gendre, d’un ecclésiastique, il reprit avec une nouvelle ardeur ses études et ses travaux littéraires, occupant quelquefois jusqu’à cinq secrétaires. Entre autres ouvrages, il composa son traité De sa propre ignorance et de celle de beaucoup d’autres (De sui ipsius et multorum aliorum ignorantia), destiné à combattre certains jeunes libres penseurs vénitiens qui, fiers de la science qu’ils avaient acquise dans les commentaires d’Averroès sur Aristote, récemment traduits en latin, se moquaient du récit de la création par Moïse et des Écritures en général. Quatre de ces jeunes gens avaient recherché la société de Pétrarque pendant son séjour à Venise. Les trouvant instruits, spirituels, amoureux de l’étude, il se plut d’abord beaucoup dans leur société ; mais cette sympathie ne dura pas longtemps. Il n’avait pas une aveugle vénération pour Aristote, et encore moins pour Averroès. Il croyait aux saintes Écritures, et avait peu de goût pour l’histoire naturelle, qui attirait particulièrement ses visiteurs. Il avait l’habitude de dire qu’il est plus important d’approfondir la nature de l’homme que celle des quadrupèdes, des oiseaux et des poissons. Les quatre admirateurs d’Aristote furent scandalisés de la liberté avec laquelle il traitait leur oracle, et dans une sorte de tribunal littéraire, tenu pour prononcer sur les mérites de Pétrarque, ils décidèrent que c’était un homme de talent qui manquait de savoir, Bonus vir sine literis. Ce jugement fit beaucoup de bruit à Venise ; Pétrarque se contenta d’abord d’en rire, puis, sur les instances de ses amis, il consentit à se défendre dans le traité que nous avons cité ; il y convient de son ignorance et démontre celle de ses adversaires. D’Aristote lui-même il dit : que c’était un grand et puissant esprit qui savait beaucoup de choses et en ignorait encore plus. L’air pur des collines Euganéennes ne rendit pas la santé à Pétrarque. En vain son médecin, Jean Dondi, l’avertissait que son régime était trop austère, qu’il ne devait pas boire de l’eau, ni manger des fruits et des légumes crus, ni jeûner aussi souvent qu’il le faisait. Le malade ne croyait pas à la médecine ; il a même écrit quatre livres d’invectives contre les médecins. Il estimait Dondi comme philosophe et non comme médecin. La nouvelle du retour d’Urbain V à Avignon bientôt suivi de la mort du pontife lui causa un vif chagrin. Grégoire XI, successeur d’Urbain, connaissait Pétrarque, il lui écrivit une lettre aimable et pressante pour l’attirer à sa cour en 1371 ; mais Pétrarque était incapable d’entreprendre un aussi long voyage. Il répondit à Francesco Bruni, secrétaire apostolique, « qu’il n’avait rien à demander au pape, à moins que sa sainteté ne voulût lui accorder un bénéfice sans charge d’âmes, car il avait bien assez de prendre soin de la sienne ; ce bénéfice assurerait l’aisance de sa vieillesse, et il en serait reconnaissant, quoiqu’il sentit qu’il n’était pas pour longtemps au
monde, car il dépérissait et se réduisait à l’état d’ombre. Il n’était pas dans le besoin ; il avait deux chevaux et généralement cinq ou six secrétaires, quoique pour le moment il n’en eût que trois, parce qu’il n’avait pas pu en trouver davantage. Il serait plus facile de se procurer des peintres que des copistes. Quoiqu’il eût préféré prendre ses repas seul ou avec le prêtre du village, il était généralement assiégé par une armée de visiteurs ou d’hôtes qui s’invitaient eux-mêmes, et il ne pouvait pas les traiter comme un avare. Il désirait bâtir un oratoire à la vierge Marie ; mais pour exécuter ce projet il devait vendre ses livres ou les mettre engage. »
Quelques mois après (janvier 1372) écrivant de Padoue à son vieil ami Matthieu, archidiacre de Liège, il lui disait : « J’ai été malade dans ces deux années, et plusieurs fois dans un état désespéré, mais je vis encore. J’ai été quelque temps à Venise, et maintenant je suis à Padoue, remplissant mes fonctions de chanoine. Je suis heureux d’avoir quitté Venise à cause de la guerre entre la république et le seigneur de Padoue. A Venise j’aurais été un objet de soupçon, tandis qu’ici je suis chéri. Je passe la plus grande partie de mon temps à la campagne ; je lis, je pense, j’écris ; telle est mon existence, telle qu’elle était dans ma jeunesse. » En septembre 1373, la paix fut conclue entre Venise et François de Carrare, seigneur de Padoue. D’après une des conditions du traité, François dut envoyer son fils à Venise demander pardon et jurer fidélité à la république. Il pria Pétrarque d’accompagner le jeune prince. Le poète parut devant le sénat, et y prononça un discours qui fut très-applaudi. L’année suivante sa santé devint plus mauvaise ; une fièvre lente le consumait. Suivant son habitude, il se rendit à sa villa d’Arqui pour y passer l’été. Le matin du 18 juillet, un de ses serviteurs entra dans sa bibliothèque, et l’aperçut assis sans mouvement, la tête penchée sur un livre. Comme on le voyait souvent dans cette attitude, on ne s’en effraya pas d’abord ; mais on s’assura bientôt qu’il n’était plus. A la nouvelle de sa mort, François de Carrare, accompagné de toute la noblesse de Padoue, l’évêque et son chapitre, avec la plus grande partie du clergé, allèrent à Arqua et assistèrent à ses funérailles. Seize docteurs de l’université portèrent ses restes à l’église paroissiale d’Arqua, où il fut enseveli dans une chapelle qu’il avait construite en l’honneur de la Vierge. François da Brossano, son gendre, lui éleva un monument en marbre.
Pétrarque eut deux enfants naturels pendant son séjour à Avignon : un fils et une fille. Le fils mourut avant son père ; la fille épousa François da Brossano, gentilhomme milanais, qui fut le principal héritier de Pétrarque. Parmi les autres légataires du poète, on remarque Boccace, qui ne lui survécut pas longtemps. Les portraits de Pétrarque sont nombreux, mais ils offrent des différences sensibles. On regarde comme le