mort du cardinal Jean à Avignon, la perte de Laure, l’éloignement ou la mort de plusieurs amis, marquèrent pour Pétrarque cette triste période de 1347-1348. Deux ans après il se rendit à Rome au jubilé, et en passant par Florence il vit Boccace, qu’il avait connu à Naples et avec lequel il contracta une plus étroite amitié. Cette année 1350 et la suivante nous le montrent à Arezzo, à Padoue, à Venise, partout fêté, consulté sur les plus grandes affaires et intervenant peur les apaiser dans les querelles des États italiens. C’était un spectacle nouveau et de bon augure pour la grandeur future des lettres, que l’influence de cet écrivain, qui comptait panai ses flatteurs et ses clients des princes et des républiques. Le 6 avril 1351, anniversaire doublement sacré, il reçut un message du sénat de Florence qui lui annonçait qu’il était rétabli dans ses biens et ses droits de citoyen. Boccace, qui lui porta le message, lui transmit en même temps l’offre d’être directeur de l’université que l’on venait de fonder à Florence. Pétrarque fut touché de la proposition, mais il ne l’accepta pas et il repartit bientôt pour Vaucluse. Partagé entre sa chère retraite et les tracas de la cour pontificale, entre le souvenir de Laure et son zèle pour la cause italienne, donnant an pape Clément VI de généreux conseils sur le rétablissement de l’ordre et de la liberté à Rome, protégeant Rienzi prisonnier, Pétrarque vit sa réputation s’étendre et s’ouvrir devant lui la perspective des hautes dignités ecclésiastiques et politiques. Mais il préférait l’indépendance aux grandeurs, et, loin de s’attacher à la cour pontificale, il quitta pour toujours Avignon au mois de mai 1353. Les princes et les seigneuries de l’Italie se le disputaient. Jean Visconti, prince-archevêque de Milan, l’emporta par son insistance presque tyrannique. En 1354, Visconti envoya Pétrarque à Venise pour négocier la paix entre cette république et celle de Gènes ; il fut reçu avec beaucoup de distinction, mais il ne réussit pas dans sa mission. Jean Visconti mourut peu après, et ses trois neveux se partagèrent ses domaines. Pétrarque s’attacha à Galéas, le plus jeune et le plus capable des trois.
En novembre 1354 l’empereur Charles IV arriva d’Allemagne à Mantoue, et appela près de lui Pétrarque, avec qui il était en correspondance. Depuis la chute méritée de Rienzi, Pétrarque avait reporté sur Charles IV ses espérances pour la pacification de l’Italie ; il lui avait adressé à ce sujet, en 1350, une lettre éloquente qui resta trois ans sans réponse et qui devait rester sans résultat. Cependant, à l’approche de ce médiateur, qu’il appelait de tous ses vœux, il sentit rebattre son espoir patriotique. Il se rendit à Mantoue, passa plusieurs jours auprès de l’empereur et raccompagna à Milan. Il aurait voulu qu’il se fixât en Italie ; mais Charles IV, après s’être fait couronner à Milan et à Rome et avoir rétabli la paix entre Venise et Gênes, retourna en Allemagne. En 1336 les Visconti, soupçonnant l’em-
pereur d’intentions hostiles à leur égard, lui envoyèrent Pétrarque. Celui ci rencontra Charles à Prague, s’assura que les craintes des Visconti n’étaient pas fondées, et revint à Milan avec le titre de comte palatin. Dans les années suivantes, il vécut à Garignano près de l’Adda, dans une jolie maison de campagne qu’il appela Linternum en mémoire de Scipion l’Africain Objet de l’admiration générale, il aurait été heureux, si un fils naturel nommé Jean, qu’il avait eu d’une femme d’Avignon, ne lui eut donné du chagrin. La mauvaise conduite de son fils, peut-être aussi sa propre inquiétude, le décidèrent à quitter Linternum et à s’établir dans le monastère de Saint-Simplicien près de Milan. Galéas Visconti l’en tira, en 1360, pour l’envoyer à Paris complimenter le roi Jean sur sa délivrance. Il a décrit dans ses Épîtres familières le misérable état de la France dévastée par la guerre. Le roi et le dauphin lui firent le meilleur accueil et s’efforcèrent de le retenir ; vers le même temps, l’empereur l’appelait en Allemagne. A toutes ces instances accompagnées de magnifiques promesses, il opposa son amour de la patrie, et cette passion de l’indépendance qu’il nommait « sa paresse ». Il revint dans son Italie, qui n’était pas exempte des fléaux qui dévastaient le monde. La peste et la guerre le forcèrent de quitter le Milanais pour Padoue, et Padoue pour Venise en 1362. Peu après son arrivée il offrit sa bibliothèque à l’église de Saint-Marc. La république accepta le don, et assigna un palais pour le logement de Pétrarque et de ses livres. Ce fut le commencement de la célèbre bibliothèque de Saint-Marc, qu’augmentèrent ensuite les dons du cardinal Bessarion et d’autres. Pétrarque passa plusieurs années à Venise, honoré par le doge et les principaux sénateurs, et faisant de temps en temps des excursions à Padoue, Milan et Pavie pour visiter ses amis les Carrara et Galéas Visconti. En 1368 il assista au mariage de Violante, fille de Galéas, avec le prince Lionel d’Angleterre. De retour à Padoue, il reçut une pressante invitation du pape Urbain V, qui avait fixé sa résidence à Rome et qui désirait ardemment le voir. Pétrarque avait une grande estime pour le caractère d’Urbain, et malgré son âge et ses infirmités il résolut de répondre à rappel du pontife (1370). Ses forces le trahirent ; il s’évanouit en arrivant à Ferrare, et resta comme mort pendant trente heures. Nicolas d’Este, seigneur de Ferrare et son frère Hugo, l’entourèrent de soins qui le ramenèrent à la vie ; mais les médecins déclarèrent qu’il était incapable de continuer son voyage, et on le reconduisit à Padoue en bateau. Il s’établit dans l’été de 1370 à Arqua, agréable village situé dans les monts Euganéens. Il fit bâtir au haut de ce village une petite maison. C’est la seule des nombreuses demeures qu’il avait à Parme, Padoue, Venise, Milan, Vaucluse, qui existe encore et que l’on montre aux voyageurs. Là, entouré de Tullia, sa fille naturelle, de son
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