Vient de paraître
Loïc Artiaga, Rocky. La revanche rêvée des Blancs, Paris, Amsterdam-Les Prairies ordinaires, 2021, 240 p.
Le 27 novembre 1976, le boxeur Robert « Rocky » Balboa devient champion du monde des poids lourds. Au terme de quinze rounds, il triomphe par KO de son adversaire, le redoutable Apollo Creed. Ainsi débute la carrière de l’un des plus grands pugilistes de l’histoire, avec cinquante-sept victoires et deux titres mondiaux. Rocky n’a jamais existé mais il est devenu néanmoins aussi célèbre que Mohammed Ali, il apparaît plus vrai qu’aucun boxeur réel. Créé au cinéma par Sylvester Stallone – qui l’interprète – il suscite une « saga » de huit films entre 1976 et 2018 (Rocky, Rocky 2, la Revanche, Rocky 3, 4, 5, Rocky Balboa...). La culture médiatique a le pouvoir de conférer une réalité supérieure à ses héros, de créer « une autre vie présente » dans laquelle se déploie une histoire parallèle et nouée à la nôtre. Étudiant la fiction en historien Loïc Artiaga permet de cerner les fantasmes sociaux et leurs transformations. Pour ceux qui voulaient y croire, un Italo-Américain de Philadelphie, boxeur médiocre, trop lourd et trop lent pour être crédible sur un ring, a contré l’ascension des athlètes noirs et mis en échec Ivan Drago, champion soviétique, sur son « terrain ». Rocky cristallise les frustrations sociales, hantises raciales et autres peurs viriles de son époque ou` s’invente aussi, dans le monde « réel », le sport spectacle. Stallone, proche des Républicains dans son pays, s’est vu offrir un poste par Donald Trump – qu’il a refusé.
Katharina Bellan, Caroline Renard, Marguerite Vappereau (dir.), le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique. Une expérience de décentralisation, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2021, 420 p.
Entre 1979 et 1985, près de Marseille, sur le domaine de Fontblanche à Vitrolles, le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique a été un lieu unique de réflexion et de débats sur le cinéma, mais aussi d’accompagnement et d’aide à la création. Expérience de la décentralisation, le CMCC était un centre régional, équipé en matériel et outils de production, dont le cinéaste René Allio était la cheville ouvrière. Les activités et moyens du CMCC devaient offrir à des jeunes gens passionnés de cinéma un lieu ou` échanger, expérimenter des outils et créer des réseaux d’entre-aide associant réalisateurs et techniciens. Philippe Faucon et Robert Guédiguian y ont fait leurs premiers films. Des cinéastes comme Otar Iosseliani, Helma Sanders-Brahms, Alain Cavalier, Frederick Wiseman, Jean-Luc Godard, Robert Kramer, Youssef Chahine, Chantal Akerman s’y croisèrent. Archives et témoignages des principaux intervenants du centre, pour qui la mémoire de ce qui s’y est joué est encore vive, mais aussi textes d’analystes ou d’historiens du cinéma sont ici réunis pour relater l’histoire du CMCC et la tentative de donner une forme institutionnelle à l’utopie d’un cinéma de création en région. L’intelligence des textes de présentation des rencontres, la densité des discussions des séminaires et l’actualité des thématiques abordées CMCC, offrent une matière pour penser les potentialités de la décentralisation culturelle, toujours en jeu aujourd’hui.
Fabrizio Catalano, Vincenzo Aronica (dir.), Sciascia e il cinema, Rome, Centro Sperimentale di Cinematografia/Rubbettino, 2021, 176 p.
Fabrizio Catalano, petit-fils de Leonardo Sciascia, est longuement interviewé par Vincenzo Aronica sur chacun des films tirés de l’œuvre de l’écrivain sicilien. Sciascia a inspiré de nombreux films signés notamment par Elio Petri (A ciascuno il suo / À chacun son dû, Todo modo), Francesco Rosi (Cadaveri eccellenti / Cadavres exquis), Damiano Damiani (Il giorno della civetta / La mafia fait la loi), Florestano Vancini (Bronte), Gianni Amelio (I ragazzi di via Panisperna, Porte aperte / Portes ouvertes). Expert des mœurs siciliennes, en particulier de la criminalité organisée, Sciascia, dont l’écriture concise offrait déjà des suggestions stylistiques que les cinéastes et les scénaristes ne pouvaient que trouver stimulantes, était une référence : des témoignages de Roberto Andò, Beppe Cino et Giuseppe Tornatore soulignent cette influence. Quant à l’entretien – un peu égocentrique de la part de l’interviewé –, il permet de cerner combien Sciascia était attentif à l’adaptation de ses œuvres. Il rappelle aussi combien l’écrivain était un cinéphile, allant jusqu’à noter dans son agenda les titres des films qu’il voyait avec un bref commentaire et une note de 1 à 5.
Dominique Chateau, l’Idée cinématographique, Paris, Classiques Garnier, coll. « Recherches cinématographiques » 9, 2021, 193 p.
Après « le cinéma intellectuel » d’Eisenstein (1928), sa récusation par Béla Balázs sous le nom d’« image hiéroglyphe », après l’Intelligence d’une machine d’Epstein (1946), « l’image-pensée » de Deleuze (1985), l’Idée d’image de Marie-Claire Ropars (1995) et Comment pensent les films d’Aumont (2021), Dominique Chateau s’attaque à son tour à la question d’une idéation filmique à partir d’une prémisse anti-deleuzienne : « le film est représentation » et « ce qu’on interprète comme idée cinématographique dans un film peut d’abord se mesurer à l’écart entre le représenté et la représentation ». Pour Epstein, le cinéma « ne reproduit pas les choses telles qu’elles s’offrent au regard. Il les enregistre telles que l’homme humain ne les voit pas, telles qu’elles viennent à l’être, à l’état d’ondes et de vibrations, avant leur qualification comme objet, personnes ou événements identifiables par leurs propriétés descriptives et narratives » (Bonjour cinéma). L’examen de la question est conduit par le moyen d’analyses de films (Anna Karénine de Joe Wright [2012], The Curious Case of Benjamin Button de David Fisher [2008], 1917 de Sam Mendes [2019], les Chiens errants de Tsai Ming-liang [2013], le Caire raconté par Youssef Chahine [1991], Avant la pluie de Milcho Manchevski [1994], Twin Peaks de David Lynch [2019]). « Si vous ne vous intéressez pas au genre de film où des idées font sentir un auteur ne lisez pas ce livre... » écrit l’auteur en conclusion.
Franca Faldini, Goffredo Fofi, L’avventurosa storia del cinema italiano da La dolce vita a C’era una volta il west, Bologne, Cineteca di Bologna, 2021, 472 p.
Deux volumes avaient déjà été publiés : ils abordaient « l’aventureuse histoire du cinéma italien » de 1930 à 1960. Leur parution remontait à 2009 (les années 1930 et le début des années 1940) et 2011 (le néo-réalisme et les années 1950). On désespérait de voir paraître le tome 3 : voilà qui est fait, il couvre la période qui va de 1960 à 1968, de La dolce vita à Il était une fois dans l’Ouest – les années 1960, une sorte d’âge d’or du cinéma italien. Le principe de ces volumes est de n’être composés que d’un collage de déclarations des protagonistes sans aucune intervention des éditeurs sinon le choix des propos. Étonnant travail de montage de textes pour aboutir à une histoire orale dont on a vu, dans des publications récentes, combien elle permettait d’explorer des aspects inédits d’une cinématographie. Certes, au long de ces près de 500 pages, on fleurte parfois avec l’anecdotique mais on découvre aussi des éléments fondamentaux pour éclairer l’histoire du cinéma italien dans une période d’une exceptionnelle richesse. Précisons que les propos proviennent soit des journaux ou des revues ou` ils ont été publiés, soit d’entretiens inédits recueillis par les auteurs en vue de figurer dans leur ouvrage.
Antony Fiant, l’Attrait du silence, Crisnée, Yellow Now, 2021, 96 p.
Quand bien même on le réclame sur la plupart des plateaux avant chaque prise de vue, le silence au cinéma est difficilement tenable. Instinctivement associé au vide, au néant, à la contemplation, à la passivité, au temps suspendu, à la mort, ou encore à l’impossibilité de l’événement, le silence est craint. L’attrait du silence manifesté ou subi par les cinéastes et les personnages dans la quinzaine de films ici réunis (de The Student Prince in Old Heidelberg / Prince étudiant d’Ernst Lubitsch à Paterson de Jim Jarmusch en passant par Silence et Cri de Miklо́s Jancsо́) doit donc être entendu comme aspiration jamais véritablement concrétisée ni satisfaite. Le silence au cinéma est toujours relatif, perturbé, rompu, brisé, irrégulier, provisoire, dénaturé. Mais il ne provoque en rien une sclérose du sens, du récit ou encore de l’émotion, pour redonner temporairement la main au visible, à défaut de son autonomie complète. Le motif du silence – décliné selon quatre approches entrecoupées de focalisations sur des moments silencieux – est envisagé ici dans sa capacité à stimuler des récits fictionnels mais aussi documentaires. Dès lors il conviendra de se poser la question : par quoi est-il compensé ? Car le silence est très vite devenu un recours dramatique très efficace, non pas à le considérer isolément, mais grâce à sa confrontation ou sa juxtaposition avec les composantes de la bande-son que sont la parole, la musique et les bruits. Autrement dit, le silence a besoin d’elles pour résonner, à défaut de s’imposer comme quatrième composante.
Philippe Gonin, Jérôme Rossi (dir.), le Cinéma populaire français et ses musiciens, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 376 p.
À l’heure où la Cinémathèque française consacre une exposition à Louis de Funès, cet ouvrage semble tomber à point pour rendre hommage à un sujet laissé pour compte par la littérature universitaire : le cinéma populaire et ses musiciens. Souvent considérés comme moins « nobles » que le cinéma d’auteur, les films mettant en vedette des acteurs populaires et destinés à un public large n’en sont pas moins des œuvres qui méritent de retenir l’attention. De Misraki à François de Roubaix, en passant par Michel Polnareff, -M-, Georges Van Parys ou Raymond Lefèvre, les musiciens ont su, pour des films qui rencontrèrent fréquemment la faveur du public, composer des bandes originales alliant mélodies impérissables et partitions plus exigeantes, expérimentales parfois. C’est à ces musiciens, à ces films que se consacre cet ouvrage collectif, fruit d’un colloque dont l’invité vedette fut Vladimir Cosma.
Axel Huygue et Arnaud Chapuy, le SaintAndré-des-Arts. Désirs de cinéma depuis 1971, L’Harmattan, 2021, 96 p.
Le 27 octobre 1971, en plein cœur du Quartier latin, un nouveau cinéma ouvre ses portes : le Saint-André-des-Arts. Le succès des deux salles est fulgurant : les spectateurs plébiscitent une programmation qui affiche de jeunes auteurs qui interrogent la société après 1968. Derrière le succès du cinéma de la rue Saint-André-des-Arts officie un homme sensible et discret, Roger Diamantis. Il incarne bientôt la figure combative des exploitants indépendants du Quartier latin, malmenés par la puissance des grands circuits et du système de distribution des films. Ce livre relate le parcours d’un autodidacte qui a œuvré pour maintenir un lieu dédié à un cinéma exigeant et novateur.
Voir compte rendu dans ce numéro
Axel Huygue et Arnaud Chapuy, Rytmann. l’Aventure d’un exploitant de cinémas à Montparnasse, L’Harmattan, 2021, 128 p.
Dans les années 1930, un jeune entrepreneur autodidacte, Joseph Rytmann, ouvre dans ce XIVe arrondissement de Paris ses deux premiers cinémas, le Théâtre de Montrouge, au carrefour Alésia, et le Miramar, en face de la gare de Montparnasse. Ce livre retrace le destin de cet homme de cinéma qui assura dans ses salles l’exclusivité sur la Rive gauche des grands succès commerciaux durant l’après Deuxième Guerre mondiale. Avec ses documents historiques inédits et son reportage photo au cœur des salles de quartier, les auteurs nous offrent un passionnant voyage cinématographique dans un Montparnasse en perpétuelle mutation. Voir compte rendu dans ce numéro
Pierre-Emmanuel Jaques, Olivier Lugon (dir.), Henry Brandt, cinéaste et photographe, Neuchâtel-Zurich, Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel Scheidegger & Spiess, 2021, 352 p.
Cet ouvrage est le catalogue d’une exposition et une ressource documentaire et intellectuelle d’envergure concernant une figure quelque peu marginalisée de l’histoire du cinéma suisse des années 1950-1980, celle d’Henry Brandt, en dépit de la place que lui a accordée Freddy Buache dans son ouvrage le Cinéma suisse et dans ses critiques. C’est que, comme l’indique le titre de l’ouvrage, Brandt n’est pas « que » cinéaste, il est aussi et pour commencer photographe et, pourrait-on ajouter, ethnographe puisque, d’abord à titre personnel puis mandaté par le musée d’ethnographie de Neuchâtel, ses premières photographies et ses premiers films sont, dans le même moment que Rouch et quelques autres (Luc de Heusch notamment), consacrés à l’observation de communautés humaines (un bourg suisse où il est né, Valangin, en 1952 ; les Nomades du soleil en 1955 ; les Seigneurs de la forêt en 1958 ; Madagascar en 1960 ; Forêt secrète d’Afrique en 1968 ou le Val-de-Travers en 1985). Sollicité par les autorités nigériennes, après l’indépendance, pour mettre en place une production cinématographique (comme le Mozambique le fit en appelant Godard, Guerra et Rouch), Brandt, soucieux de maintenir un mouvement de navette entre l’ici et les ailleurs, déclina l’offre afin de pouvoir se consacrer à son propre pays. Si une certaine reconnaissance lui advient, grâce aux débats que ses films documentaires suscitent et via des prix de festivals, comme avec son film tourné dans un village jurassien, La Brévine, Quand nous étions petits enfants (1959), où il s’intéresse à la pédagogie interactive de Célestin Freinet (primé à Locarno), il gagne une célébrité momentanée avec sa participation très originale à l’Exposition nationale suisse de 1964. Une installation cinématographique intitulée « La Suisse s’interroge ». Ce type d’interrogation et de remise en question du modèle social et économique consumériste au sein d’une manifestation censée en célébrer la réussite, comme le mode d’exposition choisi (une série d’écrans successifs dans un espace à parcourir par le visiteur), intriguèrent Umberto Eco à l’époque. Cinéaste répondant la plupart du temps à des commandes (l’industrie horlogère, par exemple), tout en construisant une œuvre dont frappe la cohérence « après-coup », Brandt offre un « modèle » assez singulier dans le cinéma suisse, produisant ses films à l’aide des pouvoirs publics (cantons) et de mécènes (Caran d’Ache, Ovomaltine pour Quand nous étions petits enfants, la Loterie romande pour le Dernier Printemps en 1977, sur le thème de la vieillesse). Comme souvent pour les documentaristes, sa visibilité est relative aux sujets et aux modes de circulation de ses films qui ne sortent pas tous dans les salles eu égard aux fonctions qui sont les leur et à leur nature. L’ouvrage, magnifiquement illustré (on regrettera seulement l’usage exclusif de la majuscule dans le sommaire qui le rend peu lisible – Max Bill où es-tu ?), réunit les compétences de plusieurs contributeurs (outre Jaques et Lugon, Roland Cosandey, Grégoire Mayor, Faye Corthésy, Caroline Fournier et Nicolas Ricordel, Aude Joseph et le fils d’Henry, Christophe Brandt). L’ouvrage passe en revue l’ensemble de la filmographie en éclairant les circonstances qui ont mené à la réalisation des films.
Hervé Joubert-Laurencin (dir.), De Zéro de conduite à Tomboy. Des films pour l’enfant spectateur, Crisnée, Yellow Now, 2022, 488 p.
« Des films pour l’enfant spectateur » a été le projet éditorial d’une association d’éducation artistique à l’image – « les enfants de cinéma » – en charge du dispositif national « École et cinéma » de 1994 à 2018. Dans cet intervalle, elle a constitué un ensemble de textes, jusqu’ici inaccessibles, sur les films qu’elle avait sélectionnés : monographies sur des films de toutes époques et de diverses provenances choisis dans la perspective d’une « évolution du goût (...) plutôt que celle d’une histoire de la critique, du discours universitaire ou du discours promotionnel ou professionnel qui dominent habituellement l’édition de cinéma ». Ces « Cahiers de notes sur... », reprenant le modèle des fiches de DOC-éducation populaire, la revue de Travail et Culture et Peuple et Culture dont s’occupait Chris Marker, étaient destinés aux instituteurs engagés dans le dispositif, offerts à ces derniers comme matériel pédagogique accompagnant les sorties de leurs classes au cinéma (en salles pour des projections 35mm puis numérique). En 25 ans ce sont 114 cahiers de ce type qui ont été constitués, formant une histoire singulière et une traversée de l’art du cinéma des frères Lumière au cinéma contemporain. Le présent livre a opéré un choix de 30 de ces cahiers reposant sur le principe d’une mise en regard des films deux à deux (Zéro de conduite de Vigo et Boudu sauvé des eaux de Renoir ; Bonjour d’Ozu et The Navigator / la Croisière du Navigator de Keaton ; la Belle et la Bête de Cocteau-Clément et Singin’ in the Rain / Chantons sous la pluie de Donen-Kelly, par exemple). Certains auteurs de ces fiches (d’Aumont à Woznica) associent les films en raison de leurs souvenirs d’enfance à eux (Moonfleet de Lang et The Night of the Hunter /la Nuit du Chasseur de Laughton) aux fins d’initiation plutôt que de pédagogie. Bergala distingue, dans sa notice sur ces deux derniers titres, l’initiation de l’apprentissage pédagogique, ce dernier comportant, pour lui, « accompagnement » et « préservation », tandis que le premier confronte l’enfant « sans trop de ménagement au monde des adultes avec ce qu’il peut avoir de troublant et d’incompréhensible » (le mal, la sexualité). Le dispositif « École et cinéma » se poursuit avec l’association « Passeurs d’images » aidée par le CNC et le ministère de l’Éducation nationale. La question serait maintenant de s’interroger sur la « politique » de cette nouvelle phase du dispositif : continuité ou rupture, quelle place accordée aux films en distribution commerciale, quelles découvertes y peut-on faire ? Ainsi on sait que l’URSS comme les Pays de l’Est avaient développé une production spécialement dédiée aux enfants et aux adolescents : courts métrages, animation (dessins animés, poupées et objets), longs métrages de fiction ou documentaire. En URSS, en Pologne, en Tchécoslovaquie, entre autres, de grands cinéastes y firent leurs premières armes (Munk, Mouratova notamment), des scénaristes de talent s’y réfugièrent quand ils essuyaient des critiques et des réalisateurs confirmés y réalisèrent leurs chefs d’œuvre (Trnka, Zeman pour citer les plus connus), d’autres y terminèrent leur carrière (Kouléchov). À part le Dirigeable volé (Zeman), explore-t-on suffisamment cette ressource ?
Gaetana Marrone, The Cinema of Francesco Rosi, Oxford, Oxford University Press, 2020, 344 p.
L’ouvrage, signé par une professeure d’italien enseignant à l’université de Princeton, propose une somme analytique autour des films de Rosi. Deux parties, « Fragments d’histoire, pouvoir, politique, représentation », « Les fables de l’identité nationale, image, mémoire, imagination », cernent une œuvre complexe enracinée dans son temps et dans ses lieux (Naples, l’Italie méridionale) et interrogeant l’évolution politique d’un pays menacé d’implosion. Après le livre de Carlo Testa paru en 1996, Poet of Civic Courage, l’ouvrage de Gaetana Marrone confirme l’intérêt des universitaires américains pour l’œuvre de Rosi. Rappelons qu’en avril 2015 l’université de l’Indiana avait organisé à Blumington un colloque réunissant plus d’une centaine d’italianistes autour du travail du cinéaste napolitain.
Nathalie Mauffrey, la Cinécriture d’Agnès Varda. Pictura et poesis, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2021, 386 p.
À travers l’œuvre diverse d’une cinéaste qui comporte photographies, albums, courts et longs métrages – documentaires comme fictions –, pour le cinéma, la télévision, l’édition de DVD et les installations audiovisuelles, cet ouvrage détaille la « ?méthode Varda ? » que la cinéaste a appelé sa cinécriture. Entre analyse textuelle et approche comparatiste ces analyses, organisées à partir de cinq entrées – cinécrire, réfléchir, se réfléchir, rêver et bricoler –, nous invitent à reconsidérer la nature du geste de la cinéaste ? : comme une dialectique matérialiste de l’imaginaire héritée de Bachelard dans laquelle la mise en scène du couple, à la manière des paysages avec figures en peinture, constitue une allégorie de la création ? ; comme une « poï-éthique » cinématographique, qui concilie le faire et le dire, l’approche sensible et spirituelle d’un monde dans lequel l’altérité, y compris artistique, est constitutive du soi ? ; comme l’écriture enfin d’un mouvement à rechercher dans la profondeur d’une image, sans cesse recyclée, dont le film reconstruit la quête au terme d’un bris-collage qui se scande en trois temps de prise, de reprise et de surprise.
Masakazu Nakai, Introduction à l’esthétique, Dijon, les Presses du réel, 2021, 304 p.
Nakai Masakazu (1900-1952) est un philosophe japonais pionnier de la critique des médias, du cinéma et du sport dans son pays. Il a connu la crise du bouddhisme, la montée du fascisme, la prison, le bombardement atomique d’Hiroshima et l’occupation américaine. On l’a souvent rapproché de Walter Benjamin. Son œuvre a profondément marqué les mouvements de contre-culture des années 1960. Ce livre offre un nouveau regard japonais sur l’art, la technique et le monde contemporain. Loin de tout particularisme culturel et cependant profondément original par rapport aux conceptions occidentales du Beau, il permet de découvrir un univers sans double-fond, tout en surfaces et reflets, où se rejoignent intimement matérialisme et phénoménologie. Pensé à partir de la photographie et du cinéma, en dialogue avec Karl Marx, Ernst Cassirer, Martin Heidegger et les auteurs de l’École de Francfort, il propose une esthétique de la résistance et du rebond indissociable du corps et des luttes qu’il implique. Il est traduit du japonais, annoté et présenté par Michael Lucken, professeur à l’Inalco, auteur de la seule monographie en français sur Nakai (Nakai Mazakazu – Naissance de la théorie critique au Japon, les Presses du réel, 2016). Carole Maigné, professeure à l’Université de Lausanne, signe une préface où Nakai est abordé en miroir avec Siegfried Kracauer.
Compte rendu dans un prochain numéro.
Clélia Nau, Machine-aquarium, Genève, Metis-Presses, 2022, 221 p.
En écho à la séance du séminaire de l’AFRHC du 21 janvier 2022 où intervenait Guillaume Le Gall, « Aquariorama : histoire d’un dispositif entre diorama, aquarium et cinéma », et à l’article de Philippe-Alain Michaud, « Aquarium ou le cinéma liquide » (Spécimen, no 8, 2015), il faut lire ce livre de Clélia Nau (qui enseigne l’esthétique et l’histoire de l’art à Paris), dont le sous-titre est « Claude Monet ou la peinture submergée ». Et il faut souligner la qualité de fabrication du livre, son iconographie érudite et très subtilement distribuée au gré des pages. Le point de départ de cette recherche tient dans le rapprochement entre ce « diorama liquide » de l’Orangerie qu’est le cycle des Nymphéas avec cette autre féérie d’eau, ce dispositif d’un genre nouveau, inventé au XIXe siècle, qui a aussitôt suscité l’intérêt du cinématographe naissant : l’aquarium. Car Monet, dès qu’il se met à travailler sur les Nymphéas se réfère à ce dispositif, à cette « machine » à prendre « vue » sur la vie des profondeurs, pour parler du mode d’exposition et de montage qu’il imagine pour ses toiles. L’idée germe dès 1897, le peintre offre l’œuvre accomplie en 1918 à la France qui l’installe, selon les plans de l’artiste, avec l’appui de Georges Clemenceau (qui publie une monographie sur l’œuvre) au musée de l’Orangerie en 1927 quelques mois après la mort de Monet.
Compte rendu dans un prochain numéro.
Pier Paolo Pasolini, la Langue vulgaire, Saint-Michel-de-Vax, La Lenteur, 2021, 84 p.
Ce petit livre complétera utilement le dossier Pasolini du no 95 de notre revue et la mention de la revue italienne Critica marxista dans la rubrique Vient de paraître. Il s’agit ici de la transcription d’un débat qui s’est tenu à Lecce le 21 octobre 1975 dans la bibliothèque du lycée Palmieri entre Pasolini et un groupe de professeurs et d’étudiants sur le thème « Dialecte et école », peu de temps avant l’assassinat du poète-cinéaste. Il s’agit donc, dans ses propres termes, de « Volgar’eloquio », de langue vulgaire. Lors de l’échange, à propos de sa lutte contre les cultures populaires, Pasolini réaffirme qu’il est « progressiste » et nullement passéiste : « je pose les problèmes les plus actuels, je flaire les problèmes du moment ». Il est inutile de lutter contre l’ancien capitalisme, affirme-t-il, il faut lutter sur un autre mode et il se réfère à Gramsci : pour ce dernier il était légitime de parler d’« émancipation » parce qu’il vivait dans un monde archaïque dont nous n’avons aucune idée ; mais il est devenu, pour nous, non pas un dogme mais « un maillon dans une chaîne historique qui conduit aujourd’hui à faire de nouveaux raisonnements, à proposer une nouvelle façon d’être progressiste, d’être gramscien ». Gramsci a parlé de « génocide » des cultures populaires, ouvrières, prolétariennes et sous-prolétariennes, c’est-à-dire paysannes : « il voulait que leurs cultures entrent dans un rapport dialectique avec la grande culture bourgeoise dans laquelle lui-même, tout comme Engels, s’était formé ». « Je suis marxiste, poursuit Pasolini, au sens le plus exact du terme quand je hurle, quand je m’indigne contre la destruction des cultures particulières ». Venant à la suite d’une question sur le Décameron et les Contes de Canterbury, Pasolini dit ensuite : « Récemment j’ai fait un film qui s’appelle Salò, tiré du marquis de Sade, où l’on voit des choses terrifiantes qui, en vérité, prises une à une, seraient pornographiques si on les voyait hors contexte ; dans leur contexte, je ne pense pas qu’elles le soient, parce que ce contexte est celui de la marchandisation que le pouvoir fait subir au corps, et du coup tous ces rapports sexuels sont une métaphore » de cette marchandisation, c’est-à-dire « une réduction des corps à des choses, que Hitler a mis en œuvre au sens physique du terme et que le nouveau pouvoir de nos jours réalise sur le mode du génocide dont j’ai parlé précédemment. »
Frédéric Pillet, le Casino et l’histoire du cinéma – Saint-Quentin, Ville de Saint-Quentin, direction du patrimoine, 2021, 234 p.
Le Casino, joyaux de l’Art déco, était l’une des trois grandes salles saint-quentinoises de cinéma et de spectacles des dites « Années Folles », aux côtés du Carillon et du Splendid. Il est inauguré en juin 1929, 33 ans après la première projection cinématographique à Saint-Quentin, rue de la Sellerie. Durant les trois premières décennies du cinéma saint-quentinois, et durant les quatre suivantes, plus d’une dizaine d’autres salles naissent et disparaissent, dans le centre-ville et les quartiers de Saint-Quentin. Cet ouvrage s’efforce de redécouvrir une histoire inscrite dans la mémoire et le patrimoine de la ville.
Voir compte rendu dans ce numéro
Jitka de Préval, Camille Legrand. Un opérateur Pathé sur la route des Indes 1895-1920, Paris, Riveneuve, 2021, 480 p.
Au tournant des deux siècles passés, avec l’explosion technologique et la conquête européenne du monde, la Compagnie générale des cinématographes, phonographes et pellicules – connue sous le nom de Pathé frères en Extrême-Orient – va devenir la première multinationale française. En envoyant un opérateur en Inde, elle répond à l’intérêt occidental pour les images venues du plus lointain Orient, images qui s’inscrivent dans ce que la peinture a institué comme un genre, l’orientalisme, dont Edward Saïd a explicité les soubassements idéologiques. Or il faut constater qu’en contrechamp, le cinématographe a rencontré un succès immédiat auprès des populations de la péninsule indienne, de l’Indochine, de Singapour, de la Chine, du Japon, de l’Indonésie et de l’Australie. Camille Legrand est le premier opérateur partant à la chasse aux images « pittoresques » dans cette zone géographique pour le compte de Pathé frères entre 1905 à 1920. En Inde, il met en scène des films réalisés pour la société Madan Theater de Calcutta avec une très grande vedette indo-iraquienne, Patience Cooper. Au gré de ses voyages, il croise les grands événements de l’époque : les couronnements d’Edouard VII et de George V à Delhi, le transfert de la capitale de Calcutta à Delhi, la naissance du mouvement nationaliste indien, la construction du premier empire cinématographique en Inde, la Première Guerre mondiale, la propagande française en Extrême-Orient, la création d’une nébuleuse de succursales et d’agences Pathé d’Extrême-Orient (Calcutta, Singapour, Melbourne, Sydney, Batavia, Saïgon, Shanghai, Bombay), la création de la première fiction bengali et d’autres événements historiques et cinématographiques. Cet ouvrage, issu d’un ample travail d’archives, se lit comme un roman d’aventures et redonne vie à l’un de ces pionniers qui ont contribué à faire de Pathé, pendant la première décennie du XXe siècle, la société de cinéma la plus importante au monde. Préface de Priska Morrissey, introduction de Stéphanie Salmon.
Compte rendu dans le prochain numéro
Marie Pruvost-Delaspre, Aux sources de l’animation japonaise. Le studio Toei Doga (1956-1972), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, 352 p.
La Tôei Dôga, fondée en 1956, qui s’appelle aujourd’hui Tôei Animation, est, dans l’après-guerre, l’un des plus importants studios d’animation japonais, lieu de formation privilégié aux métiers de l’animation. Cet ouvrage explore son histoire depuis les mois qui précèdent sa création jusqu’à la disparition de son directeur historique. Il montre comment, à travers les bouleversements successifs de son système de production et de son usage des techniques d’animation, la Tôei Dôga peut être vue comme un laboratoire ou` s’élaborent des pratiques de l’animation conflictuelles mais encore influentes.
Pierre Stotzky (dir.), le Cinéma à Metz (19081919). Une histoire locale du cinéma mondial, Nancy, Presses universitaires de Nancy / Éditions universitaires de Lorraine, 2021, 176 p.
Entre 1895 et 1919 le cinéma devient l’un des principaux loisirs messins. Sa diffusion est favorisée par l’environnement culturel et urbain de ladite « Belle Époque allemande », ou` genres de films et acteurs allemands dominent largement dans une ville qui, en 1912, est la mieux dotée en salles du Reichland d’Alsace-Moselle et ou` les programmes sont renouvelés deux fois par semaine. De 1910 à 1917 une trentaine de films interprétés par Asta Nielsen y sont projetés. La « dégermanisation » qui va suivre la réintégration de l’Alsace-Lorraine à la France – dès 1918 les salles exploitées par des Messins d’origine allemande sont rachetées par des Français – a largement occulté la mémoire de la popularité du cinéma dans la période de l’annexion au Reich. Après la guerre Charlot supplante Asta Nielsen, on montre Intolérance de Griffith, The Cheat de DeMille... Cet ouvrage collectif, auquel ont participé Alfred Wahl, Jean-Christophe Dietrich, Jean-Marc Leveratto, Anne Sigaud, Annie Fee et le coordinateur, révèle un aspect méconnu de l’histoire de la ville en mettant en regard les débuts du cinéma à Metz avec l’émergence d’une culture de masse. Dès le début les spectateurs visionnent des films nationaux et étrangers car la production cinématographique est d’emblée à destination internationale. En cela l’exemple messin ne se distingue pas des autres pays ou régions industrialisées, et cette étude de cas permet d’observer les interactions à l’échelle de la ville dans une perspective transnationale.
Compte rendu dans le prochain numéro
Jean-Philippe Trias, Après Welles. Imitations et influences, Sesto San Giovanni, Mimésis, coll. « Formes filmiques », 2021, 520 p.
Orson Welles dont l’irruption de Citizen Kane – retardée dans l’Europe occupée – a stupéfié bon nombre de critiques et de cinéastes a-t-il laissé sa marque dans l’histoire du cinéma ? Sans aucun doute. A-t-il inspiré des vocations ? C’est l’objet de ce livre de questionner son héritage. Où ses images sont-elles imitées et comment son cinéma se prolonge-t-il dans d’autres œuvres ? Qu’est-ce qui, de Welles, passe chez d’autres cinéastes ? Plusieurs générations de réalisateurs (Peter Bogdanovich, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Blake Edwards, Terry Gilliam, Raúl Ruiz, Gus Van Sant, F. J. Ossang...) héritent diversement de son influence. Mais l’ombre portée de Welles s’étend des films B des années 1950 jusqu’à la production très contemporaine, des films-essais entre documentaire et fiction jusqu’au pastiche d’André S. Labarthe ou l’hommage de Tim Burton dans Ed Wood.
François Truffaut, la Leçon de cinéma, Paris, Denoël, 2021, 272 p.
Bernard Bastide, après l’édition des chroniques cinéma de Truffaut dans Arts-spectacles (Gallimard, 2019) et sa Correspondance littéraire (Gallimard, 2022), publie le texte inédit d’une série d’entretiens du cinéaste avec Jean Collet, Jérôme Prieur et José-Maria Berzosa réalisés en 1981 par l’INA, réunis sous le titre la Leçon de cinéma et dont la télévision (TF1) ne diffusa qu’une partie. Tourné en deux jours après bien des réticences de Truffaut qui finit par assumer ses propos tardivement, ce n’est évidemment pas l’équivalent des entretiens du même avec Hitchcock. Le principe de l’émission a été imaginée par Berzosa, talentueux réalisateur de télévision issu de l’Idhec, auteur d’innombrables documentaires – dont deux sur Giacometti et Fernand Léger –, d’un scoop – la seule interview du putschiste Pinochet après le coup d’État au Chili –, d’une série sur la sainteté. Elle est animée par le critique de la revue jésuite Études, Jean Collet, et par Jérôme Prieur (alors à l’INA). Ce principe consistait à confronter Truffaut à des extraits de ses films en lui demandant de réagir. Le cinéaste n’avait pas voulu savoir à l’avance avec quels extraits il serait mis en présence et il en parla de manière sans aucun doute sincère mais plutôt déconcertante dans bien des cas, en particulier s’agissant de ses premiers films pour lesquels les souvenirs personnels l’emportent sur l’investissement artistique. C’est du moins l’hypothèse de Bastide : ici sa liaison avec une actrice, ailleurs la disparition d’une autre, là les rapports avec un acteur, ou les difficultés rencontrées, production, tournage, sorties, etc. laissent souvent au deuxième plan la démarche mise en œuvre au sujet de laquelle pourtant, au moment des sorties de ces films, Truffaut avait été prolixe. Il avoue ainsi ne plus pouvoir revoir ses films antérieurs au Dernier métro... Truffaut était-il « piégé » par la doctrine auteuriste des « jeunes Turcs » des Cahiers « jaunes » qui voulaient que plus un cinéaste prenait de l’âge, plus il approfondissait son travail et, en dépit souvent des apparences (cas de Mann, Lang, Hitchcock notamment), plus ses films étaient profonds et touchaient à l’essentiel, doctrine reprise par certains rédacteurs des Cahiers actuels comme Marco Uzal ou Nicolas Parizer si l’on croit le numéro de novembre dernier : « Il y a un malentendu autour de Tre piani, le dernier film de Nanni Moretti, mais ce malentendu est assez banal, il s’agit d’un malentendu propre aux œuvres tardives de grands cinéastes. À l’heure de leurs plus beaux films, on entend, on lit qu’ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes : déjà Lang, Dreyer, Chabrol. Les arguments sont souvent les mêmes : c’est platement filmé, naïf, assagi, raté, voire embarrassant. Surtout – et quand bien même ces films tardifs représentent une forme de quintessence de leur art –¸ ça ne ressemblerait pas du tout à ce que l’on a aimé chez eux. L’explication est simple, pourtant : ce que l’on a aimé chez eux était, au mieux, une fausse piste, au pire un contresens ». Se l’appliquant à lui-même, Truffaut valorise ses films plus tardifs aux dépens des premiers (Jules et Jim, Tirez sur le pianiste...), ce qui peut déconcerter les spectateurs qui ont goûté au charme et à la légèreté de ces premiers titres et ont été moins sensibles aux mises en scène, plus concertées peut-être mais plus académiques, du Dernier métro ou de la Nuit américaine.
Valérie Vignaux (dir.), Edgar Morin et le cinéma, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2021, 228 p.
Cet ouvrage rassemble la plupart des interventions d’un colloque qui s’est tenu à Caen en 2018 autour d’Edgar Morin, peu après la publication d’une partie de ses écrits sur le cinéma. Le sociologue a, en effet, consacré deux décennies de ses recherches au cinéma – de 1945 à 1965 –, en particulier au sein de l’Institut de filmologie et de l’Institut de communications de masse, marquées par deux publications, le Cinéma ou l’homme imaginaire (1956) et les Stars (1957), et plusieurs expériences de réalisation, dont on retient avant tout Chronique d’un été (1961) avec Jean Rouch, puis une réflexion et des expériences de télévision locale. L’ouvrage, dans un premier temps, interroge la singularité de ses propositions en restituant les contextes intellectuels et académiques à partir desquels il a développé son projet d’anthropologie sociologique (contributions notamment de V. Vignaux, J-M. Leveratto, F. Albera, C. Zéau) ; tandis que l’étude de Chronique d’un été permet d’observer, à travers les dispositifs adoptés, les implications du filmage dans la révélation à soi et aux autres des personnes interrogées – d’où la dénomination de cinéma-vérité. Compte rendu dans le prochain numéro
Revues
Bianco e Nero, no 600, septembre-décembre 2020, « Medioevo » ; no 601, janvier-avril 2021, « Ettore Scola »
Les deux dernières livraisons de la revue du Centro Sperimentale di Cinematografia poursuivent dans la veine monographique qui caractérise aujourd’hui la publication. Le no 600 (numéro anniversaire pour une revue née en 1937) aborde la représentation du Moyen Âge à l’écran. Dans la lignée des travaux de François Amy de la Bretèque, l’ouvrage s’interroge sur la représentation du Moyen Âge à l’écran, de la comédie, les deux Brancaleone de Monicelli, aux méditations philosophiques, le Nom de la rose, inspiré de l’ouvrage d’Umberto Eco. Le no 601 est consacré à Ettore Scola avec des textes transversaux et des études circonscrites à un seul film. Scola est envisagé comme cinéaste mais aussi comme scénariste, comme caricaturiste et comme opérateur culturel dans son engagement politique. À cela s’ajoutent de nombreux entretiens enregistrés pour l’occasion avec des comédiens et des collaborateurs. Des textes abordent la fortune critique du cinéaste en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, aux États-Unis, au Québec.
Revue d’histoire des sciences humaines, no 39, automne 2021, « Savant cinéma. Lieux, itinéraires, expérimentations et réalisations autour de 1945 »
Un dossier coordonné par Baptiste Buob et Damien Mottier autour de ce que les directeurs appellent des « jalons pour une anthropologie des savoirs cinématographiques » comportant un riche sommaire. Citons d’emblée la contribution de Valérie Vignaux, « Edgar Morin et les théories sociales du cinéma en France. Anthropologie et humanisme » qui fait écho à la récente publication que l’auteure a dirigée, Edgar Morin et le cinéma, mentionnée ci-dessus. Citons encore, une étude de Stéphanie Privat réunissant la recherche scientifique d’Henri Wallon par le film (déjà évoquée dans notre revue) et l’expérience de la Grande Cordée de Fernand Deligny (dont vient de paraître le recueil de textes Camérerer). Et citons enfin l’étude de Baptiste Buob qui apporte de nouveaux éléments concernant André Bazin en se penchant sur ses écrits d’avant-guerre (1938) et de la période de l’Occupation (non repérés sans doute par les éditeurs des Écrits complets), qui révèle un homme d’abord attiré par la Révolution nationale de Pétain par détestation de la déchéance politique de la IIIe République, puis s’en distançant sans pour autant s’engager avec les résistants qu’il côtoie dans la Maison des Lettres (comme Jean-Pierre Chartier), faisant le choix de se cantonner au domaine esthétique. Robert Nardone, Loïc Petitgirard et Catherine Radtka s’intéressent, de leur côté, au « Conservatoire national des Arts et Métiers à la mission ethnographique Ogooué-Congo, et retour » autour de la figure d’André Didier, tandis qu’Anaïs Maurin se penche sur la présence de « cinéastes surréalistes » au Musée de l’homme en 1952. La revue comporte, outre ce dossier « cinéma », des études diverses allant de « la photographie, la fiche, le journal » comme supports d’écriture de l’histoire de la Révolution aux « Sources, méthodes et imaginaires historiens au tournant du siècle : incertitudes du métier entre professionnalisme et amateurisme » (Guillaume Lancereau), qui peuvent toutes deux intéresser les historiens du cinéma aussi bien.
Revus & corrigés, no 12, automne 2021, « Amour des seconds rôles » ; no 13, hiver 2021, « Filmer la finance »
Revus & corrigés poursuit son exploration du cinéma patrimonial avec deux ensembles qui abordent des sujets souvent négligés – les seconds rôles –, voire originaux – la représentation de la finance. Le premier présente « quarante portraits de seconds couteaux », notion assez vague qui conduit à faire cohabiter des acteurs de notoriété fort variables. À souligner la présence d’un entretien éclairant de Philippe Garnier qui s’interroge sur la notion de character actor ou de supporting actor. Autre entretien, celui de Stéphane du Mesnildot à propos de l’exposition « Ultime Combat » au Musée du Quai Branly dont il était un des commissaires. Pour la représentation de la finance (et accessoirement des banquiers et des hommes d’affaires), les points d’attaque sont nombreux. On retiendra l’article de Pierre Charpilloz sur un thème essentiel, « La finance en aide au cinéma français ». En conclusion de ce numéro, un entretien avec Paul Perrin et Marie Robert, commissaires avec Dominique Païni de l’exposition « Enfin le cinéma ! » présentée au Musée d’Orsay, éclaire la démarche qui a conduit à cette exposition mémorable. L’entretien, « Du musée surgit le cinéma », offre d’utiles réflexions. Dans les deux livraisons, on trouve les rubriques habituelles consacrées aux livres et surtout aux DVD pour lesquels la revue met en évidence la plus ou moins grande richesse des bonus.
Transbordeur photographie histoire société, no 6, 2022
Ce nouveau numéro de la revue annuelle que dirigent Christian Joschke et Olivier Lugon aborde un sujet d’importance pour la photographie comme pour le cinéma auquel le Centre Pompidou Metz avait consacré une exposition il y a quelques années, « Vues du ciel ». Il s’agit de la photographie « verticale » – dénomination qui évite, comme celles de photographie d’en-haut ou en surplomb, de recourir à celle de « photographie aérienne » bien que ce soit cette dernière qui domine ce type de vue. Mais les responsables du dossier, Marie Sandoz et Anne-Katrin Weber tenaient à se situer dans une perspective intermédiatique. De la carte au dessin, à la visualisation digitale, au plan de cinéma, à l’image vidéo ou télévisuelle la multiplicité des supports sur lesquels se déploie la vision en surplomb doit, en effet, être mise en évidence. De même que la multiplicité des outils, instruments, appareils requis pour la mettre en œuvre : crayon, pinceau, appareil photo, caméra, microscope, satellite, drone jusqu’à des logiciels d’architecture ou des programmes informatiques. Le sous-titre du dossier est cependant « politique de la vue aérienne », qui nous rappelle le fameux ouvrage de Paul Virilio, Logistique de la perception, car, de fait, l’alliance entre l’aviation et la photographie (et le film) et, par conséquent, celle entre les forces armées, policières, les administrations étatiques et la photographie, sont des éléments clés des réflexions et investigations recueillies dans ce numéro. Au cinéma deux films problématisent en 1937 et 1939 cette question : Renoir, qui pratiqua l’observation aérienne durant la Première Guerre mondiale, met en scène Gabin-Maréchal dans la Grande Illusion comme étant chargé de missions aériennes de reconnaissance ; Malraux, aviateur d’occasion sur le front antifasciste en Espagne, filme un berger monté à bord d’un avion républicain pour guider le pilote vers un aéroport clandestin franquiste dans Espoir, sierra de Teruel (Espoir). Dans les deux cas sont mis en évidence ce qu’on appelle, dans l’introduction de ce numéro, « l’opacité » des vues aériennes et dont les deux cinéastes ont fait l’expérience. Fresnay-De Boildieu considère les photos prises des positions ennemies comme « illisibles » et commande une deuxième mission qui lui sera fatale. Le berger qui connaît chaque mètre carré du terrain où il fait paître ses moutons ne reconnaît rien vue d’en-haut. Harun Farocki (non cité par les contributeurs) avait conduit une réflexion de longue durée sur ce qu’on appelle ici les « infrastructures », l’outillage et les processus de sujétion que les dispositifs de vision militaires ont déployé. Justement l’interprétation des images de télédétection militaire pendant la Seconde Guerre mondiale fait l’objet d’une étude de Lars Nowak, qui examine les aspects d’organisation du travail, de qualifications et technicisations du dispositif tout en abordant les questions d’inégalité entre les sexes. Linda Garcia d’Ornano examine l’usage de la photographie aérienne par le Général de Lattre durant la guerre d’Indochine aux fins de propagande (Raoul Coutard fut l’un de ses photographes). La cartographie des ressources agricoles, minières, des sites archéologiques, des planètes (la Lune, Mars), etc. renvoie à des usages dits civils mais qui sont traversés par le colonialisme, l’exploitation capitaliste.
De nos jours les drones, dont la multiplication et la sophistication se sont développés au service de la sphère militaire, sont recommandés sinon imposés aux agriculteurs et à nombre d’autres acteurs économiques afin d’« améliorer » leur productivité. Les directrices du numéro tiennent cependant à dessiner, en contrepoint à la photo aérienne comme technologie de l’assujettissement, un usage relevant de la résistance. L’exemple le plus probant de cette dernière est celui des goélands qui ont perçu les drones de la police, pendant les manifestations, comme de possibles prédateurs et qui ont défendu leurs territoires et leurs œufs en les mettant à mal. Revanche ornithologique sur la tentative – qui a d’ailleurs échoué – d’utiliser des pigeons-photographes par l’armée. Noemi Quagliati étudie l’histoire des appareils photographiques aériens tels que les expose le Deutsches Museum de Munich et cet appareillage de volatiles y figure. Dans la partie varia de la revue, Maria Stavrinaki s’intéresse aux photographies de coquillages et fossiles exécutés par Daguerre en 1839 et André Gunthert, avec « Le sourire de classe », examine le portrait photographique et la culture de l’expressivité. Claire Ducresson-Boët, de son côté, analyse la monumentalisation des photographies de la guerre de Corée (2400 sont gravées dans le granit dans un mémorial) et la re-héroïcisation de la commémoration guerrière au tournant du XXIe siècle.