner. Il n’est plus de bon ton, pour une jeune fille, de s’évanouir à la moindre émotion.

La femme cependant n’est pas l’égale de l’homme en force musculaire. Mais cela ne peut l’éliminer que des rares professions exceptionnellement dures, comme celle de terrassier, par exemple. L’homme est loin de donner toute sa force dans le travail.

On a argué aussi de la faiblesse des femmes pour les bannir du travail général. Le travail continu causerait l’anémie, ferait naître des enfants rachitiques, etc.

Cette argumentation vient des hommes à l’esprit attardé qui voudraient maintenir la femme dans la dépendance maritale.

Le travail quotidien, surtout lorsqu’il est par trop prolongé, n’arrange personne. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à assister à un défilé d’ouvriers se rendant à une manifestation, visages ravagés avant l’âge, corps déjetés. Un défilé de bourgeois a un aspect tout différent.

À l’argument tiré de la protection de la race, je répondrai que la femme n’est pas une jument poulinière et que toute sa vie ne saurait être subordonnée à deux ou trois grossesses, pendant lesquelles elle pourra prendre quelque repos.

Il ne faut pas d’ailleurs oublier que la femme entretenue au foyer, travaille et d’un travail fatigant. Une mère de deux ou trois petits enfants besogne du matin au soir. Une masse de linge à laver, des soins de propreté de tous les instants, la confection et la réparation des vêtements, le nettoyage du logement, les provisions, la cuisine. La jeune ménagère n’est guère plus florissante que l’ouvrière.

On a dit que le travail, c’était la liberté. Il semble qu’il y ait eu là une gageure. Pauvre liberté que celle qui consiste à être courbé tout le jour sur de l’étoffe, du fer, du bois ou des lettres de commerce à dactylographier. Il fait beau temps, mais c’est à peine si on s’en aperçoit, car l’atelier donne sur une cour étroite et grise, les murs de l’usine sont noircis de fumée. La rue ensoleillée invité à la promenade ; la voilà bien la liberté, elle est pour qui a des rentes.

Le travail est cependant dans une certaine mesure la liberté, parce que l’argent gagné assure quelque indépendance. Pour la jeune femme le travail est la liberté parce qu’il la sort de la maison. À l’atelier, on voit des camarades, on échange des idées ; le champ de l’esprit est plus large. La vie n’est plus bornée au mari, au enfants et à quelques voisins.

Le mari est un maître, le patron en est un aussi, mais son autorité est moins étroite ; elle ne s’étend pas sur tous les instants de la vie. En outre l’autorité est moins dure ; un patron ne donne pas de coups ; il se contente de réprimander ou de renvoyer. Enfin on peut plus aisément remplacer un patron trop dur qu’un mari qui fait de la vie un enfer.

Confinée dans son ménage, la femme garde un esprit étroit rempli de mesquineries. En dehors du cercle de ses proches, la seule chose à laquelle elle prenne un intérêt est la religion.

La ménagère est un frein social. Comment les partis d’avant-garde n’ont-ils pas compris cela depuis longtemps. Sans doute ils l’ont compris, mais l’égoïsme du mâle a été plus fort.

La notion du droit de l’individu à la vie et à la liberté est toute récente. Les discours les plus enflammés sur la liberté, des hommes de la grande révolution, n’entendaient célébrer que la liberté masculine. Libre citoyen dans l’État, chaque homme entendait disposer de sa femme qui pensait-il lui appartenait. On avait établi la république dans le pays, mais la monarchie continuait à sévir dans la famille ; le dogme de la puissance paternelle et maritale courbait femme et enfants.

Lentement mais sûrement la démocratie gagne la famille et son plus solide instrument sera l’émancipation économique de la femme.

Doctoresse PELLETIER.
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